ANALYSES

Guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine : quelles conséquences ?

Interview
3 octobre 2018
Le point de vue de Sylvie Matelly


Depuis janvier 2018, nous assistons à une guerre commerciale d’ampleur croissante entre la Chine et les États-Unis, qui ne peut laisser l’économie mondiale indemne. Quels en sont les causes, conséquences et enjeux ? Y a-t-il des risques quant aux activités économiques respectives de ces deux pays, voire du ou des autres nations ? Assistons-nous à une remise en question du système économique mondial ? Le point sur la situation avec Sylvie Matelly, directrice adjointe de l’IRIS.

Où en sommes-nous concernant la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis ? Quels en sont les causes et les enjeux ?

La guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis a démarré au mois de janvier 2018, lorsque le président américain Donald Trump a décidé de mettre en place, sur quatre ans, les taxes douanières sur les machines à laver et les panneaux solaires. S’en suivirent des réactions chinoises, bien évidemment. Puis de nouvelles mesures mises en place par les États-Unis, etc.

Dès février 2018, la Chine déclenchait une enquête anti-dumping sur le sorgo américain. Le 8 mars, ce fut l’application de taxes par les États-Unis sur l’acier et l’aluminium puis, fin mars, la publication d’une liste de 1300 produits chinois (écrans plats, armes, satellites, matériel médical, etc.) taxés en provenance de Chine et à l’entrée aux États-Unis. D’autres mesures et contre-mesures se sont succédées depuis, impactant de plus en plus de biens échangés entre la Chine et les États-Unis.

Cette guerre commerciale reste toutefois un aspect parmi d’autres d’une guerre économique plus large que se livrent les deux pays. Une illustration de cela s’observe par le durcissement du contrôle des investissements directs étrangers (IDE) chinois aux États-Unis et vice-versa. Les Chinois ont en effet beaucoup investi partout dans le monde ces dernières années, inquiétant un certain nombre de pays (Allemagne, Royaume-Uni, France, etc.) dont les États-Unis. Le Président Trump a ainsi récemment bloqué deux investissements au prétexte que l’influence de la Chine y était trop importante (acquisitions de Qualcomm par Broadcom et de Lattice par un fonds chinois). En retour, les Chinois, en juillet, ont interdit l’acquisition par Qualcomm (entreprise américaine), d’une entreprise d’électronique chinoise.

Par ailleurs, le 16 avril 2018, l’administration américaine empêchait une entreprise chinoise, Zhongxing Telecommunication Equipment Company Limited (ZTE), d’accéder à un certain nombre de biens et services d’origine américaine. Cette entreprise avait déjà été condamnée l’an passé par l’OFAC, l’Office of Foreign Assets Control à une amende de plusieurs centaines de millions pour violation des sanctions américaines.

Cette guerre économique constitue un réel choc des puissances entre la puissance dominante, les États-Unis, qui cherchent à conserver son leadership et le challenger, la Chine, qui souhaite gagner du terrain. Nul doute dans ce contexte que le conflit perdure encore quelque temps.

Que ce soit aux États-Unis ou en Chine, quels seront les grands gagnants et perdants de cette guerre commerciale ? Y a-t-il un risque « effet boule de neige » possible sur la croissance économique d’autres pays ?

Les conséquences économiques, bien évidemment, peuvent être diverses et variées. Il y aura des effets d’aubaine pour certaines entreprises, voire, peut-être, pour certains pays, qui en profiteront, pour se repositionner sur un certain nombre de marchés qui ont été perdus par les entreprises et pays victimes de cette guerre commerciale, que ce soit côté chinois ou côté étatsunien.

Concernant ce choc des deux principales puissances, la Chine a beaucoup plus à perdre à court terme que les États-Unis, parce qu’elle dépend encore largement de ses exportations. Les États-Unis devront affronter quant à eux deux risques majeurs : celui d’une marginalisation et le risque économique. Pour ce dernier en effet, dans la situation économique actuelle, il risque d’être difficile pour ce pays de relancer la production et d’accroître notablement les exportations (objectif affiché des mesures mises en place). Deux difficultés majeures se posent ainsi à eux : d’une part, la nécessité de trouver la main-d’œuvre domestique adéquate ; d’autre part, le laps de temps inéluctable entre le moment où l’économie américaine freinera ses importations, et le moment où elle sera en capacité de fournir le marché avec des produits domestiques, si tant est qu’elle le puisse puisque les mesures commerciales s’accompagnent aussi d’une politique migratoire plus restrictive dans un contexte de plein emploi.
Par ailleurs, certains secteurs sont spécifiquement visés par la Chine et souffrent déjà de cette guerre commerciale. C’est le cas du secteur agricole aux États-Unis, secteur par ailleurs fortement exportateur. En outre, il se trouve, autre intérêt qu’a trouvé la Chine, que les fermiers et plus largement le secteur agricole américain, sont pour la plupart des électeurs du président Trump. Ainsi, en touchant les agriculteurs, il est également possible d’affecter directement la popularité de Donald Trump aujourd’hui. C’est donc stratégique pour la Chine.

Des entreprises américaines sont également très dépendantes de leurs débouchés en Chine. Le secteur automobile s’alarme fortement du fait de sa grande dépendance aux importations de composants chinois. Il estime que les mesures annoncées pourraient faire perdre jusqu’à 700 000 emplois aux États-Unis. Il y a également des entreprises comme Boeing ou General Motors, pour n’en citer que deux, dont le premier débouché est le marché chinois.

Du côté de la Chine, toutes les entreprises exportatrices sont aujourd’hui concernées. La succession des mesures annoncées par Donald Trump fait qu’une très grande partie des produits qui sont exportés vers les États-Unis sont aujourd’hui touchés par des taxes de 10 à 25%, voire peut-être, demain, sensiblement plus. Les secteurs d’activités chinois les plus affectés par ces taxes douanières sont tous ses principaux secteurs d’exportation : électroménager, électronique, technologie de l’information, etc. En conséquence, ce sont très clairement les secteurs clés de l’économie chinoise qui vont être pénalisés par cette guerre même si la Chine, en restant plus modérée dans son engagement dans ce conflit, devrait pouvoir trouver des débouchés sur d’autres marchés.

De surcroit, la Chine et les États-Unis constituent les deux premières puissances économiques mondiales. Si celles-ci se font la guerre, ce n’est évidemment pas neutre, cela aura inévitablement des conséquences sur la croissance économique mondiale. Si les conséquences à moyen terme entraîneront un ralentissement du commerce, à très court terme, on commence déjà à apercevoir des effets, la confiance étant un élément moteur de la croissance économique. Si on ajoute à cette guerre commerciale les incertitudes géopolitiques et d’autres questionnements quant à l’avenir de la planète, à la montée des inégalités, il est évident que cela a tendance à freiner la consommation, les investissements et tout un ensemble de variables économiques.

Est-ce que les mesures économiques mises en place par les États-Unis et la Chine remettent en question le système de libre-échange établi avec les accords de Bretton Woods ?

Très clairement, nous sommes actuellement dans une période de remise en question et pas seulement par le fait des États-Unis. Le système de libre-échange mis en place avec les accords de Bretton Woods en 1945 a déjà été réformé suite à l’émergence économique de pays en développement, mais aussi l’effondrement du système monétaire au début des années 1970. Il a accompagné la mondialisation après la fin de la guerre froide.

Nous pourrions même dire que l’élargissement de ce système à tout un ensemble de pays a engendré quelques perturbations et l’avènement d’un nouveau cycle. L’intégration de la Chine, qui n’était et n’est toujours pas un modèle de pays libre échangiste ouvert, à l’OMC a déjà été une forme de remise en cause de ce système et a probablement constitué les racines de ce que nous observons aujourd’hui. La prise de conscience américaine de l’intégration chinoise à l’OMC a véritablement eu un impact déterminant et structurel sur un système qui avait été mis en place depuis déjà plusieurs décennies.

Aujourd’hui, les Américains prennent acte et veulent reposer toutes les cartes sur la table, tout renégocier et tout rediscuter. Donald Trump, de ce point de vue, est extrêmement brutal parce qu’il casse tout, en espérant qu’il en sortira quelque chose qui sera plus en accord avec les intérêts nationaux américains. Ce n’est cependant pas lui qui a initié tous ces changements. Ils sont en effet perceptibles depuis la fin des années 1990, et l’essor de la mondialisation qui a conduit à l’intégration de plusieurs partenaires avec lesquels les États-Unis n’avaient pas l’habitude de travailler.

Nous sommes très clairement dans un changement de régime qui se révèle plus brutal qu’on ne l’imaginait. Il est important de noter qu’au-delà de cette remise en cause du système, plus ou moins de mondialisation, plus ou moins de libre-échange, nous avons tout de même deux défis majeurs qui se posent à l’humanité : ce sont les questions des inégalités et du changement climatique. La question que nous pouvons nous poser dans ce contexte de guerre commerciale est comment nous allons prendre en compte et intégrer ces deux grands enjeux pour proposer un système qui permette finalement la survie de l’humanité. Puisque c’est bien cela qui est en jeu. En outre, lorsque nous regardons du côté des États-Unis et du positionnement du président américain sur ces deux questions, nous avons quelques doutes sur sa capacité à proposer un système constructif en la matière…
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