ANALYSES

La Dame et le Président aux Etats-Unis : vers une normalisation des relations américano-birmanes

Tribune
5 octobre 2012
Par Jeanne Perrin, Diplômée d’IRIS SUP’
Depuis le premier embargo initié par Bill Clinton en mai 1997 – interdiction des investissements en Birmanie – jusqu’à la dissolution de la junte militaire en 2011, les relations américano-birmanes se résumaient à un ostracisme diplomatique tous azimuts isolant le pays sur l’échiquier international. Pour répondre aux violations répétées des droits de l’homme et aux répressions sanglantes dont faisait preuve la junte, les Etats-Unis ont successivement renforcé leurs sanctions économiques. Sous l’administration Bush, le Burmese Freedom and Democracy Act en 2003, puis le Burma Jade Act en 2008 interdirent toutes les exportations de services financiers ainsi que toutes les importations de produits birmans sur le sol américain, instaurèrent le gel des avoirs et privèrent de visas plusieurs hauts responsables militaires. La Birmanie faisait partie des pays classés par Condoleezza Rice comme « l’avant-poste de la tyrannie », avec le Zimbabwe, Cuba et la Biélorussie. Ces sanctions furent maintenues et prolongées lorsque Barack Obama entra à la Maison Blanche. Cependant, depuis la nomination d’un gouvernement civil en mars 2011, les réformes entreprises par Thein Sein, aussi spectaculaires qu’inattendues, et la tournure encourageante qu’ont pris les récents événements en Birmanie – pour n’en citer que quelques-uns, l’élection de l’opposante birmane au Parlement, la libération de centaines de prisonniers politiques et la fin de la censure sur la presse – ont permis à Washington de reconsidérer ses relations avec Naypyidaw.

En décembre 2011, la visite d’Hillary Clinton en Birmanie signe le retour du pays sur la scène diplomatique internationale : le moment est historique, il n’y avait pas eu de chef de la diplomatie américaine sur le sol birman depuis cinquante ans. En guise de reconnaissance des progrès accomplis, les Etats-Unis annoncent dès le printemps une levée progressive des restrictions tout en maintenant le cadre juridique des sanctions. La prudence est de mise, les avancées ne sont pas irréversibles. En avril 2012, les sanctions interdisant l’exportation de certains services financiers dont ceux à visée humanitaire, démocratique, éducative, sociale et sanitaire, sont levées. Le 17 mai, Washington nomme un ambassadeur en Birmanie, Derek Mitchell, le premier depuis 22 ans. Le 12 juillet, le Président Obama annonce un allègement des sanctions économiques qui permet des investissements américains sous surveillance. Si les entreprises devront rester encadrées, elles peuvent investir dans différents secteurs, notamment le gaz et le pétrole. Très vite, des géants de l’industrie américaine voient en la Birmanie un nouvel eldorado et accompagnent le 31 juillet la Secrétaire d’Etat H. Clinton au Cambodge, en marge du sommet de l’ASEAN, pour rencontrer le Président birman. Durant l’été 2012, General Electric, PepsiCo et Coca-Cola sont les premières entreprises américaines à se réintroduire dans le pays. Le 20 septembre, alors que la Dame de Rangoon entame son périple aux Etats-Unis, et qu’elle déclare sa confiance au nouveau gouvernement de son pays, Washington retire les noms de Thein Sein et du Président de la Chambre Basse du Parlement Shwe Mann de la liste noire des Specially Designated Nationals . Enfin le 26 septembre, après avoir rencontré le Président birman en marge de l’Assemblée Générale de l’ONU, Hillary Clinton annonce la levée des sanctions interdisant les importations. Avec le retour du « made in Burma » aux Etats-Unis, c’est un nouveau souffle pour l’économie birmane, et un vent d’optimisme pour la société civile, qui avait beaucoup souffert du chômage résultant du boycott américain notamment sur le secteur du textile, dont la Birmanie était un important exportateur aux Etats-Unis. En ouvrant les portes du marché américain, l’administration Obama vient de donner à la Birmanie l’opportunité de libérer sa croissance, alors qu’elle est actuellement l’un des pays les plus pauvres de la région.

En ce début d’automne 2012, alors que la Dame de Rangoun et le Président se croisent et se saluent sur le sol de la première puissance mondiale, la Birmanie réintègre progressivement sa place dans le concert des nations. De Bill à Hillary Clinton, quinze ans de sanctions américaines ont condamné une dictature militaire et ont conduit le nouveau gouvernement civil à entreprendre des réformes. Jusqu’à lors sous grande influence de la Chine, la Birmanie va s’ouvrir au marché américain, relancer à la fois son économie et ses relations diplomatiques avec les Etats-Unis. Pour ces derniers, c’est aussi un moyen d’asseoir leur influence dans une zone stratégique de choix, entre l’Inde et la Chine, tandis que l’Asie-Pacifique est en train de devenir un enjeu crucial pour la politique étrangère américaine. En 2013, la Birmanie organisera les prochains jeux du sud-est asiatique, et l’on sait le coup de projecteur qu’engendre ce type d’événement sur le pays organisateur. En 2014, elle présidera l’ASEAN et rejoindra en 2015 une zone de libre-échange asiatique. Forte de ses ressources naturelles, la Birmanie d’hier qui ne représentait qu’un intérêt régional, entretenant malgré les sanctions des liens économiques avec ses pays voisins, pourrait bien devenir demain l’un des acteurs-clé de l’Asie du Sud-Est, convoitée par les puissances occidentales, si tant est qu’elle poursuive sa politique d’ouverture et trouve un règlement à ses conflits ethniques.
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