ANALYSES

Le retrait des Accords de Paris sur le climat et les « trumperies »

Tribune
7 juin 2017
Le 1er juin 2017, Donald Trump a dénoncé l’Accord de Paris sur le climat conclu fin 2015 par 195 signataires et ratifié par 147, à commencer par les États -Unis contrairement au protocole de Kyoto non ratifié. Les États-Unis se sont engagés, alors, à réduire de 26 à 28% leur émission de gaz à effet de serre (GES) d’ici 2025 par rapport à 2005. Ce retrait repose sur l’article 28 de l’Accord de Paris permettant aux signataires d’en sortir et la sortie officielle des Américains se fera à l’horizon 2020. Donald Trump a dénoncé un accord qu’il juge injuste pour son pays, déclarant que « l’heure est venue de quitter l’accord de Paris… J’ai été élu pour représenter les habitants de Pittsburg pas de Paris ».

La dénonciation de l’Accord de Paris sur le climat est une illustration du populisme, du nationalisme étroit et ignorant, de la planète « America first ». Les règles et les accords sont perçus comme des contraintes nuisibles aux intérêts nationaux et non comme des opportunités pour prévenir les conflits, favoriser des jeux coopératifs et inciter à faire les transitions écologiques nécessaires. Ce retrait renvoie à nouveau aux « trumperies », mélange de mensonges, de certitudes énoncées sans preuves, de fausses informations (fake news) et de raisonnement primaire.

Les effets de ce retrait se situent au niveau national des États-Unis et international par la perte du leadership américain dans la diplomatie climatique. Elle isole Washington et peut avoir des effets boule de neige.

Des effets nationaux qui risquent d’être fortement négatifs.

Le choix de Trump conduit à privilégier la vieille économie carbonée aux dépens de la nouvelle et donc d’obérer fortement le futur. Le retrait des Accords de Paris, mondialement condamné, fait l’objet d’un débat violent aux États-Unis et accroît les fractures politiques et territoriales internes. Il exprime, comme sur la plupart des autres sujets, la volonté de rompre avec l’héritage de Barack Obama. Le chef du Sénat, Mitchell McConnell, de même que Paulo Ryan, président de la Chambre des Représentants, ont applaudi cette mesure qui « défend les classes moyennes et les ouvriers du charbon ». Ce retrait est considéré comme positif par un peu plus d’un quart des Américains. On estime que 46% des électeurs de Donald Trump (sondage de mai 2017) étaient favorables à ce retrait et 22% sans opinion. En revanche, les électeurs de Hillary Clinton étaient pour 92% favorables au maintien. De nombreux leaders républicains, à commencer par Mitt Romney, candidat républicain à la Maison blanche en 2012, étaient par contre favorables au maintien. Les démocrates se sont mobilisés mais également les responsables des entreprises innovantes de la nouvelle économie. Le retrait a été condamné notamment par Elan Musk, le patron de Tesla, Llyod Blankfein, le PDG de la banque d’affaires Goldman Sachs, ainsi que par les leaders de la Silicon Valley. Les gouverneurs des États de New-York, de Washington et de Californie ont décidé de maintenir les objectifs de réduction des GES.

Les « trumperies » ont un certain écho auprès de l’électorat républicain car elles annoncent la baisse du coût économique pour les Américains que représenterait cet accord. Les arguments mensongers concernant ces intérêts résultent de rapports biaisés et d’absence de consultations des acteurs concernés. Ils portent sur :

– Les coûts économiques des accords en termes de pertes de 3 milliards de dollars et de 6,6 millions d’emplois industriels. Ces chiffres issus d’une seule source, NERA, très controversée (cf. World Ressources Institute) reposent sur un scénario extrême qui ne prend pas en compte les gains liés aux nouvelles sources d’énergie, aux transitions écologiques ou aux effets liés aux mesures des autres États signataires. Les engagements de 100 milliards par an d’ici 2030 pour favoriser l’adaptation des pays en développement et avoir un effet préventif sur les catastrophes, soit 3 milliards de dollars pour les États-Unis, n’a conduit jusqu’à présent qu’à un déboursement de 1 milliard de dollars. Celui-ci n’a pas, à l’encontre des déclarations de Trump, été prélevé sur les budgets de lutte contre le terrorisme.

– Les contraintes liées aux Accords de Paris : ceux-ci ne sont pas contraignants, n’intègrent pas la question du charbon et n’engagent pas la responsabilité légale des partenaires. Les États sont libres de choisir leur mix énergétique. Or, les spécialistes de l’énergie américaine considèrent que l’avenir ne se trouve pas dans le charbon. La question est celle de la reconversion des travailleurs sinistrés dans d’autres activités. La demande de charbon risque de se réduire dans l’avenir et les emplois liés à une énergie du XIXe siècle risquent de ne pas croître (cf. les propos de Murray, le leader du géant américain). Les emplois liés au charbon transférés à l’étranger renvoient plus à un fantasme qu’à une réalité prouvée.

– Les avantages donnés à la Chine qui va continuer de construire des centrales à charbon. En réalité, la Chine est en train, sous la pression de la population, de changer de modèle énergétique. Elle a annulé la construction de milliers de centrales à charbon et a promis de réduire de 60 à 65% d’ici 2030 la place du charbon dans son activité économique par rapport au taux de 2005, ainsi que d’augmenter la part des énergies non fossiles d’environ 20%. Un boulevard est donné à la Chine pour qu’elle domine les énergies renouvelables à l’échelle mondiale.

– Le faible poids du retrait des États-Unis vis-à-vis des GES et des effets sur le climat. Le non-respect des Accords de Paris par Washington ferait, selon le MIT, croître seulement (!) de 2/10 de degrés la température d’ici 2020. La hausse de 3 milliards tonnes équivalant CO2 d’ici 2030 serait responsable de 0,1 ° à 0,2°, soit un effet minime.  En réalité, les États-Unis sont le deuxième émetteur de GES après la Chine. Leur croissance économique énergivore et carbonée fera croître fortement les GES et ralentira la transition énergétique favorable à un nouveau modèle de croissance.

Des effets internationaux considérables.

Le retrait américain a une portée symbolique et le fait que la première puissance mondiale dénonce un accord signé et ratifié est une première. Cela peut avoir des effets boule de neige vis-à-vis des pays qui avaient été réticents lors de la signature de l’Accord de Paris comme l’Arabie saoudite, le Japon, l’Australie, la Russie (qui n’a pas ratifié l’accord), voire le Canada. Les risques de détricotage sont attendus par les États -Unis.

Le comportement nationaliste de free rider s’opposant aux jeux coopératifs est le signe d’une absence de prise en compte des interdépendances planétaires et des effets de représailles des autres États. La planète est menacée de l’avis de la quasi-totalité des scientifiques (sauf ceux payés par les lobbies, la liste est connue). Comme l’a déclaré Emmanuel Macron en paraphrasant Donald Trump : « Make our planet great again ».  La dette environnementale est intergénérationnelle car elle résulte des pratiques antérieures et se répercutera sur les nouvelles générations.

Cette décision unilatérale fait fi de toutes les prévisions concernant le devenir de la planète et les catastrophes naturelles ou anthropiques possibles. Le réchauffement climatique, lié aux difficultés de répondre aux effets en termes de stress hydrique et de désertification, est un des facteurs premier des tensions et des conflits armés, des réfugiés et des déplacés. Refuser une politique préventive et de précaution, au nom d’intérêts mercantiles, conduit à favoriser le terrorisme et les coûts des conflits. Cette politique peut répondre à des marchés obtenus avec des États qui soutiennent l’intégrisme islamique ; elle peut aussi répondre aux intérêts des lobbies énergétiques et militaro-industriels américains. Elle n’aura pas d’effets sur les baisses de dépenses publiques américaines que Trump fait miroiter aux contribuables.

S’en prendre au multilatéralisme et aux accords internationaux de la part de la première puissance du monde ne peut que renforcer les compétitions commerciales, les mesures de représailles et de rétorsions, ainsi qu’appliquer la loi du plus fort sans règles. La politique unilatérale de protectionnisme ou bilatérale d’accords commerciaux entre États répond certes à une attente des perdants de la mondialisation et exprime des rapports de force qui peuvent à court terme favoriser la puissance dominante ; mais elle est en totale contradiction avec les enseignements de la théorie économique, de l’économie de l’environnement, du contexte de mondialisation et de l’acceptation des règles internationales. Elle repose sur une vision mercantiliste du monde des affaires où « nul ne gagne que l’autre ne perd ». Elle répond certes à des intérêts de territoires ou de catégories victimes de l’innovation destructrice, correspondant à la vieille économie ; mais elle ne prend pas en compte les coûts et avantages au niveau macro-économique, les activités innovantes et les interdépendances existant au niveau transnational.

Les mesures prises par les États-Unis de Trump (grosses cylindrées, oléoducs, etc.) ont pour conséquence de renforcer le modèle énergivore, carboné et générateur d’externalités négatives. Elles contribueront vraisemblablement à accroître les catastrophes naturelles aux États-Unis et donc les coûts pour les sociétés d’assurance, ainsi qu’à donner le leadership technologique aux pays investissant dans les nouvelles énergies, à commencer par la Chine.

Le modèle proposé par Trump fait abstraction de toutes les interrogations du monde scientifique sur la faible durabilité de l’American way of life et sur les limites de l’American first. La politique est un art de compromis. La paix durable suppose que les forts n’humilient pas les faibles (Carl von Clausewitz). Le monde des affaires, mesuré à l’aune du dollar et des milliardaires, n’est pas un modèle de gestion d’un pays dans un monde complexe. Les « trumperies » sont des opportunités pour se ressaisir. Le devenir du monde dépendra des politiques des grandes puissances émergentes et de l’Union européenne en relation avec les pays en développement.
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