ANALYSES

Entre enfumage des Occidentaux et virage stratégique : que pense vraiment la Chine de la guerre de Poutine ?

Presse
15 mars 2022

Plusieurs analyses d’experts chinois (Hu Wei, Wang Huiyao, etc,.) circulent sur internet relativement critiques des actions de la Russie en Ukraine. Certains y voient un signe d’inflexion du régime chinois dans sa position vis-à-vis du régime. Qu’en est-il ? A quel point est-ce une stratégie d’enfumage des Occidentaux pour éviter les critiques ?  Les analyser comme une preuve d’une évolution du régime n’est-il que de la pensée magique ?


Les deux textes mentionnés, de Hu Wei et de Wang Huiyao, sont intéressants à la fois dans leur contenu, et du fait du profil de leurs auteurs, l’un et l’autre réputés et respectés. Wang peut par ailleurs être identifié comme un proche du Premier ministre Li Keqiang. Or, les relations entre Xi Jinping et son Premier ministre ne sont pas si harmonieuses que la nature du régime chinois le laisse entendre. Il y a des voix dissonantes à l’intérieur de l’Etat-parti, et la ligne politique suivie par Xi Jinping ne fait pas l’unanimité, en particulier à quelques mois du prochain congrès national du parti communiste chinois, qui reconduira le président pour un troisième mandat. Hu Wei ne bénéficie pas de la même influence dans les cercles du pouvoir, mais ses fonctions universitaires en font un intellectuel respecté. Les deux auteurs se montrent critiques de l’invasion de l’Ukraine, et donc de l’action de Vladimir Poutine. En ce sens, leur position n’est pas fondamentalement différente de celle du pouvoir chinois, qui depuis le premier jour du conflit s’inquiète de cette guerre en Europe, et appelle officiellement à la retenue et au dialogue entre Moscou et Kiev. Ils invitent cependant Pékin à prendre plus de distance avec le pouvoir russe, craignant une crispation de la relation avec Washington sur d’autres dossiers, et une nouvelle forme de bipolarité qui pourrait contrecarrer les ambitions chinoises. On voit surtout qu’ils prennent conscience de l’importance du conflit ukrainien dans sa capacité à modifier les équilibres internationaux, et estiment qu’il y a une opportunité pour la Chine qu’il ne faut pas laisser filer. Ce discours peut déplaire à ceux qui plaident en faveur d’un renforcement du lien avec Moscou comme principale conséquence de l’isolement de la Russie par les puissances occidentales, mais il n’est pas fondamentalement subversif en ce qu’il cherche à trouver la meilleure voie possible pour la Chine. Il y a donc un certain emballement dans le monde occidental qui consiste à mélanger critique de la guerre menée par la Russie en Ukraine et critique du pouvoir chinois. Ce que craignent les auteurs, c’est une nouvelle guerre froide imposée par l’Occident, mais aucun plaidoyer en faveur d’une démocratisation de la Chine n’est ici observé. Gare donc à ne pas sur-interpréter ces analyses qui ont justement le mérite d’être intelligentes et de voir au-delà du conflit ukrainien – ce qui fait précisément défaut aujourd’hui dans le monde occidental.

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