ANALYSES

L’intervention en Syrie devant le tribunal de l’opinion mondiale

Presse
11 septembre 2013

Le coût humain de la guerre civile en Syrie et l’utilisation d’armes chimiques mettent la question d’une intervention militaire afin de sanctionner le régime de Bachar el-Assad au cœur des débats. Ces derniers sortent du classique affrontement entre les inconditionnels des interventions militaires extérieures et ceux qui les refusent par principe. Certes ceux qui se sont prononcés pour la guerre d’Irak en 2003 au motif de l’existence d’armes de destruction massive sont mal placés pour réclamer une intervention en Syrie. Ils desservent la cause qu’ils prétendent servir. Mais il est intéressant de noter que des personnalités difficilement classables parmi les occidentalistes sont favorables à une intervention militaire: d’Alain Juppé à Hubert Védrine en passant par Rony Brauman, Noël Mamère ou encore Jean-Pierre Filiu… La question est compliquée et contient de nombreux paramètres, allant de l’avenir de la Syrie, du Proche-Orient, du système de la sécurité collective et pour ce qui est de la France, du meilleur positionnement à prendre.


Des arguments forts, plaident pour l’intervention. Les 100 000 morts font de la guerre en Syrie l’un des conflits où les civils ont payé le prix le plus lourd dans la période récente. L’utilisation d’armes chimiques viole l’une des conventions les plus universelles, et l’une des normes morales les plus largement admises. Ne rien faire, s’il est avéré qu’elles ont été utilisées, serait perçu comme une incitation à recommencer. Les frappes ne sont pas là pour renverser Bachar el-Assad mais pour lui envoyer un signal et affaiblir son dispositif militaire. Elles vont ainsi aider indirectement l’opposition armée. La France, en prenant position en pointe sur ce dossier se distinguerait et prendrait un leadership moral au niveau mondial. La défaillance britannique lui fournirait par ailleurs un leadership au niveau européen. L’isolement relatif des États partisans de l’intervention lui procurerait une compensation et un crédit en capacité de décider et d’agir.


De plus, ces pays se sont trop avancés sur la voie de la menace d’intervention quoi qu’on en pense. S’ils reculaient, ils perdraient beaucoup en termes de crédibilité.


Enfin, recourir à l’ONU serait vain face au blocage russe qui paraît inébranlable à court et moyen terme. Les Syriens n’ont plus le temps d’attendre un revirement de Moscou. L’intervention n’aurait pas de légalité mais elle serait légitime pour répondre des crimes contre l’humanité.


D’autres arguments plaident pour une plus grande prudence. Si au Kosovo il y a eu une intervention en dehors d’un feu vert du Conseil de sécurité, il y avait unanimité des pays de l’OTAN qui ont tous participé au conflit du premier au dernier jour. Nous ne sommes plus dans ce cas de figure. Le veto russe est en grande partie lié au détournement de l’opération militaire en Libye où ils avaient accepté de mettre en œuvre la responsabilité de protéger et où ils ont été mis devant le fait accompli du changement de régime. Au-delà du cas syrien c’est l’avenir de l’ONU, du Conseil de sécurité dans l’intérêt de la France, membre permanent, qu’il faut conforter et non pas affaiblir. Une intervention donnerait un bénéfice à court terme en Syrie, pour des inconvénients importants sur le long terme. Pour ce qui est de la sécurité collective, que va-t-il se passer après les frappes ? N’y a-t-il pas un risque d’intensifier la répression d’el-Assad et d’être nous-mêmes attirés dans un bourbier ?


Mais peut-on s’engager dans une opération presque uniquement franco-américaine qui serait à tort ou à raison perçue comme un alignement de la France sur les États-Unis, accompagné d’un isolement en Europe. Notre prestige dans les pays émergents en serait affaibli.


Puisque nous ne pourrons pas évoquer l’argument de la légalité, il faut renforcer celui de la légitimité et fournir des preuves imparables tant aux dirigeants qu’aux opinions publiques de l’utilisation des armes chimiques par Bachar el-Assad. Autrement il y aura toujours un soupçon et les théories du complot fleuriront.


Et il faut surtout parallèlement au cas syrien, reprendre le chantier de l’avenir de la sécurité collective avec les Russes et les Chinois. Nous ne pouvons pas espérer former une «ligue des démocraties» qui fasse régner l’ordre mondial. C’est bien avec les pays qui pèsent sur la scène mondiale mais qui sont différents de nous, avec lesquels nous avons des divergences de conception qu’il faut réfléchir à établir des lignes rouges communes. Il est faux de dire que Russes et Chinois font une obstruction systématique et ne votent jamais avec nous. Eux aussi, quels que soient leurs intérêts sont d’une façon ou d’une autre soumis au tribunal de l’opinion. Pas Occidental, mais mondial.