ANALYSES

Sommet franco-britannique : du bilatéralisme comme béquille diplomatique

Interview
20 janvier 2018
Le point de vue de Olivier de France


Le sommet franco-britannique qui s’est déroulé à Sandhurst ce jeudi dans un contexte de turbulences politiques lié au Brexit était d’importance pour Emmanuel Macron et Theresa May. Rappeler les liens qui unissent les deux pays et réaffirmer que la coopération entre Londres et Paris en matière de défense surplombe les aléas de la conjoncture politique. L’analyse d’Olivier de France, directeur de recherche à l’IRIS.

Quels auront été les principaux enjeux du sommet franco-britannique de Sandhurst et les attentes respectives de la France et de l’Angleterre ?

La rencontre entre la Première ministre britannique et le Président français aura fait ressortir des enjeux d’ordre politique, sécuritaire et stratégique. Du côté de Theresa May, après avoir tenté de donner corps sa vision d’un pays ouvert à la globalisation en arpentant les couloirs des chancelleries de Washington à Delhi – et avoir touché des doigts les limites de cette stratégie auprès de Donald Trump notamment – il s’agissait de montrer que le Royaume-Uni est toujours engagé auprès de ses partenaires européens les plus proches malgré le Brexit, sur des questions comme la défense, la sécurité et les migrations.

L’obstacle majeur qui se dresse face à cette stratégie de liens bilatéraux se situe à Bruxelles, qui garde la responsabilité des tractations économiques et commerciales sur la future relation UE/ Royaume-Uni après 2019. Ce sommet franco-britannique, le 35e du nom, est donc pour la Première ministre l’opportunité de discuter des sujets dont elle peut parler, dans un contexte certes particulier du fait du Brexit. Le Traité du Touquet étant une initiative purement bilatérale, de même que la coopération militaire entre les deux pays, elle a tout loisir de les creuser. En dehors de ces thématiques, il est risqué que d’autres dossiers soient mis sur la table sans que Paris ait l’air de mettre en jeu l’unité européenne sur l’autel de ses propres intérêts nationaux.

L’Allemagne étant en retrait relatif sur la scène européenne du fait de ses déboires domestiques, Emmanuel Macron peut-il apparaître auprès de l’Angleterre comme l’interlocuteur privilégié de la relation post-Brexit avec l’Union européenne ?

Il y a beaucoup de scénarisation politique et médiatique à tout cela. Alors que la France était considérée il y a peu par certains comme l’homme malade de l’Europe, et voilà que l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République et les difficultés internes d’Angela Merkel auraient brusquement changés la donne. La réalité des déterminants économiques ne change pas au gré des manchettes des quotidiens. Même si l’Allemagne mettait un an pour constituer un nouveau gouvernement, il me semble que l’impact sur le PIB allemand ne serait pas significatif. Structurellement, le pays reste et restera la puissance économique de premier plan en Europe. Cela ne remet pas en cause le fait que l’élection d’Emmanuel Macron donne une image beaucoup plus dynamique de la France à l’international, qui peut en sus aider à faire accepter certaines réformes sur le plan intérieur.

Londres souhaite également renforcer sa coopération avec Paris en matière de défense et plus particulièrement dans la lutte contre l’insécurité au Sahel. Quel est l’état actuel du partenariat militaire entre les deux pays et sous quelle forme ce futur engagement en Afrique subsaharienne peut-il s’illustrer ?

La relation entre les deux pays est ancienne tout particulièrement du point de vue militaire, et cette coopération est assez peu soumise aux aléas politiques. Elle est pragmatique et se décline dans les domaines opérationnel, capacitaire et nucléaire. Au niveau opérationnel, il s’agit du CJEF (Combined Joint Expeditionary Force). Il s’agit d’une force expéditionnaire commune franco-anglaise. Concrètement, c’est la possibilité d’envoyer des bataillons mixtes en opération extérieure. Les Accords de Lancaster House contiennent un versant sur les capacités conventionnelles et la dissuasion.

Plus globalement, cette coopération pragmatique fonctionne, car la France et le Royaume-Uni sont les deux seuls pays européens qui ont une armée à peu près utilisable d’une part et utilisée d’autre part : j’entend par là que l’on peut les déployer sur un théâtre d’opération de haute intensité. Cet aspect est fondamental, car il traduit une culture similaire de l’usage de la force, ainsi qu’une culture stratégique et une doctrine comparable. A contrario, l’Allemagne ne dispose pas d’une armée susceptible d’être déployée sur des opérations de haute intensité. La France a donc besoin de l’armée britannique, car elle est compétente est efficace sur des théâtres extérieurs.

Rappelons que les deux nations ont un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies et disposent toutes deux de la dissuasion nucléaire. Ces déterminants ne seront pas affectés en profondeur par le Brexit et les soubresauts politiques que nous connaissons depuis juin 2016. Quant au contexte sécuritaire en Afrique subsaharienne, les Accords du Touquet n’auront d’utilité que limitée tant que les conflits se perpétueront aux portes de l’Europe, en y laissant l’exil comme seul horizon. Au-delà de la dimension militaire, l’enjeu est aujourd’hui d’y trouver une viabilité politique et économique. Le Royaume-Uni et la France ont un intérêt commun à ce que la situation sécuritaire au Sahel ne se dégrade pas en une poudrière régionale. Dans le cas contraire, les ramifications attendront nécessairement les sols français et anglais.
Sur la même thématique