ANALYSES

Quand Pékin teste Tokyo… et Washington

Tribune
16 octobre 2010
Pour manifester de manière forte son mécontentement, pendant toute la durée de la détention de Zhan Qixiong (le capitaine du bateau de pêche en question) au Japon, la Chine a gelé les négociations sur les tarifs des exportations de charbon vers le Japon ainsi que sur l’augmentation du nombre des liaisons aériennes avec son voisin. A ces mesures sont venues s’ajouter les multiples convocations de l’ambassadeur du Japon à Pékin. Des coups dont l’objectif était de mesurer la capacité de résistance de Tokyo, quand on sait que le Japon est de plus en plus dépendant de l’économie chinoise, et qu’il ne peut se permettre, comme c’était encore le cas il y a quelques années, de se mettre à dos son voisin.

Le pragmatisme a en effet été de rigueur dans les relations entre les deux pays au cours des dernières années, après les gesticulations des nationalistes japonais, et leur instrumentalisation côté chinois. Cette crise survient même après une période d’accalmie de plusieurs années entre Tokyo et Pékin, et plusieurs rencontres au sommet qui furent l’occasion d’aplanir les différends. Depuis 2006, les deux pays s’étaient même plutôt retrouvés sur des dossiers communs, notamment la gestion de la crise économique internationale. Et depuis l’arrivée au pouvoir du Parti Démocrate du Japon, en septembre 2009 (avec Yukio Hatoyama comme Premier ministre, puis Naoto Kan), les tensions s’étaient apaisées de manière encore plus forte, les nationalistes japonais étant mis à l’écart.

Le gouvernement de Naoto Kan a fortement fait les frais de sa posture, étant tiraillé entre les remontrances de Pékin et les critiques de l’opinion publique, qui lui reproche d’avoir cédé trop facilement aux exigences de la Chine. Sa côte de popularité en a d’ailleurs très douloureusement fait les frais, tandis que les nationalistes exultent. Dans le bras de fer qui l’oppose à Pékin, la marge de manœuvre de Tokyo est étroite, et les dirigeants chinois le savent très bien. C’est pourquoi cette affaire semble plus s’apparenter à un véritable test qu’à un incident malheureux. La Chine cherche ainsi à voir quelles sont les réactions des pays avec lesquels elle a des différends territoriaux (c’est-à-dire quasiment tous ses voisins maritimes), et surtout quelle est sa capacité de persuasion, à l’heure où le PIB chinois surpasse celui du Japon, pour s’installer au deuxième rang mondial, en attendant mieux. La Chine d’aujourd’hui n’a pas les mêmes arguments que celle d’hier, et on peut imaginer que ce type d’évènement se multiplie à l’avenir.

Dans les différentes crises qui ont opposé les deux géants économiques d’Asie au cours des dernières années, on relève également une constante. A chaque reprise, la Chine s’est efforcée, en testant le Japon, d’observer dans le même temps les réactions de Washington. Pour des raisons d’ailleurs sensiblement identiques, et un contexte politique qui rapproche Tokyo de Washington. Les Etats-Unis et la Chine traversent une période plutôt calme dans leurs relations parfois houleuses, et depuis les affaires sanitaires-commerciales de 2007 (produits Made in China de mauvaise qualité, et soupçonnés de risques d’empoisonnement), les deux pays s’en tiennent à des remontrances assez classiques, sur la question de Taiwan, la rencontre Obama – Dalai Lama, ou encore le taux du Yuan. Bref, la routine pourrait-on presque dire. Mais sur le fond, les deux pays ne montrent pas d’animosité réciproque, et la récente reprise des dialogues stratégico-militaires est même un signe du bon climat qui règne sur le Pacifique. Dans ce contexte, la manœuvre de Pékin consiste à tester la patience de Washington (mais aussi sa capacité à répondre, en pleine campagne des élections mi-mandat, et tandis que Barack Obama souffre d’une côte de popularité en berne). Enfin, Pékin teste la force du partenariat Tokyo-Washington, et par la même occasion sa capacité à s’imposer comme la principale puissance politique en Asie dans les prochaines années. Difficile de savoir si ces méthodes sont bienvenues,

Une chose est certaine en tout cas : de son côté, le Japon s’interroge encore aujourd’hui sur l’attitude qu’il doit adopter à la fois face à ses voisins, dans une région qui s’impose de plus en plus comme un pôle de puissance incontournable, mais également à l’échelle internationale. La relation avec les Etats-Unis, l’identification des risques sécuritaires, la question de la souveraineté ou encore le regard porté sur son environnement régional sont ainsi devenues des questions de géopolitique dont Tokyo ne peut faire l’économie.


Barthélémy Courmont est par ailleurs responsable du Bureau de l’IRIS à Taiwan, chercheur au CET. Il vient de publier Géopolitique du Japon, aux éditions Artège.
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