ANALYSES

Visite d’Emmanuel Macron en Chine : la France, tête de pont diplomatique entre Pékin et l’Occident ?

Interview
9 janvier 2018
Le point de vue de Barthélémy Courmont


La tournée d’Emmanuel Macron en Chine qui a débuté ce lundi pour une durée de 3 jours comporte deux dimensions. L’une est bilatérale avec la volonté des deux nations de renforcer leur partenariat sur le plan diplomatique, culturelle et économique, L’autre dimension est multilatérale : dans un environnement géopolitique marqué par l’incertitude stratégique, il s’agit d’intégrer la Chine à des enjeux internationaux considérés comme majeurs par l’Union européenne et pour lesquelles des convergences de vue semblent opérer. Pour nous éclairer le point de vue de Barthélémy Courmont, directeur de recherche à l’IRIS.

Quel est le cadre diplomatique dans lequel s’inscrit la tournée d’Emmanuel Macron en Chine ?

Il doit être appréhendé à deux niveaux. D’une part, la relation diplomatique entre la France et la Chine, qui remonte à 1964, est solide et ancienne. À part l’isolement de la Chine qui a suivi les événements de la place Tian’anmen et s’est notamment traduit par l’embargo de l’UE sur les ventes d’armes à la Chine, et à part bien sûr les divergences sur la question des droits de l’homme et de la gouvernance, cette relation n’a pas été émaillée de divergences significatives. Les diplomaties des deux pays ont même tendance à converger sur une multitude de sujets politiques ou sécuritaires. La France est ainsi le seul membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU qui peut s’enorgueillir d’une relation constante et globalement positive avec la Chine sur plus d’un demi-siècle.

L’autre niveau dans lequel s’inscrit cette visite d’Emmanuel Macron est celui du contexte actuel et des intentions affichées par les deux pays. Paris et Pékin défendent une approche multilatérale des dossiers diplomatiques, sur la base de l’équilibre et, comme l’a rappelé à Xi’an le Président de la République, de la réciprocité. Cette convergence s’affiche aussi bien sur des dossiers comme la lutte contre le réchauffement climatique que sur les enjeux sécuritaires, comme la crise syrienne et la sécurité dans la péninsule coréenne et les questions diplomatiques telle l’annonce du transfert de l’ambassade des Etats-Unis à Jérusalem.  Ces convergences ne limitent pas les interrogations, voire les inquiétudes, liées à l’affirmation de la puissance chinoise, mais elles sont la base d’un dialogue solide, condition indispensable à une réponse concertée et plus efficace aux enjeux internationaux.

Dans un contexte d’isolement diplomatique relatif des Etats-Unis et d’une Europe en pleine tergiversation, la France peut-elle être l’interlocutrice privilégiée de Pékin sur les principaux enjeux internationaux ?

Pour les dirigeants chinois, le retrait progressif des Etats-Unis et le Brexit au Royaume-Uni replacent la France au centre du jeu diplomatique. L’élection de Macron fut d’ailleurs suivie avec un immense intérêt en Chine, et le Président français est perçu comme un interlocuteur privilégié. Cela s’explique par les attributs de puissance de la France, membre permanent du Conseil de sécurité, puissance nucléaire reconnue par le TNP, et puissance militaire capable de projeter des forces sur des théâtres extérieurs. Avec le retrait du Royaume-Uni, la France est le seul pays de l’UE disposant de ces attributs, ce qui en fait aux yeux des Chinois la principale puissance militaire et diplomatique européenne. Ajoutez à cela les indicateurs récents (et les Chinois y accordent une grande importance) plaçant la France comme premier soft power mondial selon une étude américaine, et pays de l’année 2017 selon The Economist. La Chine a besoin de partenaires à l’échelle internationale, et la France remplit les conditions requises dans un contexte qui lui est extrêmement favorable. Elle veut intensifier ses relations avec l’UE, et mise sur ce point sur la puissance économique de l’Allemagne et la puissance diplomatique de la France. Ne pas le reconnaître aujourd’hui revient à pérenniser une vision dépassée des relations internationales.

La Chine entend intégrer l’Europe et notamment la France à son projet d’investissements et d’infrastructures, « l’initiative de la Ceinture et la Route ». Au-delà de la dimension bilatérale du partenariat franco-chinois, la France sera-t-elle en mesure de faire émerger une position européenne sur ce dossier, et y a-t-elle intérêt ?

C’est l’enjeu principal de la visite d’Emmanuel Macron en Chine, et il l’a compris en s’exprimant sur la question dès son discours de Xi’an. Que l’on s’en réjouisse ou pas, la Chine est en train de redéfinir les relations internationales avec l’initiative de la ceinture et de la route (BRI) dont l’ambition ne se résume pas à remettre au goût du jour la route de la soie, mais à une portée globale. Mais Pékin ne peut mener à terme ce projet seul, et ce ne serait de toute façon pas dans son intérêt. La recherche de partenaires privilégiant une vision inclusive des relations internationales et une économie de marché (ce que Washington échoue actuellement à proposer) est essentielle, et l’UE s’impose pour Pékin comme un interlocuteur privilégié. Or, on sait que la BRI divise les partenaires européens, entre des pays qui y voient d’immenses opportunités (les PECO en particulier) et d’autres qui s’inquiètent du pillage par la Chine de leur économie. L’Allemagne y voit une opportunité, mais la France ne s’était pas encore clairement exprimée sur ce sujet. D’où les attentes côté chinois, sachant que Pékin considère que l’adhésion de la France au projet aura un effet décisif sur les positionnements des autres acteurs européens dans le contexte actuel.

L’intérêt pour la France est à la fois diplomatique et économique (et s’étend par ailleurs à d’autres régions comme le Sahel dans lesquelles la France est très présente) mais il ne doit pas occulter les craintes, et donc laisser place à des conditions. Dans son message à Xi’an, Emmanuel Macron invite les Chinois à clarifier leurs intentions et à faire montre de transparence. C’est un préalable indispensable à tout positionnement de la France et, par extension, de l’UE.
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