ANALYSES

Rencontre Obama / Hu : « La Chine s’affiche comme le pays le plus important de la planète »

Tribune
21 janvier 2011
Le président chinois s’est rendu à Washington du 18 au 21 janvier. Quels étaient les objectifs de cette rencontre ?
Le principal objectif de cette rencontre était bien évidemment de chercher une forme de partenariat ou d’accord général entre la Chine et les Etats-Unis sur un certain nombre de sujets. Il y avait une liste de sujets vraiment vastes en particulier du côté des demandes américaines, qui concernent à la fois les relations économiques et commerciales et les relations politico-stratégiques.
Dans le domaine commercial, on a vu à la fois les membres de l’administration Obama et peut-être plus encore les membres du Congrès avoir des exigences à l’égard de Pékin en ce qui concerne la valeur du RMB, considérée par les Américains comme très fortement sous-évaluée. Il y a donc des demandes de réévaluation de cette monnaie.
Il y avait également des attentes très fortes en matière de protection de la propriété intellectuelle puisqu’on sait que la Chine pratique de manière extrêmement soutenue la production de matériaux de diverses natures en copiant des productions occidentales. C’est un point sur lequel les membres du Congrès ont été particulièrement insistants quand Hu les a rencontrés au deuxième jour de sa visite. C’est, dans le domaine économique et commercial un des points de désaccord, ou de tensions qui ont été l’occasion de véritables discussions entre les deux parties.
Bien évidemment, on a réaffirmé d’un côté comme de l’autre l’importance de la relation économique et commerciale entre la Chine et les Etats-Unis, en particulier en temps de crise, et pour faire face à la crise. L’objectif n’était donc pas vraiment de mettre sur la table les divergences, mais de voir comment on peut travailler à partir de ces divergences pour essayer d’être plus forts encore.
Dans le domaine politico-stratégique, c’est un peu la même chose : on a parlé des sujets qui fâchent, des points de désaccord, et pour essayer finalement de trouver un véritable partenariat. On a énoncé le dossier nucléaire nord-coréen et côté américain on a reproché d’une certaine manière à la Chine de ne pas se montrer suffisamment claire et de ne pas se montrer, je dirais, presque suffisamment punitive à l’égard de Pyongyang. On a demandé une participation plus forte de la Chine. Même chose sur le dossier iranien, on a demandé, comme on le fait depuis maintenant plusieurs années à la Chine, de se montrer plus unie avec les puissances occidentales et plus vindicative face à Téhéran. Puis, on a également interrogé Hu sur la position de son pays sur le récent référendum dans le Sud-Soudan et s’il allait accepter, d’une certaine manière, le résultat de ce référendum, ou au contraire s’il risquait de mettre des bâtons dans les roues au processus d’indépendance qui est en marche dans ce futur pays.
Il y avait donc beaucoup de questions côté américain, beaucoup d’interrogations et puis beaucoup d’exigences effectivement, que ce soit au niveau économique et commercial comme au niveau politique. L’objectif de cette rencontre était avant tout d’essayer de voir comment est-ce qu’il est possible de construire de manière durable une véritable relation de confiance entre la Chine et les Etats-Unis.

Les relations sino-américaines ont été mises à mal en 2010 notamment avec la vente d’armes américaines à Taïwan, la rencontre du président Obama avec le Dalaï-Lama et les contentieux sur la souveraineté de la Mer de Chine. Pensez-vous que cette rencontre de début d’année soit le présage d’une meilleure entente pour 2011 ?

C’est effectivement l’objectif affiché de cette rencontre. Une rencontre qui d’ailleurs a été préparée de manière extrêmement minutieuse côté américain. Robert Gates, le Secrétaire à la Défense, s’était notamment rendu en Chine il y a quelques jours pour essayer de rétablir la confiance et le véritable dialogue stratégique entre les deux pays. Un dialogue qui effectivement a été mis à mal par la reprise des ventes d’armes à Taïwan l’an dernier. Donc, l’objectif était d’une certaine manière de valider, lors de cette rencontre de Hu Jintao avec Barak Obama les progrès qui ont déjà été réalisés au cours des derniers jours par Robert Gates en Chine. Il y a donc eu un processus de rétablissement de ce dialogue qui est tout à fait nécessaire, donc on repart effectivement sur de meilleures bases qu’en 2010 dans ce domaine.
En ce qui concerne la question des droits de l’Homme, elle a été évoquée par Barak Obama lui-même en conférence de presse. Il est intéressant de voir quelle a été la réponse de Hu Jintao à ces différentes remarques, une réponse qui a été très largement commentée d’ailleurs aux Etats-Unis. Hu Jintao a expliqué que la Chine avait encore des progrès à faire en matière de droits de l’Homme, et qu’elle a besoin d’apprendre de la part des autres grandes puissances. Un discours qui tranche de manière considérable avec ce que l’on entend d’habitude de la part des dirigeants chinois qui essaient d’effacer toute forme de remarque ou de critique sur la question, et le cas échéant, n’y répondent pas. Lui a abordé la question, est-ce que ce sera suivi des faits ? Il ne faut pas non plus se faire d’illusions sur la question, mais toujours est-il qu’on note une certaine évolution de la posture du président chinois sur la question, qui se montre d’une certaine manière plus ouvert à discuter au moins de la question des droits de l’Homme. Donc, un petit progrès en la matière.
On a également parlé de la question qui déplait, Barak Obama ayant fait usage de la franchise qui le caractérise. Il a ainsi parlé du Tibet, point sur lequel là encore il ne faut pas se faire d’illusions, et c’est peut-être une certaine forme de naïveté de la part du président américain, comme d’ailleurs des autres dirigeants, de croire que l’on peut infléchir la position de Pékin sur cette question. Mais, encore une fois, il est assez intéressant que l’on puisse aujourd’hui dialoguer avec le président chinois sur des questions de ce type.
Donc, globalement, cette rencontre a été intéressante dans la mesure où elle a vraiment été placée sous le signe du dialogue et du partenariat entre les deux pays. Il n’y a pas eu de « fausse note » comme on avait pu les noter quand Bill Clinton s’était rendu en Chine dans les années 1990, où il avait abordé la question des droits de l’Homme et qu’il lui avait été reproché côté chinois de faire de l’ingérence dans les affaires politiques intérieurs chinoises, ou encore quand M. Bush avait reçu Hu Jintao en le présentant comme le « Président de la République de Chine », qui en fait est le nom officiel de Taïwan. Deux fausses notes que l’on n’a pas retrouvées cette fois. Washington a sorti le tapis rouge, a reçu Hu Jintao comme un véritable ami des Etats-Unis, et globalement, cette rencontre a été très bien accueillie à la fois aux Etats-Unis comme en Chine.

Des contrats de 45 millions de dollars ont été signés, les droits de l’Homme évoqués ; les deux parties sortent-elles gagnantes de ce sommet ?

Je dirais que les deux parties ne sortent pas également gagnantes de ce sommet.
La Chine a beaucoup plus progressé à l’occasion de cette rencontre que les Etats-Unis. Côté américain, on avait une liste de doléances qui était extrêmement longue : on voulait demander des choses à Hu Jintao. Certaines de ces doléances étaient quasiment irréalisables, ou étaient quelque peu naïves. Je pense notamment à John Boehner, le nouveau leader de la Chambre des Représentants, Républicain, qui est arrivé il y a quelques semaines seulement à son poste, et qui ne connaît pas véritablement la politique internationale ; il a demandé tout un tas de choses à Hu Jin Tao en matière de démocratisation et a annoncé aux journalistes : « Les Américains ont le droit de demander n’importe quoi à qui ils le veulent ». Ce qui est vrai dans les faits, mais cela signifie-t-il pour autant que ces demandes auront été entendues par la Chine ? Je me permets d’en douter.
Cette forme de naïveté fait que l’on perçu les Etats-Unis un petit peu en position de faiblesse lors de cette rencontre. Le pays a besoin de la Chine aujourd’hui, et a besoin de ménager radicalement la Chine qui possède des bons du Trésor de l’ordre de quasiment 1000 milliards de dollars et puis qui, d’une certaine manière, alimente un petit peu la croissance mondiale aujourd’hui.
A l’inverse, je crois que cette visite a confirmé dans quelle mesure les Etats-Unis sont de moins en moins importants pour la Chine. La seule chose qui importait véritablement à Hu Jintao dans cette visite était que le tapis rouge lui soit déballé, qu’on l’invite à la Maison Blanche dans le cadre d’un gala, puis d’un dîner de travail avec Barak Obama en privé ; bref, qu’on le traite véritablement comme un ami, et par conséquent que l’on consacre la montée en puissance de la Chine. Donc, il y avait beaucoup de symboles qui étaient mis en avant côté chinois. En revanche, la Chine n’avait absolument rien à demander aux Etats-Unis. La seule chose que les Chinois veulent aujourd’hui, c’est que la relation reste ce qu’elle est puisqu’elle permet à la croissance chinoise de continuer à évoluer à un rythme vraiment soutenu et qu’elle lui permet de pouvoir, jour après jour, consolider un peu plus sa puissance sur la scène internationale. Sans exigences ni demandes particulières, la Chine se présentait ainsi en véritable position de force face aux Etats-Unis.
Je pense qu’on retiendra peut-être de cette rencontre que la Chine s’affiche désormais sinon comme la première puissance mondiale, ce qu’elle deviendra dans quelques décennies, au moins comme le pays le plus important de la planète, et ce, y compris pour la première puissance que sont les Etats-Unis.

*Barthélémy Courmont est par ailleurs Directeur associé, sécurité et défense, chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques (UQAM) et rédacteur en chef de la revue Monde chinois. Il a récemment publié La Tentation de l’Orient. Une nouvelle politique américaine en Asie-Pacifique
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