ANALYSES

Hong Kong : bras de fer entre la rue et le gouvernement

Interview
12 juin 2019
Le point de vue de Barthélémy Courmont


Le gouvernement hongkongais a présenté un projet de loi controversé sur l’extradition de ses ressortissants vers la Chine, provoquant une marée humaine de contestation. Malgré sa détermination affichée, le gouvernement vient d’annoncer le report de l’examen du projet de loi en réponse aux mobilisations. Quels sont les ressorts de cette initiative ? Quelles conséquences sur le statut de Hong Kong ? Éclairage par Barthélémy Courmont, directeur de recherche à l’IRIS.

Dimanche 9 juin, plus d’un million de Hongkongais ont manifesté contre le projet de loi d’extradition vers la Chine continentale. Qu’est-ce qui a mis le feu aux poudres ? Quels sont les enjeux et les répercussions de cette loi ?

Ce rassemblement est le plus important à Hong Kong depuis 1989, quand 1,5 million de personnes avaient manifesté leur soutien aux étudiants de la place Tiananmen à Pékin. Trente ans après, on mesure le chemin parcouru dans l’ancienne colonie britannique, et il inquiète. Le gouvernement de Hong Kong, pro-Pékin, a proposé une loi qui ne garantit plus le bon fonctionnement du système judiciaire, puisque des ressortissants seraient potentiellement extradés vers la Chine continentale, où le système est celui qu’on connaît. Cette loi veut tout simplement dire la fin de la démocratie hongkongaise, celle-ci ayant déjà subi de multiples revers depuis quelques années, dès lors que c’est le système judiciaire d’un régime autoritaire qui ferait loi. Les vigiles sont cependant légion, et avaient déjà manifesté avec force lors du mouvement des parapluies à l’automne 2014, ce dernier faisant écho au mouvement des tournesols de Taipei quelques mois plus tôt, l’un et l’autre justifiés par les craintes de voir la Chine continentale imposer son modèle. La société civile de Hong Kong se mobilise face à Pékin, et se méfie du « une Chine, deux systèmes » mis en avant par les autorités chinoises. Et c’est clairement en cherchant à passer en force que le gouvernement hongkongais a ravivé les tensions. Il n’est pas surprenant non plus de constater que cette manifestation a reçu un soutien officiel du gouvernement taïwanais, ce qui montre la convergence des inquiétudes entre Hongkongais et Taïwanais sur ce point. Il est en revanche surprenant, presque sidérant, de ne pas voir les démocraties occidentales soutenir avec force les manifestants, sur une loi que la démocratie et la liberté ne sauraient accepter.

Quelle relation entretient le gouvernement local avec Pékin ? Pourquoi avoir présenté ce projet de loi ?

Plus de vingt ans après la rétrocession, le gouvernement de Hong Kong est de plus en plus soumis à Pékin. Ce projet de loi répond à la logique d’un rapprochement inexorable entre les deux entités, mais il porte sur un point extrêmement sensible puisqu’il est une atteinte aux libertés individuelles. Le gouvernement hongkongais se trouve cependant dans une position délicate. D’abord, il ne peut ignorer l’ampleur du mouvement, et sa résonnance dans le monde entier, comme c’était déjà le cas avec le mouvement des parapluies. Ensuite, il ne peut répondre par la force, au risque de se discréditer et de radicaliser les manifestants encore plus. Enfin, il ne peut se tourner délibérément vers Pékin, au risque de montrer sa faiblesse et sa soumission, et là encore d’accentuer le mouvement. C’est aussi un test pour Pékin, qui ne peut se permettre de réagir comme à Tiananmen en 1989, et doit donc s’accommoder de résistances bien organisées, et qui continueront de rester vigilantes.

On peut dès lors se demander dans quelle mesure cette proposition de loi n’était pas, précisément, un test pour mesurer la réaction de l’opinion publique, d’où peut-être le recul du gouvernement avec le report de l’examen du projet de loi qui vient d’être décidé ce mercredi. Tout va se jouer dans les prochains mois, quand la tension sera retombée, et que Pékin cherchera encore à avancer ses pions. À ce moment, la mobilisation sera-t-elle aussi importante, ou ne risque-t-elle pas de se réduire progressivement ?

Les pressions de Pékin sur Hong Kong s’accentuent depuis quelques années, heurtant notamment la liberté d’expression. Hong Kong est-elle en train de perdre son statut de semi-autonomie ?

L’autonomie de Hong Kong doit de toute façon prendre fin en 2047, c’est ce qui fut accepté lors des pourparlers sur la rétrocession. Le problème est celui des termes de cette perte d’autonomie. Il faut se souvenir que c’est en 1984, lors d’une rencontre entre Deng Xiaoping et Margaret Thatcher, que la rétrocession fut acceptée, et officialisée en 1997 (aux termes des 99 ans de concession sur les « nouveaux territoires », et 145 ans après le début de la présence britannique dans l’île de Hong Kong). À l’époque des pourparlers, avant Tiananmen donc, les démocraties occidentales croyaient naïvement (mais avec sincérité) que les réformes économiques libérales en Chine allaient irrésistiblement démocratiser le régime. Dès lors, se projeter sur 2047 ne posait pas un problème majeur, puisqu’on estimait qu’en plus de soixante ans, la Chine serait devenue une démocratie, et que les Hongkongais n’opposeraient donc aucune résistance. Ces espoirs furent douchés sur la grande place de Pékin cinq ans plus tard, et plus encore dès lors que la Chine a démontré sa capacité à réformer en profondeur son économie et se développer à grande vitesse sans toucher à son régime politique. Les Hongkongais se sentent aujourd’hui seuls face à un régime dont ils ne pourront se défaire, mais qui ne montre pas de signe de démocratisation. C’est pourquoi, plus que jamais, les sociétés civiles de Hong Kong et de Taïwan se montrent unies.

 
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