ANALYSES

« On peut s’attendre à des mesures d’incitation sociales beaucoup plus fortes que sous la présidence précédente. »

Tribune
14 juin 2011
Alors que les enquêtes de sondage tablaient sur une situation d’égalité entre les deux candidats, qu’est-ce qui a fait pencher la balance du côté d’Ollanta Humala ?

Tout dépend de la crédibilité des sondages. En effet, cette campagne se rapproche du cas de figure que l’on a connu en France il y a quelques années à propos du vote Front national. Les électeurs péruviens qui souhaitaient voter pour le candidat Ollanta Humala ont préféré dissimuler leur intention de vote car ce candidat était stigmatisé par la grande presse comme étant un candidat extrémiste, proche du président vénézuélien Hugo Chavez. Le fait que les sondages n’aient pas intégré cet élément correcteur explique qu’Ollanta Humala l’ait emporté de très peu.

Peut-on espérer une réconciliation dans un pays qui s’est montré très polarisé tout au long du processus électoral ?

Pour pouvoir parler de réconciliation, il faut qu’il y ait eu une guerre civile ou une rupture. Il est vrai que la candidate battue, Keiko Fujimori et Ollanta Humala se situaient aux deux extrémités du spectre politique. Pour autant, il n’y a pas eu d’affrontement avec les armes à la main mais une opposition démocratique. La perdante a d’ailleurs reconnu qu’elle avait perdu et le gagnant s’était engagé avant les élections, comme la perdante, à respecter les règles du jeu de la démocratie. Malgré tout, le mot « réconciliation » est peut-être un peu fort.

A quels changements économiques et sociaux peut-on s’attendre avec l’arrivée d’un président de gauche au pouvoir ?

Il n’y aura pas de changements sur le fonctionnement du système économique. En effet, le Pérou évolue en fonction des règles de l’économie de marché. Les acteurs économiques ont manifesté de nombreuses craintes quant aux intentions de la candidate battue, Keiko Fujimori, sur le plan économique. Ollanta Humala avait, quant à lui, promis lors de sa campagne qu’il ne changerait rien sur le fonctionnement économique du Pérou. En revanche, on peut attendre de sa part, qu’il mette en œuvre des mesures d’incitation sociale beaucoup plus fortes que sous la présidence précédente. Le Pérou est l’un des pays d’Amérique Latine qui a connu ces dernières années, une croissance parmi les plus fortes, atteignant jusqu’à 10% par an. Mais les fruits de cette croissance n’ont pas été partagés de façon équitable, le taux de pauvreté n’ayant pratiquement pas changé depuis une dizaine d’années. On peut donc s’attendre, sous la présidence d’Ollanta Humala, à la mise en œuvre de mesures sociales dynamiques. Mais cela suppose d’appliquer une pression fiscale plus importante sur ceux qui ont les moyens de payer.

La bourse de Lima a enregistré une chute historique au lendemain de la victoire d’Ollanta Humala, la victoire de ce dernier n’a pas suscité l’allégresse chez ses électeurs. Comment l’expliquer ? Quelles sont les craintes qu’il suscite ?

Il s’était passé la même chose au Brésil après la victoire de Lula en 2002. Cette campagne électorale s’est déroulée dans un contexte de très grande polarisation. La candidate battue entretenait un discours très alarmiste sur le fonctionnement de l’économie péruvienne qu’elle voulait changer. Elle bénéficiait, par ailleurs, du soutien des éléments forts de cette économie ainsi que de la grande presse. Sa défaite a engendré un climat de méfiance, comme cela arrive parfois dans le milieu de la finance, créant ainsi une chute de la bourse. Mais les choses vont probablement se rétablir assez rapidement.

Avec un nouveau président de gauche, peut-on s’attendre à une nouvelle dynamique régionale ?

Dans le cas du Pérou, il existe une forte dynamique régionale, non pas avec le Venezuela mais plutôt avec le Brésil. La majorité actuellement au pouvoir au Brésil avait d’ailleurs délégué un certain nombre de conseillers auprès d’Ollanta Humala afin de recentrer sa campagne électorale, comme l’avait fait Lula en 2002. Depuis quelques années, le Brésil est économiquement de plus en plus présent au Pérou. De nombreux investissements en matière de voies de communication ont été réalisés, comme l’illustre la route interocéanique (reliant l’océan Atlantique à l’océan Pacifique), financée par le Brésil et qui vient d’être achevée. Par le biais de cette route, le Pérou est devenu la fenêtre sur le Pacifique pour les exportations brésiliennes. Le Brésil a donc tout intérêt à voir un gouvernement ami prendre le pouvoir au Pérou. Cette élection représente ainsi un élément particulièrement novateur dans la géoéconomie et la géopolitique de l’Amérique du Sud.