ANALYSES

Les Philippines, face aux revendications chinoises, ne sont pas seules

Tribune
15 mai 2012
Le 8 avril, des navires de la République populaire ont bloqué des bâtiments philippins qui tentaient d’arrêter des pêcheurs chinois ‘illégaux’. Quatre navires de l’ Agence de surveillance maritime (CMS) protègent actuellement de l’arraisonnement par les Philippins une dizaine de chalutiers chinois qui pêchent près de l’atoll (1).


En réalité les Chinois revendiquent toute la Mer de Chine méridionale et Scarborough s’appelle pour eux Huangyan Dao. Les revendications chinoises sont d’ailleurs exposées clairement dans la loi du 25 février 2012 sur la mer territoriale chinoise. « Son article 2 énumère les prétentions de Pékin : ‘La mer territoriale de la RPC est constituée par les eaux adjacentes à son territoire terrestre… Taïwan et les différentes îles connexes y compris l’île de Diaoyu (Senkaku), les îles de Penghu (les Pescadores), les îles de Dongsha (Pratas), les îles de Xisha (Paracels), les îles de Nansha (Spratlys) et les autres îles qui appartiennent à la RPC … ‘ »(2)


Pékin considère donc la mer de Chine méridionale comme son pré carré car c’est une zone stratégique militairement et riche en hydrocarbures et en ressources halieutiques.

Mais Manille revendique aussi la souveraineté des eaux autour de Scarborough – qu’elle appelle Panatag Shoal ou Bajo de Masinlóc – et qui sont situées à 124 milles nautiques de ses cotes, dans la limite de sa Zone économique exclusive (200 milles à partir de ses côtes).


Les deux Etats se disputent aussi l’archipel des Spratlys, également revendiqués par Brunei, la Malaisie, Taïwan et le Vietnam.

Menace chinoise et réaction de manille

La croissance de la menace chinoise, notamment maritime (3) , est perçue par Manille avec acuité à partir du milieu des années 90. En effet, dès 1994, la Chine occupe et établit progressivement une garnison sur les Mischief Reef, à 130 milles de Palawan. En réaction, le Congrès philippin examine en février 1995 un projet de loi de modernisation des forces armées qui prévoit 12-13 milliards de dollars de dépenses sur une période de 15 ans, montant finalement réduit de moitié faute de moyens (4) . Le budget de la défense ne représente ainsi que 1,5 % du PIB et est le plus limité des pays de l’Asean.

Hormis ses propres efforts, les Philippines peuvent cependant s’appuyer sur l’allié américain. Même si les bases militaires américaines ont été fermées en 1992, l’archipel continue d’être lié aux Etats-Unis par le Traité de sécurité mutuelle signé le 30 août 1951. Chaque partie agit conformément à son processus constitutionnel pour faire face au danger commun. Le traité couvre les attaques contre le territoire ‘métropolitain’ de chaque partie, ou des territoires d’îles sous sa juridiction dans le Pacifique ou contre ses forces armées, ses vaisseaux ou avions dans le Pacifique.
L’importance de ce traité a été réaffirmée le 30 avril 2012 par une déclaration commune (5) .

Des manœuvres navales communes ont également lieu chaque année. Ainsi, 6000 soldats américains et philippins ont pris part durant la deuxième quinzaine d’avril à des exercices militaires conjoints dans l’archipel philippin.

Par ailleurs, les Philippines ont demandé fin avril le soutien des Etats-Unis pour les aider à se doter d’une « défense qui soit un minimum crédible ». Aussi Washington compte multiplier par trois son aide militaire annuelle aux Philippines en 2012. Selon l’ambassade américaine à Manille, les Philippines ont reçu près de 500 millions de dollars d’aide militaire américaine depuis 2002.

Pour aider les Philippines à reconstruire leur flotte, les États-Unis ont aussi fait don d’un navire de la Garde côtière vieux de 45 ans, et prévoient d’en céder un autre prochainement. Washington aide également Manille à développer un système de radars côtiers qui devraient aider le pays à surveiller ses rives.

Mais les Philippines ne sont pas les seules à être exposées à la puissance croissante de la Chine. Et de plus en plus se reconstitue un réseau militaire de pays alliés des Etats-Unis face à Pékin.

Ainsi, début mai l’US Navy a indiqué que le premier navire d’une nouvelle classe de frégates va être envoyé à Singapour au printemps 2013 pour un déploiement de dix mois, une première étape pour la marine américaine qui compte baser quatre de ces navires dans la cité-Etat. Dans le cadre de cette nouvelle stratégie, la Navy s’appuie sur le concept de « déploiements avancés » pour ces navires afin qu’ils puissent occuper la zone et réagir rapidement en cas de crise.


L’Australie est aussi concernée par ce redéploiement militaire américain, volonté stratégique des Etats-Unis de se recentrer sur la région Asie-Pacifique. A terme, 2500 marines seront déployés sur la base de Darwin (nord du pays). Des discussions auraient eu également lieu entre le premier ministre australien et le président américain concernant les îles Cocos. Il s’agirait de pouvoir utiliser ces îles à 2700 kms de l’Australie afin de pouvoir lancer des drones de reconnaissance vers la Chine méridionale.(6)

Les Etats-Unis se rapprochent également du Vietnam (7) , victime en 1974 de l’occupation par la Chine d’un autre chapelet d’îlots, les Paracels. Des navires de guerre américains font relâche dans les ports vietnamiens et des exercices navals communs ont même eu lieu fin avril.

Enfin, plus au Nord de la zone contestée, Japon et Corée du Sud renforcent leur partenariat stratégique avec les Etats-Unis.

Un conflit est-il possible ?

La Chine « a fait tous les préparatifs pour répondre à toute escalade de la situation du fait des Philippines », a déclaré lundi 7 mai un vice-ministre des Affaires étrangères chinois, Fu Ying, à un diplomate philippin à Pékin. Les tensions sont encore montées d’un cran jeudi 10 mai entre Manille et Pékin, la presse officielle chinoise affirmant avec force que Pékin n’hésiterait pas à entrer en guerre si besoin. Toutefois, vendredi 11 mai, le ministère de la Défense chinois a démenti que des unités militaires étaient sur le pied de guerre. De plus, dimanche 13 mai, des discussions ont repris entre Manille et Pékin sur leur différend (8) .

Cependant, la situation est sur la corde raide. « Avec le flottement actuel au sein de l’armée et du pouvoir en Chine , analyse un spécialiste des conflits à Pékin, il ne faut surtout pas minimiser la portée du moindre incident .(9) »

Dans ce contexte, la plus sûre « assurance-vie » pour Manille est, hormis le travail de la diplomatie, de s’appuyer sur les Américains et leurs alliés comme force dissuasive.


(1) Asie du Sud-Est. Chine et Etats-Unis face à face, Le Monde. Cahier Géo et Politique, Dimanche 13-Lundi 14 mai 2012
(2) Cyrille P. Coutansais. Géopolitique des océans L’eldorado maritime, p80 Ellipses mars 2012
(3) Lire notamment : http://www.affaires-strategiques.info/spip.php?article5146
(4) Rommel C. Banlaoi, Philippine naval modernization, Current Stateand Continuing Challenges, Philippine Institute for Peace, Violence and Terrorism Research, 2012
(5) Joint Statement of the United States-Philippines Ministerial Dialogue, Department of State, 30 avril 2012, http://www.state.gov/r/pa/prs/ps/2012/04/188977.htm
(6) « Base americaine dans les Cocos ? », DSI, numéro 81, mai 2012 p22
(7) Etats-Unis-Vietnam : d’ennemis intimes à alliés utiles, Aymeric Janier, Lemonde.fr, 27 avril 2012, http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2012/04/27/etats-unis-vietnam-d-ennemis-intimes-a-allies-utiles_1692070_3216.html
(8) « Ph, China resume talks », Jaime R. Pilapil, The Manila Times, 14 mai 2012, http://www.manilatimes.net/index.php/opinion/editorials/22871-ph-china-resume-talks
(9) Asie du Sud-Est. Chine et Etats-Unis face à face, Le Monde. Cahier Géo et Politique, Dimanche 13-Lundi 14 mai 2012
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