ANALYSES

Tournée de John Kerry au Moyen-Orient, que faut-il en retenir ?

Interview
11 avril 2013
Le point de vue de Didier Billion
Lors de son voyage, le Secrétaire d’Etat américain a insisté sur la nécessité d’un travail de fond entre Palestiniens et Israéliens avant la reprise des négociations de paix. Quelles doivent être les étapes préliminaires à cette relance des pourparlers ?

Le voyage de John Kerry – qui est vraisemblablement le premier d’une longue série puisqu’apparemment il a promis de revenir très régulièrement – n’est, me semble-t-il, à ce stade que peu utile. Nous savons pertinemment qu’il y a une situation de blocage total dudit processus de paix depuis près de 3 ans et que le point d’achoppement essentiel est la poursuite du processus de colonisation par l’Etat hébreu. Or, sur cette question fondamentale, et qui le restera, mise en avant par les Palestiniens, John Kerry n’a fait aucune déclaration. Il a évoqué la nécessité de développer les relations économiques ou encore celle de trouver un nouveau partenaire pour la mise en place d’un nouveau processus. Mais aucun mot n’a été prononcé sur les colonies israéliennes. Je crains donc que, conformément à la teneur politique du voyage de Monsieur Obama à la fin du mois de mars dernier en Israël et dans les Territoires palestiniens, la situation n’évolue pas d’un iota. Ce qui est paradoxal dans cette situation, c’est que la première puissance mondiale se refuse à faire des propositions précises et à tenter de lever le facteur principal de blocage. Aussi, il est à craindre que cette première mission post-voyage Obama ne serve à rien, sinon de mettre des obstacles supplémentaires à une exigence pourtant fort simple à énoncer : gel du processus de colonisation de la part des Israéliens. C’est à partir de ce moment qu’un processus véritable pourra être relancé.

Les Etats-Unis ont émis l’idée d’inclure la Jordanie dans le processus de paix. Une bonne chose selon vous ?

Il est difficile à ce stade d’en discerner l’intérêt. En quoi les Jordaniens, aujourd’hui largement préoccupés par la situation qui prévaut dans leur pays – contestation politique sourde du régime, difficultés économiques sérieuses amplifiées par l’arrivée massive de réfugiés syriens – peuvent-ils être une force de proposition différente ? Vouloir élargir le cercle des potentiels négociateurs sert plus, me semble-t-il, à faire oublier que le processus de paix se trouve à l’arrêt. Ou alors c’est ressortir la vieille idée chère à une partie des dirigeants du Likoud de considérer la Jordanie comme un Etat palestinien de substitution. Il faudra suivre cet aspect avec attention dans les semaines et mois à venir.

John Kerry a insisté sur la nécessité d’un rapprochement entre la Turquie et Israël. Un vœu pieu ou un réel espoir ? Quelles seraient les conséquences de cette réconciliation pour la région ?

Ce n’est pas un vœu pieu. Je pense que c’est peut-être la leçon principale qu’on pouvait tirer du voyage d’Obama du mois de mars que nous évoquions précédemment. On a pu voir ici la volonté du président des Etats-Unis de faire pression sur Benyamin Netanyahou pour que celui-ci présente ses excuses à la Turquie suite à la tragédie du Mavi Marmara du mois de mai 2010, ce qu’il fit. Les responsables turcs ont d’ailleurs immédiatement accepté lesdites excuses et un processus de négociation va s’ouvrir sur le montant des indemnités que va verser l’Etat d’Israël à la Turquie. Les Israéliens et les Turcs, alliés traditionnels des Etats-Unis, ont tout intérêt à cette réconciliation, même s’ils ne reviendront probablement pas à une entente similaire à celle qui avait présidé aux accords militaires de 1996.
Par ailleurs, la dégradation continue de la situation syrienne qui inquiète à la fois les Israéliens et les Turcs et est une raison supplémentaire à la réconciliation. D’autant qu’aujourd’hui, la Turquie a davantage de difficultés qu’il y a trois ans à faire valoir sa politique en direction des pays du Moyen-Orient ; les turbulences politiques qui perdurent dans la région rendent l’application de la politique régionale turque plus difficile. D’autre part, Israël, terriblement isolée au niveau diplomatique dans la région, a aussi tout intérêt à cette réconciliation.