ANALYSES

Chine : un rebond de la croissance économique en trompe l’œil ?

Interview
18 juillet 2023
Le point de vue de Barthélémy Courmont


Selon les chiffres annoncés ce lundi par le Bureau national des statistiques de Chine, Pékin a enregistré 6,3% de croissance sur ce second trimestre 2023. Un rebond qui témoigne d’une reprise des activités économiques chinoises après l’abandon de la politique zéro Covid malgré un ralentissement de la croissance chinoise depuis plus d’une décennie. Comment expliquer la décélération de la croissance chinoise ? Quelles répercussions celle-ci pourrait-elle avoir sur la politique intérieure et étrangère chinoise ? En quoi la reconfiguration économique mondiale, matérialisée par un processus de dédollarisation, pourrait-elle bénéficier à la Chine ? Le point avec Barthélémy Courmont, directeur de recherche à l’IRIS, en charge du Programme Asie-Pacifique.

 

Les 6,3 % de croissance au deuxième trimestre annoncés par la Chine seraient une nouvelle en trompe-l’œil selon de nombreux analystes, la croissance annuelle du PIB chinois continuant de décélérer progressivement depuis 2007. Quelle lecture faites-vous de la situation économique chinoise ? Quels sont les facteurs à l’origine de cette décélération ?

Qu’elle se situe autour de 6% ou en dessous, ce qui est tout à fait possible, il est indiscutable que la croissance économique chinoise est, depuis plus d’une décennie, très en deçà des chiffres vertigineux des trois décennies précédentes. Il faut cependant rester prudent. D’une part, le niveau de développement que la Chine a désormais atteint rend quasiment impossible un taux de croissance supérieur à 10%, et la Chine est ainsi devenue – même si elle continue de le nier – un pays développé. D’autre part, Wen Jiabao, alors Premier ministre, avait annoncé à la suite de la crise des Subprimes en 2008 aux États-Unis, une modification en profondeur du modèle de développement de la Chine, avec un effort désormais placé sur le développement des classes moyennes, et donc des hausses substantielles de revenus. Cela a occasionné une baisse très sensible du taux de croissance du PIB, mais pas un appauvrissement de la Chine, et encore moins des Chinois. Enfin, Pékin paye le prix de sa politique anti-covid de confinement long et très sévère, avec une reprise de l’activité économique qui fût retardée, et enclenchée il y a quelques mois seulement, en pleine période de guerre en Ukraine. On note donc à la fois des facteurs structurels et une conjoncture que des choix politiques hasardeux n’ont fait que renforcer pour expliquer cette croissance en demi-teinte. Une chose est cependant sûre : l’économie chinoise ne se porte pas au mieux actuellement. Ce n’est pas une bonne nouvelle non seulement parce que cela a une incidence mondiale, mais aussi parce que Pékin peut se lancer dans des initiatives afin de relancer sa croissance qui peuvent se traduire par une remise en cause des structures économiques internationales, notamment un processus de dédollarisation, d’où des tensions géopolitiques pouvant s’ajouter aux perturbations économiques.

 

En quoi le ralentissement de la croissance chinoise pourrait-il peser sur la politique extérieure de la Chine ? Constitue-t-il par ailleurs une menace pour Pékin sur le plan intérieur ?

Il s’agit potentiellement une menace pour le pouvoir en place, qui fonde sa légitimité, sorte de nouveau contrat céleste (en référence à la Chine impériale), sur le bien-être économique et social. Cependant, il faudrait non seulement qu’une croissance en baisse s’impose dans la durée, mais aussi que cela impacte les revenus des Chinois pour provoquer une perte de légitimité. Le risque ne doit pas être exclu, mais il ne fait pas s’emballer non plus, la Chine n’étant pas dans une situation sociale détériorée au point que ses dirigeants seraient remis en cause. Preuve en est la relance de projets d’investissements compris dans la Belt and Road Initiative (BRI) mis en sommeil pendant la pandémie. C’est en revanche sur la politique extérieure que les changements les plus notables sont à attendre. La BRI a repris, mais c’est une BRI 2.0, peut-être moins ambitieuse, mais surtout plus soucieuse de résultats tangibles, et donc plus sélective. Cela peut provoquer des tensions avec des pays qui se sont habitués aux largesses de Pékin, et pourraient voir la Chine demander des remboursements de prêts, entre autres. Enfin, et nous allons y revenir ; une tentative de dédollarisation pour imposer une nouvelle monnaie d’échange pourrait se traduire par des tensions grandissantes avec Washington.

 

La Chine s’inscrit, parmi d’autres pays, dans un processus de dédollarisation des échanges économiques mondiaux accéléré cette année par la guerre en Ukraine et les sanctions occidentales à l’égard de la Russie. Par ailleurs, la création d’une nouvelle monnaie commune figure à l’agenda du Sommet des BRICS qui se déroulera du 22 au 24 août prochain en Afrique du Sud. En quoi cette reconfiguration économique mondiale pourrait-elle bénéficier à la Chine ?

Ce n’est malheureusement pas assez dit dans les analyses sur la guerre en Ukraine, mais c’est une réalité qui s’amplifie très sensiblement mois après mois : ce conflit s’accompagne d’un recul très net de l’Occident, qui n’apparait plus auprès des sociétés émergentes comme la référence. Et ce processus de désoccidentalisation, que les BRICS – qui pourraient rapidement s’élargir à de nouveaux membres – appellent de leurs vœux, place la Chine en position de force. Pékin voit dans la crise internationale actuelle occasionnée par la guerre en Ukraine une opportunité : celle de proposer une alternative, à la fois diplomatique et économique, à l’Occident. Et Pékin n’est pas seul sur ce terrain, en témoigne le positionnement d’un pays comme l’Inde, mais aussi l’Afrique du Sud et le Brésil, sans faire mention de la Russie pour des raisons évidentes liées au conflit. Au-delà des BRICs, c’est un mouvement beaucoup plus important, parfois qualifié de « Sud global » dans lequel la Chine occupe un rôle majeur, qui demande une désoccidentalisation et la fin de la mainmise occidentale sur l’économie internationale. Ajoutons que les visites répétées depuis un mois de membres de l’administration Biden indiquent une inquiétude de Washington liée au risque de dédollarisation que Pékin semble appeler de ses vœux, désormais relayé par d’autre émergents. Cette inquiétude est fondée tant la domination du dollar pourrait être remise en cause.

 
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