ANALYSES

Crise au Mexique : Donald Trump et le prix des hydrocarbures en cause

Interview
10 janvier 2017
Le point de vue de Jean-Jacques Kourliandsky
Le Mexique est en proie à des mouvements sociaux depuis le 1er janvier suite à l’augmentation des prix des carburants (16,5 % pour le diesel et 20,1%) pour l’essence. Quelles sont les revendications des manifestants ? Ces manifestations traduisent-elles un malaise plus profond de la société mexicaine ?

Les protestations de début d’année au Mexique sont issues d’un mouvement spontané et Il n’y a pas de revendications structurées. A l’annonce d’augmentations du prix des carburants, les Mexicains sont sortis dans les rues, des pillages ont eu lieu. 450 commerces auraient été saccagés. Une demi-douzaine de personnes sont mortes. La police a arrêté plus de 1500 manifestants. D’après les journalistes présents sur les lieux de protestation, les Mexicains interrogés n’acceptent tout simplement pas cette augmentation brutale des prix du carburant. Ils craignent que l’augmentation se répercute sur les prix de biens de première nécessité comme cela a pu être le cas par le passé.

Le Mexique est un pays producteur de pétrole. Pourquoi est-il contraint d’augmenter ses tarifs ? Comment se porte l’économie du pays ?

La richesse mexicaine dépend principalement de deux volets : les exportations d’hydrocarbures ; ses relations commerciales avec les Etats-Unis. Aujourd’hui, les déboires du Mexique s’inscrivent dans une baisse de revenus dans les deux secteurs.

La crise actuelle au Mexique reflète, tout d’abord, une crise plus globale des pays d’Amérique latine liée à la chute du prix des matières premières. Le Mexique dispose certes, d’une des économies les plus diversifiées du sous-continent avec le Brésil, mais il reste dépendant de ses exportations d’hydrocarbures. Malgré leur augmentation depuis quelques mois, la chute des prix du baril de ces deux dernières années a eu un impact négatif sur son économie. Pour le président Enrique Peña Nieto, membre du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), il était indispensable de répondre à cette baisse de revenus. Selon lui, deux solutions étaient envisageables : maintenir les prix de l’essence à leur niveau actuel et donc, augmenter les prix, ou couper dans le budget de l’Etat et, par conséquent, dans le budget social. Le président a choisi la première option.

D’autre part les enjeux économiques du Mexique sont étroitement liés à la conjoncture économique des Etats-Unis. L’économie mexicaine dépend beaucoup de ses exportations vers le voisin nord-américain et des investissements des entreprises américaines sur son territoire. L’année 2017 s’annonce difficile pour le Mexique. Le futur président des Etats-Unis, Donald Trump, a multiplié les discours xénophobes, anti-mexicains, pendant la campagne électorale. Il fait actuellement pression sur les groupes automobiles américains comme Ford, General Motors et japonais (Toyota). Ces groupes ont mis en place des usines au Mexique afin de produire des voitures vendues sur le marché nord-américain. La main d’œuvre mexicaine bon marché leur permet de réaliser des économies d’échelle. Suite à l’action de Donald Trump, les investissements annoncés par Ford, Général Motors et Toyota sont actuellement suspendus. Ils auraient généré des milliers d’emplois au Mexique.

Si Donald Trump confirme ses intentions de campagne électorale et pénalise les entreprises qui investissent au Mexique, les répercussions seront négatives pour les Mexicains comme pour les entreprises étatsuniennes. Les multinationales européennes et asiatiques seront également pénalisées. Profitant de l’absence de droits de douane dans le cadre de l’ALENA, beaucoup ont investi dans des usines et des infrastructures au Mexique pour vendre ensuite leur production sur le marché nord-américain.

Comment le gouvernement mexicain gère-t-il cette crise sociale ?

Pour maintenir le cap, le gouvernement avait besoin d’entrées budgétaires supplémentaires. Il a donc répercuté la baisse des prix du pétrole en relevant les prix à la pompe sur le marché national. Pour calmer la rue, le gouvernement mexicain a annoncé lundi la signature d’un accord avec des entreprises, syndicats et organisations paysannes afin d’atténuer l’augmentation des prix des produits de base pour les plus défavorisés.

Afin d’ouvrir un dialogue avec les Etats-Unis, dont l’économie mexicaine dépend, et pour répondre aux récents désengagements de Ford, Toyota et General Motors, Enrique Peña Nieto a nommé un secrétaire d’Etat aux relations extérieures, Luis Videgaray, en disgrâce il y a peu pour avoir organisé la visite du candidat Trump à México. Il est et donc aujourd’hui considéré comme étant le plus à même d’entretenir de bonnes relations avec le voisin américain.

Certaines manifestations se sont traduites par des scènes d’affrontements et de pillages. Plusieurs personnes ont d’ores et déjà trouvé la mort. Comment expliquer cette violence ? Est-elle symptomatique au Mexique ?

La violence lors de manifestations n’est pas inhérente au Mexique. Ce phénomène se vérifie dans d’autres pays d’Amérique latine. Dans les années 1990, des scènes de violence et de pillages avaient eu lieu à Caracas, alors que le gouvernement du Venezuela venait d’augmenter les prix du carburant. Des manifestations violentes ont aussi été observées en Argentine ou au Brésil suite à des chutes de ressources budgétaires conséquentes à des revenus liés à l’exportation de produits primaires.

Ces évènements permettent de recadrer les alternances et bouffées de violences constatées ces derniers temps en Amérique latine. L’idéologie y a peut-être sa part. Mais la chute des prix du pétrole a sans doute une responsabilité majeure dans les évènements du Mexique, comme dans ceux du Venezuela et du Brésil.
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