ANALYSES

Corée du Sud : les enjeux de son rapprochement avec la Corée du Nord

Interview
16 octobre 2018
Le point de vue de Barthélémy Courmont


Le président sud-coréen, qui entame une tournée européenne, a sû rassembler son électorat, au départ hostile, sur ses promesses de reprise d’un dialogue avec Pyongyang. La Corée du Sud voit également dans ce rapprochement une opportunité de développement économique, la Corée du Nord pouvant potentiellement devenir un acteur clé sur le marché de différents minerais. Le point de vue de Barthélémy Courmont, directeur de recherche à l’IRIS.

Le président sud-coréen débute une tournée européenne. Quels en sont les enjeux ?

La Corée du Sud est un partenaire économique et commercial important pour les pays européens, et dans un contexte mondial rendu tendu par les « guerres commerciales », cette visite s’inscrit dans la volonté de Séoul de réaffirmer son attachement aux principes de libre échange. En ce sens, Moon Jae-in vient recevoir le soutien des pays européens.

Les enjeux sont aussi, et surtout, politiques, après trois rencontres avec Kim Jong-un au cours des derniers mois, et les promesses d’un rapprochement inter coréen pour lequel le président sud-coréen souhaiterait une implication des puissances européennes.

Enfin, si la Chine inquiète souvent les Européens, et le Japon interroge quant à sa politique étrangère et de défense, la Corée du Sud vient mettre en avant des convergences avec les principes européens de multilatéralisme, de recherche du dialogue dans une région marquée par de multiples tensions, et de mise en avant de principes moraux. Il y a chez Moon Jae-in une approche des dossiers sécuritaires et politiques, mais aussi une méthode qui le rapproche sensiblement des Européens.

Le président sud-coréen semble vouloir préserver coûte que coûte le réchauffement entamé avec Pyongyang. Où en est-on dans le rapprochement entre la Corée du Nord et la Corée du Sud ?

Il convient d’abord de rappeler que Moon Jae-in était assez isolé sur cette question au début de sa présidence, en mai 2017, son électorat assez jeune restant méfiant sur ses promesses de reprise d’un dialogue avec Pyongyang. Devant les succès des initiatives de Séoul, l’opinion publique sud-coréenne lui apporte désormais un soutien très fort, qui le pousse à aller plus loin dans cette direction. Il s’agit donc pour lui désormais d’une priorité de son mandat, qui prendra fin en 2022 (les présidents sud-coréens sont élus pour un mandat de cinq ans non renouvelable).

Le rapprochement ne se limite plus aujourd’hui aux symboles, mais concerne toute une série de développements. Discussions sur les rencontres entre familles divisées, réouverture de certains sites en Corée du Nord pour des visiteurs sud-coréens, réouverture du site industriel de Kaesong, mise en place d’une communication directe de gestion de crise, sont ainsi autant de chantiers, ambitieux, qui nous ramènent à la sunshine policy des années 2000, avec en plus la promesse d’une pacification de la péninsule. Nous ne sommes qu’au début de ce processus, mais les attentes autant que les espoirs sont immenses.

La Corée du Sud voit également le rapprochement avec la Corée du Nord comme une manne de développement économique, le pays pouvant potentiellement devenir un acteur clé sur le marché de différents minerais. Qu’est-il envisageable alors que la Corée du Nord est toujours placée sous un strict régime de sanctions internationales ?

La visite de Moon Jae-in à Pyongyang en septembre fut significative sur ce point : le président sud-coréen était accompagné de représentants de tous les chaebols (conglomérats) sud-coréens, et en marge des rencontres officielles, une multitude de relations sur la question des investissements en Corée du Nord s’est mise en place. La libéralisation progressive de l’économie nord-coréenne, les besoins dans de nombreux secteurs et les ressources minières importantes sont autant des raisons justifiant pour les investisseurs du Sud d’être associés à ce rapprochement.

Les défis restent nombreux, et pourraient se résumer à deux tendances, avec d’un côté la concurrence de la Chine, déjà très présente (dans le secteur minier en particulier) et capable de proposer de très ambitieux projets d’investissements, et de l’autre les sanctions internationales qu’il sera impératif de lever avant d’engager les investisseurs sud-coréens au Nord, sans quoi ils pourraient faire l’objet de mesures de rétorsion. À ce stade, Séoul prépare le terrain dans l’espoir d’une levée partielle des sanctions que Moon appelle de ses vœux, et rejoint les attentes de la Chine, qui reste également de son côté aux aguets et prête à réagir à une modification de ce paradigme. Cette question mérite d’être abordée lors de la tournée européenne de Moon, avec en toile de fond une interrogation sur la réactivité des investisseurs européens dans l’hypothèse d’une ouverture du marché nord-coréen.
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