ANALYSES

« Toute exaspération populaire n’est pas le signe du populisme »

Presse
6 juillet 2010
Jean-Yves Camus - L’Humanité.fr

Tandis que l’affaire Woerth continue de prendre de l’ampleur et que les têtes tombent au sein de la majorité, le risque de populisme est régulièrement mis en avant. Selon Jean-Yves Camus, politologue et spécialiste de l’extrême-droite, la dérive populiste est trop souvent brandie et utilisée abusivement. Jean-Yves Camus est chercheur associé à l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques). Il est notamment l’auteur de Extrémismes en France, faut-il avoir peur ? (Editions Milan, 2006)


Pensez-vous qu’il y a un risque de dérive populiste dans ce climat de crise politique et de défiance vis-à-vis de la classe dirigeante?

Il faut distinguer les termes "populisme" et "extrême-droite". Le populisme est mis à toutes les sauces alors qu’il cache des réalités différentes. Il y a des populismes d’extrême-droite mais aussi d’extrême-gauche. Crier au populisme est une ligne de défense-reflexe, surtout de la part de responsables politiques de la majorité, qui se plaignent des attaques de la gauche. Le terme populisme est associé historiquement au "poujadisme", une réaction anti-élites qui peut conduire à des dérives extrémistes. Son utilisation est déjà compliquée lorsque c’est un universitaire qui parle. Elle l’est encore plus dans la bouche des hommes politiques qui se défendent des attaques subies. On ne peut pas dire que toute exaspération populaire est l’expression du populisme. Ni parler de populisme à chaque fois que le peuple prend position sur une question dans l’exercice du droit démocratique. Je pense surtout que la majorité des Français éprouve un sentiment de défiance, légitime dans ce contexte. Des dizaines d’individus pensent qu’il y a un problème d’éthique dans le mélange des genres entre une partie des élites politiques et certaines élites économiques.


Est-ce que ce climat peut favoriser le Front National ?

Une partie de la réponse se trouve dans le verdict des élections régionales : le Front National est remonté à plus de 11 % des voix. Avant l’affaire Woerth, il y a eu d’autres scandales (le double salaire d’Henri Proglio par exemple, PDG d’EDF et président du conseil d’administration de Veolia environnement, mais aussi plus récemment ceux qui ont touché les membres du gouvernement [1]) Les électeurs UMP qui avaient voté pour Nicolas Sarkozy en 2007, ont pu être ébranlés par un certain nombre d’affaires. La prochaine consultation électorale est en 2012, dans deux ans, ce qui est long en politique. Nous en sommes donc réduits aux conjectures. Ce sont traditionnellement les partis opposés au système qui tirent les marrons du feu. Mais aujourd’hui la situation est différente par rapport aux années 1990-2000. Nous avons une gauche qui mobilise, qui est plus en position de présenter une alternative. Le "désastre" politique n’est donc pas définitivement installé. Avant de profiter au Front National, ce climat favorise principalement l’abstention, un phénomène qui n’est pas propre à la France.


Quelle est la situation dans d’autres pays en Europe, où ces mouvements populistes sont bien ancrés ?

On ne peut pas parler d’une vague de fond des extrêmes droites en Europe. En Pologne par exemple, l’extrême-droite a été laminée. Dans certains pays, elle a été intégrée au gouvernement, ce qui l’a en quelque sorte neutralisée. Pour la Belgique, le parti flamand qui a remporté les élections est un parti démocratique, contrairement à ce que l’on entend souvent. Le mouvement nationaliste flamand a une histoire qui s’inscrit en grande partie à gauche. Entre 1830 et 1930, le mouvement national flamand [2] puise dans ses racines ouvrières et a des revendications, notamment linguistiques (contre le français, langue véhiculaire des élites). Donc pendant longtemps, il existe un prolétariat et une paysannerie majoritairement néerlandophone. En Hongrie [3], la droite conservatrice au pouvoir est issue de la matrice démocrate-chrétienne, même si elle a des positions xénophobes, notamment sur la question des Roms. Mais ce n’est pas un parti d’extrême-droite. La Ligue du Nord et le succès de Berlusconi sont d’abord le fruit du vide idéologique et d’erreurs tactiques de la gauche italienne. En somme, il y a quantité d’autres facteurs à la présence de ces mouvements en Europe, qui sont notamment portés par la résistance à l’émergence d’une société multiculturelle (avec de nouvelles populations qui s’installent durablement). Il y a par ailleurs un recul de l’extrême-droite dans certains pays : en République Tchèque ou en Slovaquie [4] par exemple où l’extrême-droite a été sortie de la coalition gouvernementale (qui allait du centre-gauche à l’extrême-droite NDLR). La situation est donc très différente pour chaque pays, avec des spécificités très fortes.