ANALYSES

Kiribati : une victoire d’influence pour la Chine dans le Pacifique

Tribune
29 juin 2020
Par Alexandre Dayant, chercheur au Lowy Institute (Australie)
 


Ces dernières années, la montée de l’influence chinoise dans le Pacifique est devenue une source d’inquiétude grandissante pour les autres puissances de la région, notamment les États-Unis et l’Australie. Ces dernières voient en effet s’effriter l’emprise dont elles ont traditionnellement bénéficié sur la zone.

Un moment décisif dans l’expansion de l’influence chinoise dans le Pacifique est survenu cette semaine. Kiribati, un pays de seulement 110 000 habitants, mais qui s’étend sur une étendue océanique aussi grande que les États-Unis, a réélu un président pro-chinois, Taneti Maamau, au lieu de choisir son challenger pro-Taïwan.

Ce résultat vient conforter la décision, prise l’année dernière par ce même président, de changer d’allégeance diplomatique, reconnaissant la Chine aux dépens de Taïwan, et mettant fin à une entente cordiale de seize années.

Plusieurs raisons expliquent ce virement de bord et le résultat aux élections.

Il y a tout d’abord une histoire d’avion.

Après sa première élection en 2016, le président Maamau lança un ambitieux programme de développement pour le pays, se concentrant principalement sur le tourisme et la pêche au thon. Pour atteindre ses objectifs, le gouvernement décida d’investir dans de nouveaux avions, permettant ainsi à l’île capitale de Tarawa de se connecter aux îles Kiritimati, les perles touristiques de la nation, à 3 000 km. Le gouvernement aurait payé 60 millions de dollars pour un avion, une dépense importante pour la petite nation. Il demanda ensuite à Taïwan, son allié de l’époque, une subvention pour l’achat d’un second aéronef – un montant six fois supérieur à l’aide annuelle de Taipei vers Kiribati. Taïwan, souvent accusé de fomenter la diplomatie du dollar (« checkbook diplomacy ») dans la région, refusa. Au lieu de cela, Taipei proposa un prêt commercial préférentiel, rejeté malgré tout par Kiribati.

D’après de nombreux observateurs, c’est à ce moment-là que la Chine serait entrée en jeu.

Rien n’a été prouvé, mais au lendemain du changement d’allégeance, le ministre des Affaires étrangères taiwanais, Joseph Wu, affirma : « Selon des informations obtenues par Taïwan, le gouvernement chinois a déjà promis de fournir des fonds complets pour l’achat de plusieurs avions et navires commerciaux, convainquant ainsi Kiribati de changer de relations diplomatiques ».

Il y a ensuite une histoire de financement politique.

Selon certaines sources, le président Maamau décida de soutenir Pékin, car il craignait que Taïwan ne finance ses opposants lors des élections législatives et présidentielles de cette année. Même si en vertu de la loi de Kiribati, il n’y a aucune restriction quant au financement des élus, la déconnexion officielle entre Taïwan et Kiribati rendit le financement des campagnes plus compliqué pour les opposants de Maamau.

Finalement, il y a une histoire de corruption.

Dans le Pacifique, la pauvreté relative des nations, associée à la faiblesse de leurs institutions politiques et bureaucratiques, les laissent prédisposées aux influences financières extérieures et à la corruption.

Au cours des dernières années, la Chine a profité de ces faiblesses pour mettre ses intérêts en avant. À Kiribati, certains membres du Parlement auraient bénéficié de supports financiers conséquents lors des élections, afin de soutenir le président Maamau.

Combinée aux besoins de financement du pays et à l’impossibilité de Taipei d’agir, cette corruption aurait facilité la victoire du président sortant.

Sur l’échiquier international, le résultat des élections a de nombreuses implications.

Tout d’abord, il aide à verrouiller les nouvelles relations diplomatiques entre Tarawa et Pékin, mettant fin à toute tentative immédiate de Taïwan de reconquérir son allié du Pacifique.

Taïwan n’a désormais plus que 15 relations diplomatiques officielles dans le monde, dont quatre dans le Pacifique : les îles Marshall, Nauru, Tuvalu et Palau.

Plus important encore, la réélection de Maamau offre à la Chine la possibilité de reprendre pied sur l’île Kiritimati, le plus grand atoll du monde.

Avant 2003, à l’époque où Kiribati entretenait encore des relations avec Beijing, la Chine utilisait une partie de l’île comme base d’observation spatiale. Cette base, supervisée par l’armée chinoise, joua un rôle important dans le suivi du premier vol spatial habité chinois.

Inutilisée depuis 2003, il semble qu’elle fasse l’objet d’une attention renouvelée de la part de Pékin. Et pour cause. Elle est située à seulement 3 000 km au sud d’Honolulu, siège du U.S. Pacific Command, et où les États-Unis testent des missiles et autres matériels militaires.

Pour aider Kiribati à développer son secteur touristique, la Chine participera certainement à la construction d’installations portuaires sur l’île Kiritimati. La possibilité que ces installations touristiques soient utilisées à des fins militaires pose un vrai problème à Washington.

En somme, avec la victoire de Taneti Maamau aux élections de la semaine dernière, la Chine n’ancre pas seulement son idéologie dans le Pacifique, mais gagne aussi un énorme avantage géostratégique dans la région. Reste maintenant à voir comment les Occidentaux vont gérer cette nouvelle donne.
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