ANALYSES

Relation Chine-Russie : « Le risque est de voir l’Occident s’isoler à son tour »

Presse
11 mars 2022
Historiquement, quels sont les liens diplomatiques entre la Chine et la Russie ?

Les liens entre la Russie et la Chine sont contemporains. Pendant la Guerre froide, leur relation était très tendue. C’est ce qui avait occasionné le rapprochement entre la Chine et les États-Unis dans les années 70 et la reconnaissance diplomatique en 1979 de leurs relations bilatérales. On parle de liens post-Guerre froide sino-russes qui se mettent en place timidement dans les années 90, sous la présidence de Boris Eltsine en Russie. L’effet accélérateur s’est fait à la faveur de la guerre du Kosovo en 1999, quand la Russie s’était positionnée contre l’intervention de l’OTAN et contre le rôle des Etats-Unis. Dans le même temps, les forces de l’OTAN bombardent l’ambassade de Chine à Belgrade, ce qui provoque une protestation de la part de Pékin. C’est la première fois que les deux pays se retrouvent sur la même ligne face à un grand sujet de géopolitique, dans le contexte post Guerre froide. À partir de là, il y a une vraie accélération, occasionnée par l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine. Côté Chine, les frictions sont de plus en plus nettes avec les États-Unis.

En 2001, la Russie et la Chine entrent dans un partenariat et entament un vrai dialogue stratégique : les deux pays mettent sur pied l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS). Cette opération unit la Russie, la Chine, ainsi que quatre anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale : l’Ouzbékistan, le Kazakhstan, le Kirghizstan et le Tadjikistan. Depuis, l’OCS s’est élargie avec l’Inde, le Pakistan et l’Iran. L’année 2001 marque donc un tournant dans cette capacité à travailler ensemble. Depuis deux décennies, les relations sino-russes se sont renforcées. On ne peut pas parler d’une alliance profonde et ancienne mais leur rapprochement s’est accéléré de manière spectaculaire. Aujourd’hui, les deux pays s’alignent sur un grand nombre de sujets. On retrouve cette cohésion dans les votes au conseil de sécurité de l’ONU, dans l’opposition des deux pays à la guerre d’Irak en 2003 et dans la même hostilité à l’égard de l’Occident en général, et des États-Unis en particulier. Additionné à cela, une augmentation exponentielle des échanges économiques et commerciaux entre les deux pays s’est développée.

À quel point la Russie et la Chine dépendent-elles l’une de l’autre ?

Ce n’est pas une relation d’interdépendance mais une relation asymétrique. Par exemple, le rapport de force sur les questions commerciales est nettement à l’avantage de la Chine. Cela peut générer des frustrations, notamment auprès des partenaires en Asie centrale. Ils sont devenus dépendants de la Chine d’un point de vue économique et ils restent très attachés à Moscou au niveau politique et stratégique. On voit des rivalités et des intérêts qui ne sont pas partagés entre les deux pays. De l’autre côté, la Chine a tout intérêt à voir la Russie être plus isolée sur la scène économique et commerciale : cela permet à la Chine de bénéficier des exportations russes de matière première, et énergétique en particulier, dont elle a besoin. Depuis plusieurs années on observe une irrésistible montée en puissance de la Chine, à la fois au niveau économique et plus récemment au niveau stratégico-diplomatique.

La Chine n’a pas intérêt à casser cette dynamique. L’instabilité du monde et des relations internationales pourrait avoir un effet sur sa propre croissance et sur son influence. On ne voit pas le moindre conflit international contemporain, même en remontant des décennies en arrière, qui a été soutenu par la Chine. Le pays est inquiet face aux conflits et aux ruptures qui peuvent le désavantager.

Dans le contexte de la guerre en Ukraine, Pékin ne soutient pas l’initiative de Moscou. Mais dans le même temps, il s’agit d’une excellente nouvelle pour la Chine, qui voit la dépendance de la Russie à l’économie chinoise se gonfler de plus en plus. Pékin est en position de force face à Moscou. Et il ne faut pas oublier que la Chine a un intérêt important dans la région, qui est matérialisé par le “dialogue 16+1”. Ce format de coopération associe la Chine et seize pays d’Europe centrale et orientale. Pékin est le principal partenaire économique et commercial de ces différents pays et cela peut se faire à son désavantage. Une accumulation d’insécurité dans cette zone peut avoir un effet tout à fait pervers sur la Chine. Il n’y a aucun intérêt pour Pékin à soutenir ce conflit. D’ailleurs, la Chine s’est proposée pour endosser un rôle de médiatrice et de pacificatrice.

Mis à part souligner son amitié avec la Russie, la Chine ne compte donc pas s’impliquer davantage dans cette guerre ?

Non, certainement pas. Et la Chine n’a pas d’intérêt non plus à condamner la guerre, car l’isolement de la Russie lui est profitable. La Chine est loin d’être le seul pays au monde qui ne condamne pas avec fermeté ce conflit. Et je ne parle pas des pays qui ont imposé des sanctions car la liste est encore plus réduite ! On a tendance, dans le monde occidental, à partir du principe qu’on incarne le monde dans son ensemble mais ça n’est plus le cas aujourd’hui. L’Inde, par exemple, ne condamne pas ce conflit car elle a besoin de sa relation avec la Russie. Le Brésil et l’Afrique du Sud se sont montrés très discrets. Les BRICS n’ont donc pas condamné cette guerre. Idem pour la multitude de petits acteurs qui condamnent diplomatiquement la guerre tel qu’ils l’ont exprimé lors du vote à l’Assemblée Générale des Nations Unies. Il s’agit de condamnations uniquement symboliques. Elles ne s’accompagnent pas de la mise en place de sanctions, ni d’un soutien au régime de sanctions.

Aucun pays d’Afrique, d’Amérique Latine ou de l’ASEAN n’a engagé de sanctions contre la Russie. Il est donc important de montrer que Moscou n’est pas isolée. Et derrière cette absence de condamnations, la Chine a tout à gagner à se poser comme médiatrice et interlocutrice dans la guerre. Cela fait partie des ambitions chinoises de vouloir jouer un rôle plus important sur la scène diplomatique internationale et de souhaiter un monde plus pacifié, plus multilatéral. Pékin voit l’opportunité d’accélérer le processus de déclin de l’Occident pour remplacer les États-Unis en leur qualité de pacificateur. Il faut arrêter de croire que ce conflit renoue les liens entre les occidentaux : non, cette guerre montre surtout l’isolement de l’Occident et le déclin des États-Unis sur la scène diplomatique ! Il y a vingt ans, les États-Unis auraient été en première ligne sur ce conflit et ce n’est pas le cas aujourd’hui. Et la Chine profite de cette vacance de leadership pour s’affirmer.

À l’avenir, quelles conséquences l’amitié sino-russe va t-elle avoir dans les relations internationales ?

Ce rapprochement, qui s’est construit lentement et accéléré au cours des dernières années, se traduit par la volonté d’un contre modèle au modèle occidental. On le remarque lorsque l’on tient compte de la puissance de la Chine et de la volonté de la Russie de redevenir une grande puissance en retrouvant son aura sur la scène mondiale. Mais le rapprochement qu’elle a opéré avec la Chine n’est pas une alliance. Les deux pays sont méfiants et vont devoir trouver un juste équilibre face au risque de compétition potentielle qui peut émerger entre eux. Il y a un rapport de force qui n’est pas équilibré entre la Russie et la Chine. Malgré tout, on observe une ambition commune de tourner la page du cadre international défini par les occidentaux.

En février dernier, nous avons sous-estimé l’importance de la déclaration conjointe entre Xi Jinping et Vladimir Poutine, lorsque le président russe s’est rendu à Pékin pour la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques. Cette déclaration en question est un texte d’une page, dans lequel les deux pays condamnent l’élargissement de l’OTAN à l’Est. C’est prophétique ! C’est la première fois que la Chine se positionne de manière officielle sur la sécurité en Europe, hors des questions économiques et commerciales. Dans ce texte à charge contre les Etats-Unis, les deux pays critiquent ce qu’ils estiment être le caractère déstabilisateur de Washington sur les questions stratégiques. Et cela ressemble à un vrai partenariat stratégique.

Mais il ne faut pas croire qu’un rapprochement entre la Chine et la Russie sera limité à ces deux pays. Une multitude de sociétés en développement portent un regard sévère sur le bilan du leadership occidental et vont, soit cautionner ce rapprochement sino-russe, soit s’y rattacher. Je trouve que l’on fantasme beaucoup sur l’isolement de la Russie dans le contexte de la guerre en Ukraine. Joe Biden a déclaré devant le Congrès américain, le 1er mars, que Vladimir Poutine était plus isolé que jamais. Mais ça n’est malheureusement pas vrai. Aujourd’hui, nous ne sommes plus capables d’isoler un pays quand il commet des atrocités. Et la composition du partenariat entre la Chine et la Russie va être de plus en plus forte et va d’ailleurs s’étendre à d’autres acteurs. Par conséquent, le risque est de voir l’Occident s’isoler à son tour.

Propos recueillis par Ophélie Barbier

 
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