ANALYSES

L’aide publique au développement est déjà sortie de sa trajectoire vertueuse

Tribune
18 octobre 2017


L’organisation du gouvernement comprend une innovation passée largement inaperçue : pour la première fois sous la V° République, les mots de « coopération » ou de « développement international » ont totalement disparu des titres des ministères, et, pour la première fois depuis 67 ans, il n’y a plus de ministre ou de secrétaire d’État spécifiquement dédié (à temps plein) à l’aide au développement. Est-ce la marque d’un désintérêt du Chef de l’État sur les questions de développement et de solidarité ?

A priori non si l’on se réfère à la déclaration d’Emmanuel Macron le 19 septembre dernier à la tribune des Nations unies : « Je veux que la France soit au rendez-vous de l’aide publique au développement ». Et il poursuivit en fixant un objectif et une échéance : « C’est pourquoi j’ai décidé que la France jouerait son rôle en fixant l’objectif de consacrer 0,55 % de notre revenu national pour l’aide publique au développement d’ici cinq ans. » L’objectif totémique du 0,7 % (soit le doublement du ratio actuel de 0,38 %) fixé en 1982 par tous les pays de l’OCDE est renvoyé pour la France à 2025.

Rappelons que depuis un moment déjà, outre les pays scandinaves, le Royaume-Uni et l’Allemagne s’acquittent de cet engagement, témoignage de la solidarité « envers des pauvres du Sud », mais aussi instrument d’alliances dans la géopolitique, avec des incidences sur la sécurité internationale et locale. Le Royaume-Uni avait pourtant en 2007 un ratio APD/RNB inférieur à celui de la France (0,36 % contre 0,38 %) ; le choix de respecter l’objectif de 0,7 % a été fait et les ressources destinées à l’aide ont augmenté significativement entre 2007 et 2013, pour finalement atteindre 0,7 % du RNB à cette date. L’Allemagne a également réussi à atteindre l’objectif en trois ans : avec un ratio d’APD/RNB proche de celui de la France en 2013 (0,38 %), elle a atteint 0,7 % en 2016. L’effort n’est donc pas irréaliste pour un projet quinquennal.

Une promesse non respectée en 2017 et 2018

Retrouve-t-on la promesse d’Emmanuel Macron inscrite en tendance dans le projet de loi de finances 2018 ? Une augmentation de 100 millions est annoncée. Mais elle n’en est pas une. En effet en juillet dernier, le budget de l’APD pour 2017 a subi un coup de rabot pour 136 millions. La hausse annoncée pour 2018 est donc dans les faits une baisse de 36 millions. Un très mauvais départ pour s’engager sur la trajectoire vertueuse annoncée. Déjà, cette baisse de moyens budgétaires de 2017 va impacter négativement l’action des ONG françaises, qui sont autant d’acteurs majeurs de l’innovation pour le développement et de détenteurs d’une expertise validée par l’action, mais dont les dotations transitant par l’Agence française de développement sont de la sorte mises en cause. L’extrême marginalisation des concours publics à ces ONG (par qui transitent 3-4 % de l’APD contre une moyenne de 17 % dans les pays de l’OCDE), ne fait que se perpétuer.

Qu’en est-il de la trajectoire à moyen terme ?

Pour l’année 2017, le total de l’APD française est estimé à 9 milliards d’euros. Avec une croissance économique annuelle projetée à 1,7 % par an, 0,55 % du RNB en 2022 représenterait une cible d’APD de 14,8 milliards d’euros. Par conséquent, l’augmenter de 5,8 milliards en cinq ans nécessiterait une hausse de plus d’un milliard par an. Les projections du PLF pour 2018, 2019 et 2020 portent sur une augmentation totale de seulement 400 millions. À l’évidence, le compte n’y est pas.

On rétorquera que la seule mission de l’APD inscrite au budget de l’État ne résume pas tout l’effort français en matière de coopération avec les pays du Sud. Selon les règles établies par le Comité d’aide au développement de l’OCDE, l’aide comptabilise des flux de nature très diverse. « Des choux, des navets, des carottes », disent certains experts. Et qui ne correspondent pas tous – tant s’en faut – à des transferts financiers en direction des pays pauvres du Sud. Environ les deux tiers de l’APD correspondent à des prêts concessionnels, à des annulations de dettes, qui n’auraient de toute manière jamais été remboursées. On y retrouve aussi la quote-part de la France au budget de l’Union européenne éligible à l’APD ; des frais d’écolage, qui désignent le coût de la prise en charge des étudiants étrangers en provenance des pays en développement ; des charges liées à la prise en charge des réfugiés sur le territoire ; l’aide délivrée aux collectivités d’outre-mer, notamment l’aide accordée à Wallis-et-Futuna et, précédemment, à Mayotte ; ou encore certaines autres dépenses du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.

Quelles options ?

Si le gouvernement veut atteindre l’objectif de 0,55 % fixé par le Chef de l’État, sans effort budgétaire et fiscal supplémentaire, il n’a guère le choix. La meilleure option est d’augmenter la part destinée à l’aide au développement des ressources tirées de la taxe sur les opérations financières qui est assise sur les opérations d’achat d’actions de sociétés françaises dont la capitalisation boursière dépasse un milliard d’euros. Cette part est actuellement de 50 %, l’autre part étant reversée au budget général. La faire passer aux trois-quarts rapporterait à l’aide 400 millions additionnels. Une autre formule résiderait dans une augmentation du taux de taxation sur ces transactions ou dans l’élargissement de l’assiette aux transactions intrajournalières. Des décisions qui iraient certainement dans le bon sens aux yeux de l’opinion publique : financer la solidarité internationale sur les transactions financières excessives.

Sinon il lui faudra, comme le firent d’autres gouvernements, jouer avec les chiffres pour faire passer pour de l’aide au développement ce qui n’en est pas vraiment. Ou, autre option, la plus pernicieuse sans doute, contester l’indicateur lui-même, le 0,7 %, en invoquant le fait qu’il ne représente plus rien. Mais cela ne serait pas sans risques car il représente, vaille que vaille, l’étalon de la solidarité.

La meilleure option serait certainement de redonner une légitimité à l’aide en mettant en avant un argumentaire et un discours sur ses raisons d’être politiques, sur ses résultats, sur la redevabilité qui peut lui être associée, sur la co-construction d’un nouveau « narratif » de l’APD (autour de thèmes comme la lutte contre le changement climatique, la bonne gouvernance, l’accès aux services sociaux de base ou la mobilisation des ressources domestiques) afin de créer un consensus élargi sur les bénéfices et l’impact de cet instrument. Cela passe par la mobilisation de divers acteurs au-delà des gouvernements : parlementaires, associations, fondations, collectivités locales, syndicats, entreprises, chercheurs et cercles de réflexion.
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