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Horoscope 2016, année du singe en Chine, tout peut arriver ! (1) : La Chine, un nouveau Japon ?

Tribune
18 janvier 2016
Crise boursière, dévaluation du yuan, décélération de la croissance… En ce début d’année, la Chine se retrouve encore une fois, comme en août 2015, sous les feux de l’actualité économique et financière. Nombreuses sont les analyses qui se focalisent sur les fragilités financières de la Chine, ces dernières constituant le catalyseur de la prochaine crise économique mondiale. Les mauvais augures vont même jusqu’à invoquer la numérologie : le 13ème plan quinquennal chinois (2016-2020) pourrait bien être le dernier, comme le fût le 13ème plan de l’ex-URSS qui signifia l’effondrement du régime soviétique en 1991. Si la crise boursière actuelle cache effectivement la forêt d’une crise financière de plus grande envergure, il est intéressant de se remémorer l’expérience japonaise des années 1990 et la (les) décennie(s) de transition observée(s) depuis lors.

Japon : du sentiment d’opulence à la crise des années 1990

Comme la Chine d’hier, le Japon des années 1960 est une nation qui ambitionne de dépasser l’occident et de rattraper les Etats-Unis en imposant son Made in Japan à l’économie mondiale. L’irrésistible montée en gamme japonaise, les impulsions données par les gouvernements successifs et la structure si particulière de l’économie dominée par les relations intimes entre l’administration, les banques et les entreprises insufflent une dynamique impérieuse au Japon dans les années 1970. D’atelier textile mondial dans les années 1950, le Japon est rapidement devenu le symbole d’une économie high tech et innovante dans les années 1970, puis une puissance financière majeure dans les années 1980. Rapidement deuxième économie mondiale, le Japon des années 1980 est conquérant et nombreuses sont les analyses de cette époque à confirmer le miracle et futur règne japonais. L’histoire économique retiendra malheureusement que le Japon resta au pied de la première place mondiale, faute de n’avoir su corriger ses excès passés.

La crise économique japonaise est née de l’explosion de la bulle immobilière et de la bulle observée sur les marchés actions au début de la décennie 1990, ces bulles étant elles-mêmes liées à l’excès d’endettement de la seconde moitié des années 1980, une période durant laquelle la politique monétaire, dédiée au soutien de la croissance et à la lutte contre la forte appréciation du yen enregistrée entre 1985 à 1989, s’est révélée par trop expansionniste. Deux chocs exogènes avaient en effet particulièrement affecté l’économie japonaise à cette époque : le phénomène d’endaka (forte appréciation du yen), consécutif aux accords du Plaza de 1985, qui avaient entrainé une hausse de la monnaie japonaise face au dollar de près de 95% entre septembre 1985 et novembre 1988 et la montée en puissance des nouveaux concurrents asiatiques portés par le modèle de développement asiatique dits des oies sauvages. Alors que l’environnement international aurait dû impulser un recentrage partiel des différents moteurs de la croissance, l’économie japonaise s’est complu dans une forme de paradoxe de la tranquillité [1], le sentiment d’opulence et d’optimisme de la société japonaise permettant à l’ensemble des acteurs (Etat, entreprises et ménages) de s’endetter à des niveaux très élevés sans rationalité économique affirmée. La croissance artificiellement renforcée par une bulle spéculative immobilière, l’irrésistible ascension de la Bourse de Tokyo, la montée des risques financiers pour l’ensemble des acteurs économiques et l’illusion d’une dynamique économique retrouvée ne permirent pas à l’économie japonaise de réagir assez rapidement au changement de politique monétaire imposé par la Banque centrale japonaise en 1990. La suite est bien connue : le Japon a subi une crise majeure qui s’est traduite par une chute des prix des actifs boursiers (-40% pour l’indice Nikkei entre 1989 et 1990), une baisse des prix de l’immobilier (ininterrompue jusqu’au milieu des années 2000), une hausse de l’endettement des entreprises et la montée des créances douteuses dans le secteur financier, deux années de récession (1992 et 1993) et l’entrée de l’économie japonaise dans un processus de déflation !

La faiblesse des réponses apportées par le gouvernement japonais, l’absence de prise en compte du caractère structurel des difficultés de l’économie et l’inadaptation des structures de gouvernance ont fait entrer le Japon dans ce que les optimistes appellent une « décennie de transition » et les pessimistes une « décennie perdue », marquée notamment par la déflation, un enchainement de plans de relance annuels et une instabilité politique nouvelle et majeure. Au milieu des années 2000, le Japon devait même laisser sa place de deuxième puissance économique mondiale à la Chine…

La Chine face à une décennie de transition ?

La Chine a connu, en l’espace de 6 mois, une forte correction boursière (un effondrement d’environ 40% par rapport à ses plus hauts de juin 2015, après une hausse très marquée sur les 18 mois précédents) et le yuan a enregistré une nouvelle dévaluation en ce début d’année 2016, après celle observée en août 2015. Et dire qu’en novembre dernier, le FMI intégrait le yuan dans les droits de tirage spéciaux (DTS), le panier de réserve de devises de l’institution : une forme de reconnaissance ultime de la puissance économique et financière de la Chine !

Plus globalement, les analyses actuelles se focalisent sur le ralentissement chinois pour expliquer les perturbations présentes et proposent un scénario noir pour l’économie mondiale dans les mois à venir. A y regarder de plus près, il faudrait pourtant arrêter de se focaliser sur ces aspects conjoncturels pour comprendre les profonds changements de l’économie chinoise.

Oui, la Chine ralentit. Mais elle ralentit depuis près de 5 ans : le taux de croissance de son économie est passé de 10,6% en 2010 à 6,9% en 2015, après avoir culminé, en 2007, à plus de 14% !

Oui, la Chine ralentit. Mais dès 2008-2009, le gouvernement chinois a entrepris un plan de relance massif de plus de 450 milliards d’euros pour limiter la contagion de la crise financière internationale. Ce mouvement s’est accompagné d’une forte augmentation des dettes contractées par l’ensemble des agents économiques. La dette chinoise globale représentait près de 282% du PIB en 2014, contre 121% en 2000. La dette du seul Etat chinois est, elle, passée de 23% du PIB à près de 55%, celle des sociétés financières de 7% à 65%, celle des entreprises de 83% à 125% et celle des ménages, enfin, a été multipliée par 5 sur la même période. En 2015, les baisses successives de taux d’intérêt et les allègements réalisés sur les taux de réserves obligatoires des banques ont impulsé une nouvelle fuite en avant de l’endettement des agents économiques.

Oui, la Chine ralentit. Mais elle est en train de vivre l’un des plus importants changements de modèle observé dans l’histoire économique. Le rééquilibrage en cours se réalise dans un environnement économique mondial dans lequel de nombreux signaux lui sont défavorables, sa transformation économique engendrant de multiples incertitudes pour la croissance des pays émergents, des pays producteurs de matières premières et des pays développés ! A la peine financièrement, et subissant de plein fouet le retournement des prix des matières premières initié par la baisse de la demande chinoise sur les marchés, les grands émergents (Brésil, Russie), qui ont subi une certaine re-primarisation de leurs économies dans les années 2000, restent extrêmement fragiles et un risque systémique lié à l’abaissement de leurs notes financières internationales n’est pas à exclure. Dans les pays développés, l’Europe tarde à rebondir, les Etats-Unis ne retrouvent pas les taux de croissance du passé et le Japon alterne les bonnes et les mauvaises nouvelles. Le cycle de politique monétaire amorcé aux Etats-Unis depuis décembre 2015 engendre des pressions à la hausse sur le dollar, monnaie dans laquelle se sont endettées de nombreuses entreprises de pays émergents, et notamment chinoises… Les prix du pétrole s’effondrent et, si ce mouvement permet de limiter la facture pétrolière des pays importateurs, et de la Chine en particulier, il est également susceptible de provoquer une dynamique de déflation dans un pays marqué par la présence de surcapacités industrielles.

Tout comme le Japon des années 1990, la Chine est entrée dans une « décennie de transition » mais, contrairement à lui, la Chine ne connait pas encore de sentiment d’opulence. Avec un PIB par tête d’environ 7 600 $ courants en 2014 (Banque mondiale) (contre près de 25 000 $ courants pour le Japon en 1990), la Chine doit sortir de la trappe des pays à revenu intermédiaire en rééquilibrant sa croissance économique vers la consommation et les services, en réussissant sa montée en gamme, et en gérant au mieux, le dégonflement des bulles spéculatives immobilières et boursières observées depuis quelques années. Tout comme le Japon des années 1990, les autorités chinoises peinent à juguler les errements boursiers. Mais un effondrement marqué de l’économie chinoise aurait des conséquences beaucoup plus importantes pour l’ensemble de l’économie mondiale.

Alors que l’Union européenne discute à l’heure actuelle pour savoir si la Chine est devenue une « économie de marché », la Chine nous démontre qu’elle en a déjà tous les maux : endettement, bulles spéculatives, politique économique difficilement maitrisée… et risque financier systémique.

Finalement 2016 est une année où tout pourrait arriver… surtout en Chine !

 

[1] Le paradoxe de la tranquillité est un concept développé par H. Minsky.
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