ANALYSES

Venezuela, l’incertitude

Presse
18 décembre 2015
Les élections législatives vénézuéliennes ont vu la nette victoire de la coalition de droite. Le pays entre en cohabitation. Que peut-il se passer ? Entretien avec Christophe Ventura, chercheur-associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).
Selon vous, quelles sont les raisons de ce revers sévère du parti chaviste ?
La chute vertigineuse du cours du baril de brut a eu une grande incidence sur la détérioration de l’économie du pays et la vie quotidienne des Vénézuéliens. Le pétrole, c’est la moitié des ressources de l’État. Quand son cours baisse de 60 % depuis 2010, comme c’est le cas, les ressources de l’État diminuent dans la même proportion. De plus, le contrôle du change a créé un marché noir hyperspéculatif sur la monnaie qui nourrit une forte inflation et une importante corruption, par exemple la contrebande organisée sur nombre de produits dont le pétrole. Le gouvernement a dénoncé cette forme de « guerre économique » et considère qu’elle est organisée à dessein pour le fragiliser et le déstabiliser. Le gouvernement essuie donc un vote sanction dans un climat de mécontentement général. Cependant, il faut observer que la droite, qui gagne avec plus de 56 % des voix, progresse peu en nombre de voix par rapport à la présidentielle de 2013. Ce qui la fait gagner, c’est la forte abstention de l’électorat chaviste dont les voix ne sont pas allées aux candidats du Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV). Parmi les autres raisons, il faut souligner l’insécurité non enrayée. Son développement est entre autres lié à celui du trafic de stupéfiants qui s’est en partie détourné de la Colombie pour passer par le Venezuela afin de trouver des débouchés caribéens, vers l’Europe notamment.

Est-ce que cette victoire de la droite, qui va contraindre le président Nicolás Maduro Moros à une cohabitation, représente un risque de crise politique grave ?
La coalition de droite a gagné 112 sièges sur 167. Elle dispose de la majorité qualifiée des deux tiers qui lui permet d’engager des réformes constitutionnelles. La chambre peut mener une guérilla très efficace dans un régime de type présidentialiste. Le gouvernement ne dépend pas de l’Assemblée mais celle-ci vote le budget et les lois fiscales et contrôle les dépenses de l’État. Ses pouvoirs sont très étendus, et on peut facilement se trouver dans une situation d’ingouvernabilité. Reste à savoir si la droite qui arrive sera agressive et revancharde. C’est une coalition qui va des socio-libéraux à la droite dure. Elle a construit son unité sur l’antichavisme. Quelles solutions proposent-elles à la pénurie de biens de nécessité dans tout le pays ? Maintiendrat-elle les programmes sociaux ? Et que vont faire les chavistes ? Le gouvernement et le président Maduro ont déclaré que, dans le cadre des pouvoirs que leur confère la Constitution, ils défendraient bec et ongles les lois sociales. On est donc a priori dans un schéma de confrontation, dans un pays très polarisé. Pour autant, le chavisme est une réalité sociologique forte, très bien implantée, qui rassemble un socle de 35 à 40 % de la population et qui est très organisée dans un maillage territorial et communautaire. L’évolution du rapport des forces est incertain.

Est-ce qu’on assiste à un reflux de la gauche en Amérique latine ? Il y a d’abord eu l’Argentine ; maintenant, le Venezuela ; au Brésil, la situation de Dilma Rousseff est fragile.
Il y a incontestablement un reflux de l’hégémonie des forces de gauche en Amérique latine ; mais, d’une part, chaque pays est dans une situation différente et d’autre part, on ne peut pas parler d’effondrement. La droite n’est pas plébiscitée. Au Brésil, par exemple, on est plutôt face à un pourrissement du système politique qui n’épargne personne. L’Argentine, elle, est en situation de cohabitation (mais inverse par rapport au Venezuela ; le président est de droite, le parlement kirchnériste). Ce qui est remarquable, c’est la vivacité démocratique de ces pays. Les élections se tiennent d’une façon exemplaire. Au Venezuela, la participation est de 75 %. On est loin du temps des dictatures. Dans cette partie du monde, même si la vie politique est très polarisée, il y a une stabilité démocratique effective.

 

Propos recueillis par Christine Pedotti
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