ANALYSES

Comment la Chine pense profiter de la présidence Trump pour devenir LA 1ère superpuissance mondiale

Presse
13 février 2017
Atlantico : Une semaine après l’investiture de Donald Trump, le président Américain a signé des décrets, dont l’un, qui est en faveur d’un retrait du TPP, un accord de partenariat transpacifique signé par le bureau de Barack Obama. Les observateurs estiment que par ce retrait du TPP, les Etats-Unis cèdent le leadership des dossiers du monde à la Chine. La Chine va-t-elle profiter de cette situation pour prendre les devants sur la scène internationale ?

Jean-Vincent Brisset : On a beaucoup présenté le TPP comme l’acte fondateur d’un énorme marché commun (il aurait concerné 40% du PIB mondial) de tous les pays riverains du Pacifique, à la notable exception de la Chine contre laquelle il serait dirigé. Si la volonté de s’opposer à la montée en puissance de la République Populaire était clairement affichée, la portée réelle de ce traité, qui ne faisait même pas l’unanimité au sein du Parti Démocrate, l’était beaucoup moins. Elle l’était d’autant moins que, outre le fait que de nombreux points n’étaient pas clairs ou difficiles d’application, sa mise en vigueur n’était pas encore intervenue.

Dans ces conditions, fidèle à l’une de ses promesses de campagne, Donald Trump a tiré un trait sur cet accord dès les premières heures de son mandat. Il est certain que cet acte marque une forme de repli sur soi des Etats Unis, mais les observateurs qui y voient un abandon du leadership des dossiers du monde à la Chine vont sans doute un peu vite en besogne. On se souvient que d’autres observateurs (ou quelquefois les mêmes) prédisaient de manière tout aussi péremptoire, il y a peu d’années, une mainmise sur le monde par le binôme Pékin-Washington, rebaptisé G 2.

Autant que l’on puisse faire des pronostics sur ce que sera la politique de la nouvelle administration des Etats-Unis, on peut quand même penser qu’elle s’orientera vers un certain isolationnisme, qui pourrait être perçu comme un abandon du terrain. Ceux dont la culture et la formation sont essentiellement « politiciennes » sont naturellement enclins à penser ainsi. Le problème est que Trump et l’essentiel de son entourage sont d’une essence différente. Un parcours personnel beaucoup plus proche des réalités de terrain les amène, entre autres, à privilégier les accords bilatéraux adaptés à chaque cas par rapport aux « Machins », somme de compromis aux contours flous et apportant plus de contraintes que d’ouvertures. On note aussi que, quelques jours seulement après l’investiture du nouveau Président, on commence à voir apparaître dans certains médias l’idée qu’un accord commercial bilatéral avec Pékin pourrait être gagnant-gagnant (par exemple « Trump Might Not Be A Total Nightmare For China After All », Forbes, 27 Janvier 2017). Il en est même qui ressuscitent l’idée du G2. Par ailleurs, si certains voudront attribuer au nouveau Président tout affaiblissement de la puissance américaine dans la zone, il faudra qu’ils passent sous silence le fait que le « Pivot » mis en place par Obama n’a pas empêché les Philippines, mais aussi, dans une moindre mesure, la Thaïlande et la Malaisie, de se rapprocher de Pékin.

Il est aussi intéressant, dans ces conditions, de voir les dirigeants de la Chine faire la démarche inverse. A un Mao combattant révolutionnaire a succédé un Deng pragmatique, puis des ingénieurs devenus apparatchiks et maintenant des princes rouges issus du système et formés aux sciences politiques. Pékin, qui a longtemps refusé toute appartenance à des systèmes multilatéraux, propose désormais des accords sécuritaires ou économiques. A un Mao qui se voulait le leader du Tiers Monde à l’époque de Bandoeng succède un Xi Jingping qui se propose comme alternative à l’Oncle Sam.

A la différence toutefois des Etats Unis, la Chine n’a guère participé à l’élaboration des règles qui régissent l’essentiel des échanges internationaux et elle a souvent du mal à s’adapter à celles qui existent, quand elle ne les remet pas purement et simplement en question.

On est sans doute dans une problématique beaucoup plus vaste, dont il serait très présomptueux de dire à quoi elle aboutira. Les populations des pays les plus évolués veulent de plus en plus – on appelle souvent ça du populisme – se débarrasser de ce qu’elles perçoivent comme une caste dirigeante qui s’accapare le pouvoir, pour la remplacer par des personnels extérieurs à la caste. Et pendant ce temps-là, la Chine entre dans un système dont les premiers sont – peut-être – en train de sortir.

Selon Pékin, l’avènement au pouvoir aux Etats-Unis d’un milliardaire connu serait le marqueur du déclin du pays. A qui est destiné cet argument ? Est-ce le moment idéal pour la Chine pour s’affirmer et se débarrasser d’un complexe d’infériorité vis-à-vis des Etats-Unis ? De ce point de vue, qu’est-ce que la Chine aurait à proposer ? Dans quelle sphère d’influence ?

Le discours officiel ostracise les bourgeois et plus encore les riches capitalistes. Il est toutefois de plus en plus atténué dans la mesure où les liens entre les tenants du pouvoir et les nouveaux riches qui se multiplient sont de plus en plus évidents. Ce que fustigent surtout certaines déclarations, ce sont les « valeurs bourgeoises » telles qu’elles sont véhiculées par le capitalisme à l’américaine. Mais il ne faut pas se leurrer. Les Etats-Unis font toujours rêver, même – et peut être encore plus que d’autres peuples – les Célestes. Il est d’ailleurs assez intéressant de constater que, au nom du déni du complexe d’infériorité, le marqueur de progrès, celui auquel les médias officiels font régulièrement référence à l’occasion de chaque avancée technologique, est américain.

Sur le plan militaire, Monsieur Sean Spicer, le porte-parole de la Maison Blanche a affirmé que les Etats-Unis s’assureraient de défendre les territoires internationaux pour empêcher qu’ils ne soient pris par un pays. Cela fait référence au conflit qui oppose la Chine au Vietnam pour le contrôle des îles Spratleys et Paracel dans la mer de Chine méridionale. Est-ce que les Etats-Unis seront en mesure d’avoir une prise sur la flotte chinoise, ces derniers n’ont pourtant pas hésité à réaffirmer leur intention de protéger leurs droits et leur souveraineté ?
Les Etats Unis ont toujours défendu leur vision de la liberté de circulation dans les eaux et les espaces aériens internationaux. Y compris quand ils imposent unilatéralement, comme d’autres pays, des zones d’identification aérienne au large de leurs côtes. La déclaration de Monsieur Spicer concerne donc tous les abords de la Chine, et en particulier les lieux où Pékin affirme unilatéralement une souveraineté souvent très discutable. Le problème de la Mer de Chine du Sud est le plus médiatisé et le plus visible, et il ne concerne pas seulement le conflit sino-vietnamien. Tous les riverains, qui ont en commun d’être membres de l’ASEAN, sont concernés. Après l’arbitrage rendu l’été dernier par la cour de la Haye, le statut d’eaux internationales du centre de la Mer de Chine du Sud a été affirmé, pour être aussitôt refusé par Pékin. La Chine avait pourtant signé et ratifié la Loi de la Mer au nom de laquelle elle a été condamnée. Immédiatement, la diplomatie chinoise dont les principaux efforts consistaient jusque-là à diviser l’ASEAN, par obligés (Laos et Cambodge) interposés, pour empêcher la signature d’un code de conduite, a changé de tactique. Elle a entrepris une offensive de charme -couronnée d’un certain succès- en direction du fantasque président Philippin, puis vers la Malaisie qui ne s’est pas montrée insensible. Le Vietnam lui-même, dont les intérêts économiques restent imbriqués avec ceux de la Chine, se refuse à envenimer le conflit. Ce qui ne l’empêche pas, de manière semi-officielle, de se dire favorable à une implication des Etats-Unis dans la zone.

Mais ce problème va plus loin que la souveraineté et le désastre écologique en cours. 40% du trafic maritime de marchandises passe par la Mer de Chine du Sud, ainsi qu’un fort trafic aérien. Le maintien de la liberté de circulation dans cette zone est primordiale non seulement pour les riverains, mais aussi pour la Corée du Sud et du Japon, qui demeurent de solides alliés des Etats-Unis. Il est probable que la Navy continuera d’envoyer des bâtiments patrouiller en Mer de Chine du Sud. Le Ministre de la Défense français a d’ailleurs souhaité que des patrouilles européennes aient aussi lieu. On imagine mal un conflit frontal sino-américain, mais des frictions entre bâtiments ne sont pas à exclure, qui pourraient conduire à un accident dont la gestion serait forcément à risques.

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