ANALYSES

Les plans de la Chine vis-à-vis de l’Europe, c’est quoi ?

Presse
7 avril 2023
Interview de Emmanuel Lincot - Atlantico
Emmanuel Macron et Ursula von der Leyen effectuent une visite de trois jours en Chine. A quel point l’Europe est-elle importante ou pas dans le plan de jeu géopolitique et économique de Pékin ? Xi Jinping considère-t-il l’UE comme un interlocuteur ou comme un obstacle à la mise en place de ses plans ?

Emmanuel Macron poursuit son voyage en Chine, en compagnie d’Ursula Von der Leyen. Si les intentions européennes sont très claires sur ce voyage, qu’en attend la Chine ?


La Chine, fondamentalement, attend des Européens une alternative au blocage des relations qu’elle subit avec les États-Unis. La Chine attend beaucoup aussi des capacités technologiques et de l’agroalimentaire français. Au reste, des accords importants dans le domaine de l’aéronautique et de l’agriculture viennent d’être signés. Il faut s’en réjouir car pour la France, engranger des bénéfices, au moment même où elle subit plus de 20 % d’inflation, devient une priorité. En cela, la France rappelle à qui veut l’entendre que si elle partage des valeurs avec les États-Unis et leurs alliés, elle défend avant tout ses propres intérêts. Cette démarche souverainiste du chef de l’État français est en phase  avec la culture politique chinoise qui est elle-même souverainiste. De même que la diplomatie chinoise est sensible au fait de renforcer ses liens avec l’Union Européenne qui se sont relâchés depuis ces trois dernières années et qui restent très largement entachés de suspicion. Il y va également de ses intérêts car, ne l’oublions pas, l’Union Européenne est son premier partenaire commercial. Le signal qui a été très clairement reçu par les Chinois est par ailleurs le suivant : nous Français, nous Européens vous donnons, en quelque sorte, une assurance vie par rapport aux Américains si vous nous aidez à faire pression sur Moscou pour mettre un terme au conflit en Ukraine.


Quelles sont actuellement les intentions politiques, diplomatiques et économiques de la Chine vis-à-vis de l’Europe ?

Bruxelles est une boîte aux lettres pour les Chinois à destination des Américains. En cela, les Européens sont dans une situation aussi inconfortable que privilégiée. L’Union Européenne est évidemment aussi un marché, moins attractif que naguère étant données ses mesures protectionnistes; lesquelles sont une riposte à celles prises par la Chine. On peut également supposer que la Russie va s’affaiblir et que cet affaiblissement peut être à terme dangereux tant pour la sécurité des Européens que celle des Chinois. En cela, la géographie coopère et les deux extrêmes de l’Eurasie ne peuvent avoir que des intérêts communs.


À quel point l’Europe est-elle importante ou pas dans le plan de jeu géopolitique et économique de la Chine ?

Pour les raisons que je viens d’énoncer. A moins que la Chine, dans un élan irréversible et d’orgueil décide de s’affirmer totalement sur le plan hégémonique sans vouloir s’appuyer sur des partenariats suffisamment stables et pérennes. L’option idéologique, en somme. Hélas, elle n’est pas à exclure. Mais à plus long terme elle serait absolument catastrophique. Nous devons également nous y préparer. La Chine nous envoie des signaux également en ce sens. Soit en ralliant autour d’elle les suffrages du Sud global (pays de l’Asie centrale, du Moyen-Orient et de l’Afrique…), soit en continuant à développer une rhétorique anti-occidentale, en mettant dans le même sac à la fois ses ennemis américains comme ses partenaires européens.

La Chine considère-t-elle l’UE comme un interlocuteur ou comme un obstacle à la mise en place de ses plans pour l’Europe ?

Même une hyperpuissance, a besoin d’appuis, de partenaires sans lesquels elle ne peut durablement préserver ses acquis. L’Union Européenne lui offre encore des opportunités. Mais elle a surtout à sa tête une puissance politique, la seule avec laquelle elle peut dialoguer sur un pied d’égalité statutaire. Je veux parler évidemment de la France en tant que membre permanent du conseil de sécurité, en tant que puissance nucléaire aussi, et surtout en tant qu’interlocuteur privilégié dans le projet Indo-Pacifique qu’elle porte au nom de l’Union Européenne – comme deuxième puissance maritime du monde – et qui est un projet opposé à la logique de confrontation à laquelle les Américains souhaiteraient nous entraîner.
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