ANALYSES

Européennes 2014 : et la démocratie dans tout ça ?

Presse
12 mai 2014

Associer la "construction européenne" et la "paix" va de soi (ou presque). A l’inverse, la relation avec la démocratie semble plus équivoque. L’Union européenne demeure critiquée pour son "déficit démocratique": ses traités institutifs comme ses "lois" seraient conçues dans l’opacité et "loin" des peuples, par des acteurs politiques et technocratiques à la légitimité douteuse. Un discours -ou procès- récurrent, permanent, nourri par l’actuelle vague d’ "europhobie".


Pourtant, le principe démocratique est au cœur du projet européen. La genèse de la construction européenne réside dans la volonté de rompre avec les idéologies antidémocratiques -fascisme, nazisme et communisme- à l’origine de régimes européens autoritaires ou totalitaires. L’appartenance de tous les Etats fondateurs au modèle de la démocratie représentative ne justifiait d’ailleurs aucune précision particulière dans les traités institutifs. Les préambules des traités de Paris (1951) et de Rome (1957) évoquaient uniquement la sauvegarde de la paix et de la liberté. Le respect et le maintien de la démocratie représentative allaient de soi, comme l’atteste la déclaration sur la démocratie adoptée par le Conseil européen de Copenhague, le 8 avril 1978: "le respect et le maintien de la démocratie représentative et des droits de l’homme dans chacun des États membres constituent des éléments essentiels de l’appartenance aux Communautés européennes".


Créées dans le contexte de la Guerre froide, les communautés européennes ne pouvaient donc pas concerner les Etats (certes européens, mais) qui appartenaient au "Bloc de l’Est", et membres du COMECON et du pacte de Varsovie. Aussi, la "neutralité" pour laquelle ont opté certains états européens (la Suède, la Finlande, voire l’Autriche et la Suisse) était-elle de nature à faire obstacle à leur demande d’adhésion. Enfin, le basculement dans la démocratie parlementaire a permis à des états européens du Sud (Portugal, Espagne et Grèce) de poser sérieusement la question de leur adhésion aux communautés européennes. Avec la chute du "Mur de Berlin", la perspective de l’adhésion des PECO à l’Union a incité les états membres à formaliser une conditionnalité politique à toute intégration. L’impératif démocratique a été évoqué par une nouvelle Déclaration de Copenhague (1993) et par le traité de Maastricht, avant que le traité d’Amsterdam n’inscrive une mention explicite à cette conditionnalité politique. Le traité de Lisbonne (2009) a consacré cette tendance: non seulement tout Etat candidat à l’Union doit répondre à cette "exigence démocratique", mais un Etat déjà membre peut se voir sanctionné en cas de violation de cet impératif politique.


Ainsi, la question démocratique accompagne-t-elle l’intégration européenne. Une question qui n’est pas vraiment résolue -loin s’en faut- mais à laquelle l’union européenne, critiquée pour son "déficit démocratique", dépourvue de peuple "propre" (ou demos européen) et de puissance souveraine, tente de répondre au "défi démocratique" par une parlementarisation de son fonctionnement.


Parlementarisation rime-t-elle forcément avec démocratisation de l’Union européenne? Le Traité de Rome (1957) a d’emblée posé les fondements d’une union politique européenne basée sur les principes démocratiques communs aux états membres, avec en particulier la création de l’institution type de la démocratie représentative: une assemblée délibérative, un Parlement européen. Ce n’est toutefois qu’au terme d’un long processus politique et juridique que l’Union européenne se caractérise aujourd’hui par l’existence en son sein d’une institution parlementaire élue au suffrage universel direct (depuis 1979). Le Parlement européen constitue pour les citoyens une nouvelle institution de représentation. Les élections européennes dotent la construction européenne d’une assise populaire de légitimité. Mieux, au-delà de sa fonction de représentation, le Parlement européen a vu ses pouvoirs monter en puissance, en matière législative, budgétaire et de contrôle (politique). Le Parlement européen se distingue donc radicalement des assemblées que comptent les organisations internationales classiques (y compris l’Assemblée générale de l’ONU ou du Conseil de l’Europe, composées de représentants des états et dépourvues de pouvoir décisionnel). L’institution parlementaire de l’union est au cœur de l’espace public/politique européen. Du reste, le Parlement de l’union coexiste -plus qu’il n’est en concurrence- avec les parlements nationaux des états membres. Ces derniers incarnent la face nationale de la démocratie représentative européenne et contribuent à la légitimation démocratique du projet européen. A l’instar du Parlement français, les assemblées nationales ne cessent de se voir renforcer dans leurs prérogatives en matière européenne.


L’Union européenne crée ainsi un nouvel espace politique présentant la particularité de réunir une pluralité d’assemblées parlementaires. Face à l’image tenace d’une Europe technocratique et intergouvernementale, "l’Europe des assemblées" devient une réalité institutionnelle et politique. L’espace européen est un « espace parlementaire » qui favorise l’émergence d’un modèle européen de démocratie parlementaire et un "parlementarisme multiniveaux". Le phénomène n’est pas neutre. Il résulte de la manifestation d’une volonté politique et de stratégies institutionnelles d’assemblées parlementaires porteuses de deux légitimités démocratiques distinctes et complémentaires, qui tentent de faire contrepoids aux exécutifs et aux technocrates, nationaux et européens. Toutefois, il convient de ne pas céder au schéma simpliste d’un "face-à-face" entre les entités démocratiques, d’un côté, et non démocratiques, de l’autre. Non seulement les parlements nationaux assurent un soutien politique à leur propre gouvernement au sein du système de l’union, mais le fonctionnement du système institutionnel de l’union repose lui-même sur une collaboration fonctionnelle entre la Commission, le Conseil et le Parlement européen. Aujourd’hui encore le système politique de l’Union repose sur l’interaction de ces trois institutions indépendantes et aux natures différenciées.


Paradoxalement, cette parlementarisation de l’Europe n’a permis ni de renforcer substantiellement le lien entre l’Union et ses citoyens, ni de lutter contre le sentiment de défiance que ces derniers entretiennent à l’égard de "Bruxelles". Preuve que derrière la crise politique de l’union, il y a surtout une crise de la démocratie représentative. Au-delà des diverses pistes de réflexion déjà existantes pour y remédier, il serait temps de réaliser l’une des expressions de l’idéal européen: organiser des élections européennes animées par des listes électorales transnationales, sur la base d’une seule et même circonscription: le "territoire de l’Union", son espace politique.

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