ANALYSES

Nouvelle donne politique à Taïwan : quelles conséquences ?

Interview
27 novembre 2018
Le point de vue de Barthélémy Courmont


Suite aux élections locales du samedi 24 novembre à Taïwan, le Parti progressiste démocratique (PPD) a subi un net recul, au profit le Kuomintang (KMT), l’ancien parti unique qui a longtemps dominé la vie politique. Ces élections mêlaient deux référendums, l’un portant sur le mariage pour tous, l’autre sur le changement de nom de l’île, et d’autre part les élections municipales. Quel bilan peut-on tirer de ces élections ? Les résultats de ces élections peuvent-ils influencer la relation sino-taïwanaise ? Quelle est la position de la communauté internationale ?  Le point de vue de Barthélémy Courmont, directeur de recherche à l’IRIS.

Quelle analyse faites-vous des résultats des élections locales qui se sont déroulées le 24 novembre ? Quelles sont les conséquences pour le Parti progressiste démocratique, le parti au pouvoir ?

En remportant la majorité des scrutins locaux, le Kuomingtang, le principal parti d’opposition, fait son retour sur le devant de la scène depuis la fin de la présidence de Ma Ying-jeou (2016). Le PPD au pouvoir perd des villes gagnées au cours des deux précédents scrutins, mais de manière plus spectaculaire la ville de Kaohsiung, deuxième ville du pays, qui était sous son contrôle depuis 20 ans. Deux référendums importants et médiatisés étaient par ailleurs organisés : l’un sur le mariage pour tous, et l’autre pour changer le nom de « Chinese Taipei » en « Taïwan » lors des compétitions sportives internationales. Ces deux référendums soutenus par le gouvernement, et dont l’organisation était sans doute malheureuse et politiquement risquée, ont été rejetés par les électeurs. Les Taïwanais ont sanctionné le gouvernement de Tsai Ing-wen, arrivée au pouvoir en 2016, et sa politique, essentiellement économique. À cela s’ajoutent les inquiétudes liées aux tensions à la hausse avec Pékin. Tsai, qui devrait se présenter pour un second mandat en 2020, a démissionné de la présidence du PPD, et la prochaine élection présidentielle pourrait être serrée. Mais il convient de noter que cette élection fut plus une sanction de la politique du PPD qu’un soutien au KMT, qui n’a pas encore retrouvé ses marques depuis ses déroutes électorales de 2014 et 2016. En ce sens, cette élection démontre une fois encore que la démocratie taïwanaise fonctionne bien, mais qu’elle se heurte aux mêmes risques que les autres démocraties : un rejet des élites et des élections « mi-mandat » qui se transforment en un vote de confiance au gouvernement.

Où en sont les rapports de la Chine avec Taïwan ? Comment Pékin a-t-il réagi vis-à-vis des résultats ? Peut-on les considérer comme un succès pour le gouvernement central ?

Pékin et Taipei entretiennent ce qui est sans doute la relation la plus ambigüe et la plus singulière au monde. Pas de reconnaissance diplomatique et un différend politique, idéologique et territorial vieux de près de 70 ans, et dans le même temps des échanges économiques et commerciaux considérables et une très grande proximité culturelle. Sous la présidence de Ma Ying-jeou (2008-2016), les deux rives se sont entendues pour officialiser cette ambigüité, et les dirigeants se sont même rencontrés pour la première fois en 2015. Mais dès la victoire de Tsai Ing-wen en 2016, Pékin a pris ses distances et imposé des mesures de rétorsion très dures, en dépit d’une politique taïwanaise inchangée dans le détroit. La Chine a réagi avec satisfaction à l’annonce du résultat, partant du principe que la communication est plus facile avec le KMT qu’avec le PPD. Pékin aurait même, selon de nombreux observateurs, fait pression pendant la campagne en diffusant des fake news pour déstabiliser Tsai. S’agit-il dans les faits d’un succès ? Tout est une question de perception. D’une part, il serait erroné de considérer qu’au PPD « pro-Taiwan » s’opposerait un KMT « pro-Chine ». D’autre part, ce n’est pas Taipei qui a durci le ton avec Pékin depuis l’élection de Tsai, mais l’inverse. Enfin, les Taïwanais ont manifesté leur pragmatisme à l’occasion de cette élection, mais certainement pas une adhésion au discours de Pékin.

Quelle est la position de la Communauté internationale, dont l’ONU, sur le conflit sino-taïwanais, alors que la Chine semble parvenir peu à peu à isoler diplomatiquement Taïwan ?

Il n’y a pas de position de l’ONU sur Taïwan, puisque la Chine est membre permanent du Conseil de sécurité et que Taïwan n’est pas membre de l’ONU. Aucune grande puissance ne reconnait par ailleurs aujourd’hui diplomatiquement Taïwan (en Europe, seul le Vatican a encore des relations diplomatiques avec Taipei). Il n’y a pas de conflit sino-taiwanais à proprement parlé, donc là non plus, pas de position. D’un point de vue politique, les Taïwanais sont le peuple le plus persécuté de la planète, puisque leur sort n’est même pas l’objet de rapports ou de discussions à l’ONU, ce qui en fait un cas unique à cette échelle. Pas ou peu de dirigeants ou d’intellectuels pour dénoncer une situation pourtant intolérable. Voilà pour ladite communauté internationale. Cela dit, le rapport de force entre Pékin et Taipei et les efforts de la Chine en vue d’isoler Taïwan, par la relance de ce qui était autrefois qualifié de « diplomatie du chéquier », sont suivis avec attention, aux États-Unis en particulier. Depuis l’élection de Donald Trump, Taïwan semble avoir retrouvé les faveurs de la Maison-Blanche, avec des ventes d’armes et un échange téléphonique entre Trump et Tsai qui a, dès novembre 2016, plombé la relation Pékin-Washington. Le tout est de savoir pourquoi Taïwan intéresse Washington. Est-ce, comme on pourrait naïvement le croire, par respect pour la démocratie et les droits de l’Homme? À l’heure où l’Arabie saoudite est exonérée par Trump, cela semble assez peu probable. En revanche, le risque pour Taïwan d’être le jouet d’un grand jeu entre Washington et Pékin est une piste inquiétante, mais plus sérieuse.
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