ANALYSES

Et si l’Allemagne quittait la zone euro ?

Tribune
16 avril 2010
De ce point de vue, cette aide s’apparente bien à une subvention déguisée. Toutefois, même si les subventions sont très strictement encadrées par les institutions européennes, elles ne sont pas interdites. Elles doivent, pour être autorisées (tolérées ?) être déclarées et in fine remboursées par le bénéficiaire. Cela vaut pour les entreprises européennes mais qu’en est-il des Etats ? La règle reste assez évasive et il est peu probable que les Etats soient traités comme des entreprises et ce, d’autant mois que ce sont tous les autres Etats européens qui se sont mis d’accord pour accorder cette aide. Or, la politique de concurrence de l’Union européenne règlementant les subventions des Etats aux entreprises a d’abord été élaborée pour protéger les entreprises des distorsions de concurrence entre des Etats qui subventionnent régulièrement leurs entreprises et ceux, qui respectent la libre-concurrence et le marché.

Néanmoins, cette réaction d’un citoyen allemand à l’annonce de l’aide européenne à la Grèce, après les réticences du gouvernement allemand à ce même propos ou précédemment, fin 2008, à participer de manière conséquente à un plan de relance européen sont assez instructifs de l’état d’esprit qui règne dans ce pays vis-à-vis de l’Europe et des Européens. Les Allemands ont l’impression d’avoir fait d’énormes concessions lorsqu’ils ont adhéré à la monnaie unique, la première d’entre elles étant probablement d’avoir abandonné leur Deutschemark. Depuis leur réunification, ils ont également dû consentir d’importantes réformes pour redresser leur économie, accepter des gels de salaires et donc une baisse de leur pouvoir d’achat. Dans ce contexte et alors qu’ils pensent que c’est grâce aux efforts consentis depuis des années qu’ils se tirent mieux que n’importe quel autre pays de la crise économique et financière récente, ils semblent ne plus se sentir solidaires de partenaires moins vertueux. Un peu sur le modèle de la fable de la Fontaine, la cigale et la fourmi, ils ont vu les autres Européens améliorer leur niveau de vie, se rapprocher progressivement des niveaux de vie allemands au détriment du respect de certains fondamentaux économiques.

Autant on peut comprendre leur réaction, autant on peut pressentir également qu’elle ne peut que conduire à une impasse si elle persistait. En effet, qu’ils le veuillent ou non, ils sont dans la zone euro et la crise de la Grèce est plus vraisemblablement une crise de la monnaie unique. En attaquant la Grèce, c’est la détermination des Européens que testent les spéculateurs. Comment si tel n’était pas le cas, l’euro pourrait-il subir aussi nettement les effets d’une crise qui affecte une économie dont le poids reste relativement modeste en Europe ? Or, cette crise européenne est en grande partie la conséquence directe des choix de politique monétaire mis en place, à l’instar des pratiques de la Bundesbank, la banque centrale allemande, dans le cadre de la création de l’euro face à une insuffisante coordination des politiques économiques, fiscales et budgétaires des Etats membres.

Tous les pays de la zone euro ont, d’une manière ou d’une autre, tiré pendant des années certains bénéfices de ces contradictions : les Espagnols en s’endettant à des taux d’intérêts réels négatifs, une fois défalqués de l’inflation, pour accéder à la propriété ; les Grecs en attirant toujours plus de touristes européens mais au prix, peut-être trop lourd, d’investissements importants dans les infrastructures. Et dans ce contexte, seule une aide concertée et conséquente à ce pays et à tous les pays de la zone euro qui seraient en difficulté peut être en mesure de restaurer la confiance des investisseurs et financiers vis-à-vis de la zone. Cette confiance est essentielle pour une reprise durable et solide de l’économie européenne dans son ensemble : n’oublions pas qu’aussi solide que soit l’économie allemande, elle reste très dépendante de ses voisins qui sont aussi ses principaux clients… Et ce, aussi grâce à la monnaie unique ! En effet, jamais les sud-Européens n’avaient autant acquis et consommés de produits allemands que depuis la monnaie unique. Grâce à l’euro, ils pouvaient enfin s’offrir des berlines allemandes…

Qu’adviendrait-il toutefois si malgré tout, l’Allemagne décidait de quitter la zone euro ? D’un point de vue politique, cette décision ouvrirait probablement la crise politique la plus grave de l’histoire européenne, l’Allemagne est en effet à la fois un pilier de la construction européenne et la puissance économique et monétaire dominante. La Banque centrale européenne serait obligée de déménager. Aujourd’hui située à Francfort, elle s’installerait probablement en France à Paris ou à Lyon (ville candidate pour accueillir cette institution lors de la création de l’euro), plus judicieusement à Strasbourg. La politique monétaire européenne s’en trouverait très certainement modifiée après le départ des orthodoxes allemands, partisans de la monnaie forte : on tolèrerait un peu plus d’inflation et de déficit public quitte à accepter une dévalorisation de l’euro qui, de toutes les façons, nous épargnerait des réformes pour gagner en productivité puisque grâce à notre monnaie dépréciée, nos exportations seraient toujours compétitives.

Nos importations seraient toutefois toujours plus coûteuses, creusant nos déficits commerciaux à moins qu’elles ne se réduisent notablement et que l’échange se concentre au sein de la zone euro. Dans une zone euro dont le principal fournisseur est l’Allemagne et dans un monde à présent global, l’effet de la dévalorisation monétaire pourrait être significatif, réduisant les salaires relatifs et le pouvoir d’achat des Européens de la zone euro. Cela pèserait inévitablement sur la croissance économique tant de la zone euro que de l’Allemagne à présent sortie de cette zone… à moins que ce pays ne parvienne à retrouver ses marchés perdus en Europe à l’extérieur, aux Etats-Unis ou dans les pays émergents, Chine en tête. Il reste beaucoup d’incertitudes dans un tel scénario mais une chose est sûre, les risques en sont énormes tant pour l’Allemagne que pour ses partenaires.



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