ANALYSES

G8 et lutte contre le blanchiment : et après ?

Interview
20 juin 2013
En 1989, le Groupe d’action financière sur le blanchiment de capitaux (GAFI) était mis en place par le G7. En 2009, le G20 faisait de la lutte contre les paradis fiscaux une de ses priorités. Quel est aujourd’hui l’état de la coopération en termes de lutte contre le blanchiment et les paradis fiscaux alors que les médias en parlent de plus en plus et que les politiques semblent vouloir s’emparer du sujet ? Est-elle efficace ?
Revenons déjà sur le passé. En effet dès 1989, une institution se met en place, le GAFI, qui se veut à la pointe de la lutte anti-blanchiment, nouveau combat transnational. L’idée est louable et le GAFI rédige alors quarante recommandations utiles dans la lutte contre le blanchiment. Notamment il préconise le devoir de vigilance des professions bancaires à l’égard des risques de blanchiment par leurs clients, la mise en place de cellules de renseignements financiers telles que TRACFIN en France et l’émergence d’une nouveauté juridique : la déclaration de soupçon qui oblige les banques à alerter la cellule de renseignement de tout soupçon de blanchiment. Contrairement aux apparences, ce n’est pas le blanchiment que l’on veut combattre à cette époque, mais surtout le trafic de drogue à travers la lutte contre le blanchiment des capitaux issus de ce trafic. Et nous allons voir que cette nuance a son importance. Le GAFI avait dès sa constitution une autre mission : élaborer une liste noire des pays non coopératifs. Cette bonne idée a fait long feu, car la liste s’est vidée petit à petit, contrairement à ce que l’on peut constater sur le terrain.
En 2009, le G20 fut présenté comme la dernière bataille contre le blanchiment et les paradis fiscaux. L’ancien Président de la République, Nicolas Sarkozy, annonçait sabre au clair le 23 septembre 2009 devant tous les Français, la fin des paradis fiscaux. En effet, la liste noire des paradis fiscaux s’est vidée en une semaine ! Par exemple, avec la pression de la Chine auprès des délégations française et britannique, ce pays se retrouva sur la liste blanche. Mieux, Hong-Kong et Macao n’y apparaissaient pas, considérés comme territoires administratifs spéciaux. Malheureusement le problème persistait, l’amélioration n’étant que textuelle et non factuelle. Et les récentes affaires comme l’Offshore Leaks ont démontré s’il en était besoin, l’inanité des déclarations intempestives et guerrières de l’époque.
La nouveauté, qui intéresse les politiques et les médias, vient de la crise d’une part, de la révélation d’affaires d’autre part. La crise a engendré des besoins gigantesques de liquidités pour les entreprises et de rentrées fiscales pour les États afin de contrer les effets budgétivores. Et là, la lutte contre le blanchiment devient une arme, non pas pour lutter contre la criminalité mais en intégrant dans les procédures la lutte contre le blanchiment de la fraude fiscale. Ce que l’on veut, ce n’est pas lutter contre le blanchiment, mais lutter contre la fraude fiscale, comme dans les années 1990 on luttait contre le trafic de drogue. La révélation des affaires a quant à elle excité la curiosité des journalistes et des citoyens. Cette conjonction d’intérêts explique la médiatisation de la lutte contre le blanchiment.
Cependant, cette agitation ne correspond à aucune avancée tangible en la matière. La coopération internationale est encore timide voire inexistante. Sur le papier tout semble aller dans le bon sens, à travers des réglementations toujours plus rigoureuses, des professions assujetties aux lois anti-blanchiment toujours plus nombreuses (y compris les agents sportifs par exemple), des sanctions envers ces professionnels toujours plus sévères. Malheureusement, de nombreux pays résistent, des banques contournent les règles, des politiques corrompus ferment les yeux et les autorités judiciaires et policières manquent de moyens et de coopération internationale.

Le G8 qui vient de se réunir avait au programme la lutte contre les paradis fiscaux. Qu’en est-il ressorti ? Peut-on s’attendre à des résultats effectifs ?
Nous sommes toujours dans les déclarations d’intention. À chaque sommet, les volontés répressives et actives s’expriment en amont. Une fois la réunion passée, tout le monde se quitte en promettant de se revoir pour en reparler. Les Russes ne sont pas très ouverts à la discussion sur ce sujet et les Anglo-saxons ont trop d’intérêts dans l’opacité même s’ils exigent comme les Américains la transparence pour leurs propres ressortissants (cf. loi FATCA, Foreign Account Tax Compliance Act).
Qu’est-il donc ressorti cette fois-ci ? Rien. Et, ironie de l’histoire, le jour où le G8 se réunissait pour débattre du problème (18 juin 2013), la Suisse dénonçait son accord avec les États-Unis sur l’échange automatique d’informations bancaires dans le cadre de la loi FATCA !
Pour être complet, il y a eu des avancées pour amener les paradis fiscaux à signer l’accord de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur le partage automatique des données fiscales et sur la transparence des trusts. En revanche aucun accord n’a été trouvé sur la création de registres publics ouverts à tous, avec des informations sur les bénéficiaires des sociétés. Il faut attendre que les paroles se transforment en actes. Par ailleurs, il sera toujours aisé d’utiliser des prête-noms ou de jouer sur le montage sophistiqué de sociétés écrans. Gageons que de nouvelles formes juridiques seront proposées pour contourner toute règle contraignante.
Pour rappel, à quoi sert le blanchiment de capitaux ? A qui cette pratique sert-elle et quels sont les volumes d’argent concernés ? Et au-delà de ses aspects financiers, quels sont les effets économiques et sociaux du blanchiment de capitaux ?
Le blanchiment de capitaux sert à remettre dans les circuits de l’économie légale les sommes gagnées illicitement (trafic de drogue, traite des êtres humains, trafic d’organes, corruption, fraude fiscale,…). C’est redonner à cet argent un aspect propre et donc licite. Le blanchiment intéresse donc un grand nombre de personnes et d’organismes : organisations criminelles transnationales, multinationales industrielles ou commerciales pratiquant des actes douteux notamment financiers, gouvernements corrompus, particuliers fraudant le fisc, dealers de quartier,…
Ainsi, les sommes en jeu s’avèrent considérables. Les activités criminelles produisent chaque année 2.000 milliards de dollars, les actes délictueux 5.000 milliards de dollars, soit un total de 7.000 milliards de dollars chaque année, équivalent à 10 % du PIB mondial. La moitié de ces sommes est blanchie, c’est-à-dire 3.500 milliards de dollars (5 % du PIB mondial). En imaginant que la répartition est égalitaire sur la planète, nous pouvons estimer que 120 milliards de dollars sont blanchis en France chaque année. Et en fait c’est même plus.
Les effets sont nombreux. Pour n’en citer que quelques-uns :
• Création et accompagnement de bulles (immobilières, financières,…) par les surinvestissements des blanchisseurs, parfois à des prix beaucoup plus élevés que le marché et au mépris des équilibres économiques fondamentaux.
• Augmentation du déséquilibre entre les pays pauvres et les pays riches, l’argent sale appauvrissant les plus faibles, l’argent blanchi s’investissant dans les pays développés.
• Ralentissement du développement économique et social, conséquence de la fraude fiscale et de l’opacité des paradis fiscaux. Le manque à gagner pour la France est évalué à 100 milliards d’euros, à 1.000 milliards pour l’Europe (certains avancent le chiffre de 30.000 milliards de dollars dans le monde, mais il y a souvent confusion entre sommes non déclarées, très importantes, et pertes pour l’État). L’argent africain caché dans les paradis fiscaux est deux fois supérieur aux aides financières envoyées sur ce même continent.
• Un monde légal-mafieux (entreprises légales tenues par des criminels) qui ne cesse de grossir et qui facilite encore un peu plus les circuits de blanchiment.
• Et enfin et surtout la perpétuation des crimes et délits qui n’ont de sens que si leurs fruits peuvent être blanchis.