ANALYSES

« Un Nobel de la Paix de rattrapage pour l’UE »

Presse
12 octobre 2012
Pascal Boniface - Le Soir (Belgique)

Et s’il ne s’agissait que d’un prix par défaut, faute d’un « vrai » récipiendaire ? Les réponses de Pascal Boniface, directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et enseignant à l’Institut d’Etudes européennes de l’Université de Paris 8.


Certains commentateurs soulignent que le Prix Nobel de la paix est attribué à une Union européenne en crise. Faut-il y voir la volonté du Comité Nobel de lui rendre un crédit perdu ?

Non, car le Prix Nobel de la Paix n’a pas pour objectif de rendre le moral aux populations. C’est peut-être un choix par défaut, dans la mesure où nul autre ne s’est imposé. On avait évoqué le peuple syrien comme récipiendaire, mais il est difficile de remettre un prix à un peuple en guerre civile. Et s’il avait été attribué à l’opposition au régime, il aurait fallu relever le fait que toute l’opposition syrienne n’est pas pacifique, loin de là. Et puis, dans tout le maelström des conflits qui incendient la planète, de nombreuses personnes méritantes ont déjà reçu le Nobel de la Paix.


Pour l’Europe, c’est donc plutôt un rattrapage par rapport à la paix qu’elle a réussi à instaurer. Non seulement en Europe, mais aussi en dehors de l’Europe. Si le Prix Nobel de la Paix de Barack Obama était prématuré, celui-ci vient au contraire bien tard par rapport aux mérites de la construction européenne, par rapport à la pacification des relations sur le continent européen.


Au fait, ce Prix Nobel récompense-t-il l’institution qui a réussi la pacification de l’Europe après-guerre et/ou son rôle de « soft power » capable d’œuvrer à la paix sur la planète ?

Il y a en effet deux aspects complémentaires, très liés. Le fait de dire que des pays qui ont passé des siècles à se battre ont décidé de faire la paix – à commencer par les ennemis principaux qu’étaient la France et l’Allemagne –, que les erreurs de l’après-Première Guerre mondiale n’ont pas été répétées grâce à la vision géniale de gens qui ont préféré la réconciliation à la vengeance, a permis d’éviter la guerre. Même s’il ne faut pas cacher le fait que la menace soviétique a servi d’aiguillon important.


Une fois la paix établie en son sein, l’Europe a joué un double rôle pacificateur. Ainsi, d’une part, elle donne aujourd’hui l’exemple en montrant aux peuples en conflit une France et une Allemagne désormais proches. Et d’autre part, si entre les peuples de l’UE les différences nationales, d’intérêts, etc. continuent d’exister, elle démontre que jamais il n’est question de résoudre les problèmes existants par la force. C’est toujours par la négociation que ceux-ci sont résolus, même si parfois certains trouvent ces négociations trop longues. Mais mieux vaut de longues négociations qu’une guerre rapide.


Enfin, le soft power a fait de l’Europe une puissance qui est plus réticente que les autres à imposer sa volonté. Elle est davantage dans la négociation, dans la médiation, dans l’aide, que dans la volonté d’imposer ses conditions. Même s’il faut reconnaître qu’elle a parfois encore cette tentation, mais moins que les Etats-Unis, ou qu’autrefois l’Union soviétique.


Ce soft power n’aurait probablement pas autant de latitude si elle n’était protégée par le parapluie atlantique…

C’était vrai quand la menace soviétique existait, mais plus aujourd’hui. Pour servir de médiation ou apporter de l’aide aux pays africains, l’Europe n’a nul besoin du parapluie américain.


Ce Prix Nobel n’est-il pas aussi paradoxal dans la mesure où la politique étrangère de l’UE ne brille ni par son homogénéité ni par son dynamisme ?

C’est le moins que l’on puisse dire. Et là, on peut affirmer que le parapluie américain est davantage un frein, ou qu’il empêche de concevoir l’indépendance en matière de politique étrangère. C’est vrai que l’Europe de la Défense est un peu en panne. Mais l’Europe « puissance tranquille » est un concept qui se dégage tout de même. Aujourd’hui, nous ne voyons plus que les moments où les Etats membres de l’Europe ne sont pas d’accord, alors qu’il y a trente ans on soulignait au contraire les cas où ils parvenaient à se s’accorder.


On entend parfois dire en dehors du Vieux Continent que la construction européenne est quelque chose de fabuleux car elle a réussi à écarter le spectre de la guerre. Mais cette image n’est-elle pas en train de s’abîmer à force d’immobilisme ?

L’Europe ne séduit plus guère les Européens, mais elle séduit toujours les peuples en dehors de l’Europe à juger des Etats qui veulent adhérer et de tous ces gens qui veulent y venir pour travailler ou pour passer des vacances. Le paradoxe de l’Europe est qu’elle est plus attractive en dehors qu’en dedans. Et puis, il y a la crise économique. C’est une problématique importante.


L’Allemande Angela Merkel justifie ce prix par l’existence de l’euro, l’Elysée par la croissance et l’emploi… On a l’impression que certaines capitales profitent de l’aubaine pour mettre en avant leurs priorités.

Effectivement. Les populations voient les résultats, les succès et les échecs. Autrefois, l’Europe apparaissait comme un abri, comme une protection. Aujourd’hui, elle a du mal à redémarrer. La question de la croissance et de l’emploi est devenue essentielle aux yeux des citoyens. Quant à la paix, elle est naturelle pour les nouvelles générations. Pour les précédentes, la paix était à faire et à conserver.

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