ANALYSES

Visite d’Emmanuel Macron en Chine : vers un renouement des relations franco-chinoises ?

Interview
7 avril 2023
Le point de vue de Emmanuel Lincot


Cette semaine, le président français a effectué une visite d’État de trois jours en Chine, en compagnie de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. L’opportunité pour Paris et Bruxelles de remettre un certain nombre de sujets à l’ordre du jour telle que l’initiation d’un processus de paix en Ukraine et la coopération économique sino-européenne. Qu’est-il ressorti de cette visite ? Celle-ci marque-t-elle un renouement des relations franco-chinoises ? Comment la venue d’Emmanuel Macron et Ursula von der Leyen a-t-elle été perçue par Pékin ? Cette visite s’est par ailleurs réalisée sous fond de tensions entre Taipei et Pékin dans le détroit de Taïwan. Que traduit la provocation de la Chine à l’égard de l’île ? Le point de vue d’Emmanuel Lincot, chercheur associé à l’IRIS, professeur à l’Institut catholique de Paris et auteur de « Chine et Terres d’islam : un millénaire de géopolitique » (PUF, 2021).

Dans quel contexte s’inscrit la visite d’Emmanuel Macron en Chine ? Marque-t-elle une nouvelle étape dans l’évolution des relations franco-chinoises ? Qu’est-il ressorti des échanges entre Paris et Pékin ?

Le président français a parlé de « reconnexion ». Il s’agit bien après trois années d’absence pour les deux États de renouer des relations qui s’étaient considérablement relâchées, sur fond de méfiance qu’il était temps de dissiper. La visite d’État d’Emmanuel Macron a lieu un an avant la célébration du 60e anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la France du Général de Gaulle et la République populaire de Chine. Les deux États entendent relancer leur coopération dans tous les domaines et pour la France, il s’agit de montrer, dans la plus pure tradition gaullienne, que même si la France partage avec les États-Unis et leurs alliés des valeurs communes, elle n’en est pas moins attachée à défendre ses propres intérêts. Il ne vous a pas échappé que le chef de l’État était accompagné d’une cinquantaine de dirigeants de grands groupes industriels, des fleurons du CAC 40 présents en Chine depuis des décennies. Alors que la France subit plus de 20 % d’inflation, il est urgent pour elle et ses entreprises de signer des contrats et d’engranger des bénéfices. Sur le plan international, Emmanuel Macron a rappelé que rien de durable ne pouvait être fait sans l’Union européenne et la Chine. C’est vrai pour la guerre en Ukraine. C’est vrai, dans un tout autre domaine, pour la défense du climat. Cette visite d’État est donc très heureuse. Il faut saluer cette initiative française qui relève à la fois de l’audace et d’une intelligence réelle des situations. Nous ne voulons pas nous dissocier de la Chine sur le plan économique et d’un point de vue stratégique nous ne voulons pas entrer dans une logique de confrontation contre elle comme le souhaiteraient les États-Unis.

Emmanuel Macron et Ursula von der Leyen se sont rendus conjointement en Chine. Cette visite traduit-elle un nouveau positionnement européen ? Comment celui-ci a-t-il été perçu par Pékin ?

On a d’abord pensé à une visite conjointe franco-allemande. Or, Berlin et Paris n’ont pas du tout la même politique étrangère à l’égard de Pékin non plus qu’à l’égard de Washington. En cela, le couple franco-allemand a très certainement vécu. Associer Ursula von der Leyen à ce voyage est une façon en revanche de donner une dimension véritablement européenne aux initiatives françaises et de rappeler à qui veut l’entendre que l’Allemagne n’est pas une puissance politique et militaire mondiale, à la différence de la France. Cet aspect des choses n’a pas échappé à la diplomatie chinoise, laquelle retient trois choses : l’Union européenne est son premier partenaire commercial, la France est le seul État européen membre du Conseil de sécurité des Nations unies et la seule puissance nucléaire européenne de surcroît. À ceci s’ajoute le fait que la France est la deuxième puissance maritime du monde et le seul pays européen de poids à pouvoir défendre une stratégie indopacifique non belliciste à l’encontre de la Chine. Le duo que représente Ursula von der Leyen et Emmanuel Macron aura fait passer un message essentiel aux Chinois : n’allez pas trop loin dans votre rapprochement avec les Russes. Une manière d’offrir en quelque sorte une assurance vie vis-à-vis de Washington en continuant à échanger avec Pékin, c’est-à-dire en refusant de souscrire à un découplage économique que les Américains appellent de leurs vœux. Ce message semble avoir été entendu.

À l’issue de la rencontre entre la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen, et le président de la Chambre des représentants américaine, Kevin McCarthy aux États-Unis, Pékin a déployé des navires de guerre et un hélicoptère anti-sous-marin à proximité de l’île. Que traduit cette provocation de la part de Pékin ?

Il s’agit bien sûr d’une façon d’intimider l’opinion taïwanaise qui dans quelques mois organisera ses propres élections présidentielles. C’est une façon aussi de tenir en respect les États-Unis et de les rappeler à leur devoir de ne reconnaître qu’une seule Chine. Le respect de la souveraineté est constamment rappelé par Pékin y compris dans ses propositions de paix pour l’Ukraine. Dont acte : aux Européens d’en rappeler les principes à qui voudra l’entendre que ce soit à Pékin ou à Moscou. Toutefois, nous ne sommes pas encore au bord de la guerre dans cette partie méridionale de la mer de Chine. Cette provocation relève encore à ce jour de la gesticulation et non d’un prélude à une opération amphibie d’envergure.

 
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