ANALYSES

De la crise politique en Macédoine et ses répercussions

Tribune
10 mars 2017
par Loïc Trégourès, docteur en science politique, spécialiste des Balkans
Les élections parlementaires de décembre dernier, organisées sous la pression de l’Union européenne (UE), avaient pour objectif de sortir la Macédoine de la crise politique dans laquelle elle s’est enfoncée depuis maintenant deux ans. Cette crise avait éclaté à la suite de la publication d’écoutes téléphoniques dans lesquelles toutes les malversations, turpitudes et crimes du parti au pouvoir nationaliste VMRO-DPMNE furent révélés.

Si ces élections n’ont pas permis de dégager une majorité immédiate, elles ont toutefois marqué un tournant puisque le principal parti des Albanais de Macédoine, le DUI, a fortement régressé. Il a en effet été sanctionné pour son alliance gouvernementale avec le VMRO, tandis que pour la première fois, des Albanais ont voté pour le parti social démocrate SDSM, c’est-à-dire pour un autre parti que les partis albanais classiques. Cette tendance à la « désethnification » est un processus conforme aux deux années de protestations contre le gouvernement et le Premier ministre Nikola Gruevski, qui ont réuni des citoyens des deux communautés d’abord préoccupés par la « capture de l’Etat » (l’expression figure dans le rapport 2016 de la Commission européenne) opérée par Gruevski et son clan.

Ainsi, la situation politique troublée a connu un nouveau développement ces derniers jours puisque trois partis albanais qui ont obtenu des sièges au Parlement (DUI, Besa et l’Alliance pour les Albanais) ont accepté de former une coalition avec le SDSM. Ils laissent ainsi dans l’opposition le VMRO, qui était pourtant arrivé en tête lors du scrutin de décembre. Ces trois partis s’étaient mis d’accord il y a quelques semaines à Tirana, sous le patronage du Premier ministre albanais Edi Rama, sur une plateforme commune sans laquelle aucune coalition ne serait possible. Celle-ci exige principalement la reconnaissance de la langue albanaise à égalité avec le macédonien partout dans le pays ; un système de meilleure représentation dans l’administration ; la poursuite du travail du Bureau du procureur spécial, mis en place pour enquêter sur toutes les affaires révélées par les écoutes ; la poursuite du processus d’intégration euro-atlantique ; et enfin la résolution de la question du nom avec la Grèce, qui bloque la Macédoine dans ce processus d’intégration depuis 2006.

Or, malgré l’accord trouvé, le président de la république Gjorge Ivanov, issu du VMRO-DPMNE, a refusé de donner mandat au SDSM pour former un gouvernement, au motif que la plateforme albanaise serait une menace pour l’unité de la Macédoine et que les partis albanais recherchent avant tout l’éclatement du pays en prenant leurs ordres à l’étranger. Cette position, notifiée à l’UE, aux Etats-Unis et à la Turquie par lettre officielle, a provoqué de vives réactions de la part de l’opposition mais aussi de l’Union européenne. Cette dernière, par la voix de la Haute Représentante Federica Mogherini et du commissaire à l’élargissement, Johannes Hahn, a explicitement appelé le président Ivanov à revenir sur sa décision.

Ce qui se joue dans cette crise peut donc se lire à plusieurs échelles. D’abord, l’enjeu pour la Macédoine elle-même est crucial puisque l’on se dirige vers la continuation de la crise politique par d’autres moyens. Là où les oppositions au VMRO ont protesté dans la rue pendant des mois pour exiger des changements, ce sont aujourd’hui les militants du VMRO qui occupent la rue pour s’opposer à la possibilité de ce nouveau gouvernement dont le VMRO serait exclu, et pour réclamer des élections anticipées en mai prochain, en même temps que les élections municipales. En réalité, il fait peu de doute que Nikola Gruevski fera tout ce qui est possible afin de ne pas perdre le pouvoir, puisque cela signifierait devoir rendre des comptes au Bureau du procureur spécial sur les très nombreuses affaires dans lequel lui et ses amis sont impliqués. La stratégie du VMRO consiste donc à exacerber le débat et à le ramener sur le terrain ethnique, c’est pourquoi on ne peut pas exclure une fuite en avant violente. En tout état de cause, quand bien même un mandat serait donné dans les prochains jours à Zoran Zaev, cela ne signifie pas que la crise politique sera terminée.

Ensuite, il faut lire cette crise à l’aune de la situation régionale dans les Balkans. Depuis plusieurs mois maintenant, des tensions grandissent entre les différents acteurs, que ce soit la course aux armements entre la Croatie et la Serbie, les provocations serbes à propos du Kosovo, ou encore la confrontation entre Bosniaques et Serbes de Bosnie à propos d’un éventuel appel de la plainte de la de Sarajevo contre Belgrade pour génocide devant la Cour internationale de justice. La presse tabloïd serbe, sous le contrôle du gouvernement, ne cesse de se faire l’écho quotidiennement de supposés complots ourdis tantôt par les Albanais, les Turcs, les Croates, les Américains et l’OTAN contre les Serbes. Dernièrement, cette rhétorique rejoint celle des nationalistes macédoniens selon lesquels l’acceptation de la plateforme albanaise en Macédoine est la première étape vers la construction d’une grande Albanie et le dépeçage de la Macédoine. De fait, bien que chaque dossier soit distinct, chacun participe d’une atmosphère régionale lourde et belliqueuse.

Enfin, l’analyse de la situation en Macédoine doit également s’opérer à un niveau international. Ainsi, bien que la Russie ait été très largement en retrait depuis le début de la crise, on observe des déclarations venant de la diplomatie russe. Celles-ci, reprises par le VMRO, vont dans le sens d’une dénonciation d’une tentative de coup d’Etat mené par les Etats-Unis et l’UE avec l’aide de « sorosoïdes » locaux, du nom du financier et philanthrope George Soros, déclaré ennemi de tous les autocrates d’Europe de l’Est, dans la droite ligne de la dénonciation des « révolutions de couleurs » fomentées par l’Occident contre la Russie. Si la Russie n’a pas vraiment intérêt à investir politiquement dans la crise macédonienne, sa stratégie d’obstruction à moindre frais dans les Balkans peut s’avérer une fois de plus concluante comme en Bosnie, si d’autres acteurs, à commencer par l’Union européenne, ne prennent pas les devants.

Bruxelles avait imposé ces élections comme solution de sortie de crise, assortie de certaines conditions. Celles-ci n’avaient pas vraiment été remplies, et le VMRO avait même reçu le soutien de certains leaders de la droite européenne pour le ministre des Affaires étrangères autrichien, Sebastian Kurz, tout heureux de pouvoir compter sur Skopje pour retenir les migrants. Par conséquent, Nikola Gruevski pensait bien pouvoir remporter ces élections et ainsi obtenir un blanc-seing de l’UE, mise devant le fait accompli. C’est le scénario inverse qui est en train de se reproduire, mettant autant Gruevski que l’UE devant leurs responsabilités car, désormais, les cartes sont rebattues, et aucun scénario ne peut être exclu pour la suite.
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