ANALYSES

Gestion de la sécurité de l’Europe : le positionnement européen face à la Russie

Interview
21 janvier 2022
Le point de vue de Edouard Simon


Du 12 au 14 janvier, les ministres de la Défense et des Affaires étrangères des 27 membres de l’UE se sont réunis à Brest. Portant sur la gestion de la sécurité en Europe, les 27 ont affirmé leur unité sur leurs relations avec la Russie. Dans un contexte de discussions États-Unis/Russie sur la gestion de la sécurité de l’Europe et sur la crise ukrainienne sans l’UE, ces discussions étaient donc l’occasion pour les 27 d’exprimer leur positionnement. Le point avec Édouard Simon, directeur de recherche à l’IRIS.

Que révèle la tenue des réunions informelles des ministres de la Défense et des Affaires étrangères sur la place de la défense dans les politiques européennes ?

La semaine dernière a été importante pour la diplomatie et la défense européenne avec des réunions du 12 au 14 janvier à Brest. Se sont tenues une réunion informelle des ministres de la Défense les 12 et 13 janvier, une réunion des ministres des Affaires étrangères les 13 et 14 janvier, et une session commune finale avec les ministres de la Défense et les ministres des Affaires étrangères. D’un point de vue purement institutionnel, il est intéressant de rappeler qu’au sein du Conseil de l’Union européenne, il n’existe pas de formation spécifique défense. Les ministres qui prennent les décisions sur les questions de défense au sein du Conseil sont les ministres des Affaires étrangères. Les réunions des ministres de la Défense sont donc toujours informelles. Cela montre la place relativement marginale de la défense dans le dispositif institutionnel européen, qui s’explique par la relative nouveauté de la compétence qui est en train de s’affirmer au sein des institutions. Avec cette affirmation croissante de l’UE dans ce domaine, il devient nécessaire de créer une formation pleine et entière au sein du Conseil, où les questions de défense seraient traitées directement par les ministères de la Défense. En miroir, la création d’une telle formation devrait aboutir à la transformation de la sous-commission Sécurité et Défense du Parlement européen en une commission de plein exercice, dont les prérogatives devraient être affermies.

Les Européens ont-ils réussi à rester unis face à la Russie ?

Durant les réunions qui se sont tenues à Brest, plusieurs grandes questions ont été traitées : sécurité de l’Europe de l’Est, boussole stratégique, situation au Mali et sanctions de la Cédéao à son encontre. Le cœur des discussions a évidemment porté sur la situation entre la Russie et l’Ukraine, d’autant que le début de la réunion des ministres des Affaires étrangères a coïncidé avec le déclenchement d’une cyberattaque contre plusieurs institutions ukrainiennes. Il ressort de ces discussions, d’une part, une certaine satisfaction des Européens sur la manière dont se passent les négociations entre les États-Unis et la Russie, et sur la coordination qu’entretient l’Union européenne avec les États-Unis et avec l’OTAN. C’est un élément assez fort. De fait, contrairement à ce qui a pu être le cas dans le passé, les Américains et l’OTAN se sont coordonnés avec les Européens mais aussi avec les institutions de l’Union européenne avant et après les différentes rencontres avec la Russie.

D’autre part, alors que la question des relations avec la Russie est un des sujets les plus difficiles dans les négociations entre les 27, il ressort de cet exercice une certaine unité sur la conduite à tenir avec la Russie. Cette unité se fait sur le plus petit commun dénominateur, celui d’une position dure vis-à-vis de la Russie. L’unité des Européens au sein de l’Union européenne, et avec les États-Unis au sein de l’OTAN malgré les tentatives russes pour les diviser est notable. Ils rappellent enfin que s’ils préfèrent le dialogue, ils sont prêts à aller à la confrontation s’il le faut.

Cela étant, cela ne veut pas dire que les tensions n’existent pas. Les récents propos du chef de l’État français devant le Parlement européen sur la nécessité de construire une proposition d’un « nouvel ordre de sécurité et de stabilité […] entre Européens » que nous partagerions ensuite avec les alliés de l’OTAN avant de le proposer à la négociation aux Russes ont suscité de vives réactions chez certains de nos partenaires d’Europe centrale et orientale, qui ont voulu y voir – à tort – une tentative française de saper l’unité au sein de l’OTAN.

Enfin, les discussions à Brest ont également traité de la cyberattaque dont l’Ukraine a été victime. Les Européens ont à cet effet montré la volonté de porter assistance à l’Ukraine, évoquant la possibilité d’une mission de formation pour aider l’armée ukrainienne à atteindre les standards OTAN et du déploiement des Équipes cyber d’intervention rapide (CRRT), qui serait le premier projet de la CSP à être opérationnel.

Quelle est la position des Européens face à la Russie ?

Les Européens ont présenté 10 principes qui structurent leur position commune vis-à-vis de la Russie. Sans rentrer dans le détail de ces 10 axes, on en retiendra tout d’abord des positions extrêmement classiques telles que le rejet de l’idée d’une sphère d’influence russe, le soutien aux principes de l’Accord d’Helsinki et de la charte de Paris ou l’expression de la solidarité vis-à-vis de l’Ukraine. De même, la position selon laquelle « toute nouvelle agression contre l’Ukraine aura des conséquences massives et des coûts élevés en réponse » (qui structure la réponse des Alliés face à la Russie) est reprise. Mais il faut surtout souligner la place très importante que prend le Haut-Représentant, Josep Borell, qui sort renforcé dans son rôle, avec la mission d’assurer la coordination avec les États-Unis, l’OTAN et l’OSCE, faisant ainsi oublier l’affaiblissement qu’il avait connu lors de sa visite à Moscou.
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