ANALYSES

Italie : manifestations et « loi bâillon »

Tribune
5 juillet 2010
Cette loi, approuvée par le Sénat, est actuellement en attente d’être rediscutée à la chambre des députés. Quand bien même, son existence est à elle seule symptomatique de la volonté de réduire l’action des magistrats et des journalistes en les obligeant au silence. C’est pour cette raison que la loi n°1611 a été rebaptisée « loi bâillon ».

Pour comprendre la gravité de la situation, on peut se référer à la mise en garde de Reporters Sans Frontières , qui craint un « effet domino »: «Si l’Italie, membre fondateur de l’Union européenne, devait approuver ce texte de loi, le signal envoyé aux pays tiers serait catastrophique et encouragerait bon nombre de dictatures à “s’inspirer fort opportunément” de ce texte pour limiter la capacité d’investigation de la presse locale, avec des conséquences encore plus dramatiques » .

L’idée que d’autres dictateurs puissent s’inspirer de l’œuvre de Silvio Berlusconi montre le danger, chaque jour croissant, qui pèse comme une épée de Damoclès sur la démocratie italienne. Mais quels sont les apports concrets de cette loi ?

Pour les magistrats qui commandent des écoutes téléphoniques pour une enquête judiciaire, une limite de 75 jours est fixée, ce qui rend leur travail bien plus difficile, et laisse pour ainsi dire les mains libres aux trafiquants de drogue et aux mafieux. De plus, l’impossibilité de mettre un micro dans un lieu public à moins « d’avoir la certitude qu’un délit est en cours » est paradoxale car le micro sert justement comme preuve. Son interdiction favorisera sans aucun doute l’activité des criminels.

Du coté des médias, cette loi est également dangereuse car elle vise à affaiblir le droit-devoir de l’information et donc le bon fonctionnement d’une société démocratique. La prison pour les journalistes et les sanctions disproportionnées pour les éditeurs affaiblissent le rôle de contre-pouvoir que la presse devrait incarner. En particulier, selon l’actuel alinéa 7 de l’article 114 du Code de procédure pénale, on peut publier le contenu des actes judiciaires libres du secret : mais avec la loi n°1611, toute publication de document est interdite, jusqu’à la fin de l’enquête préliminaire, donc pour plusieurs années bien souvent. L’interdiction des caméras, à moins d’avoir l’autorisation des interviewés et d’être dehors des tribunaux, va rendre les reportages impossibles à réaliser.

Le mouvement violet s’organise désormais et manifeste dans la rue contre la loi bâillon ; journalistes, magistrats, politiques du centre et de la gauche, écrivains et personnalités du spectacle ont lancé leur appel sur le web, mais le dernier mot sera prononcé au Parlement italien… voire à la cour de justice de Strasbourg en dernier ressort.

L’unique espoir pour éviter le bâillon, à part la désobéissance civile proposée par des journalistes, serait de suivre le comportement de Gianfranco Fini, le président de la chambre des députés, qui ne semble pas convaincu par cette loi et qui cherche à l’utiliser pour s’opposer à nouveau à Berlusconi, bien qu’ils soient du même parti. Pour l’instant, Fini a cherché en effet à «prendre son temps » pour éviter de faire discuter la loi avant l’été, mais cette démarche est en train d’ouvrir une crise à l’intérieur même du PDL (Il Popolo della libertà). Berlusconi n’accepte pas cette dissension et ne supporte plus le « courant des Finiens » qui depuis quelques mois s’oppose à son bon-vouloir, critiquant ouvertement ses choix. Certains analystes parlent déjà d’élections anticipées dans le cas d’une fracture trop profonde entre les deux. Il faut toutefois voir le poids réel au niveau politique de Fini et de son groupe, car on parle d’environ trente députés et de quinze sénateurs. Cette estimation est elle-même discutable, de nombreux députés ne se déclarant pas clairement pour des raisons évidentes. L’autre hypothèse pour Fini consisterait à faire transformer le PDL en parti fédéral, l’avantage étant de rester dans la majorité tout en s’autorisant à être, quand cela est nécessaire « indépendant » au niveau idéologique.

Ainsi, le grand parti majoritaire de Berlusconi se voit un peu plus fragilisé, car divisé et occupé à gérer une ‘lutte intestine’. Fini a dans tous les cas déjà réussi son coup : affaiblir il Cavaliere , critiqué de toutes parts pour sa conception plus que particulière de la démocratie et de la liberté d’expression.

Reste la Gauche qui a une carte à jouer en ce moment pour revenir sur le devant de la scène médiatique et populaire, en s’emparant du mécontentement général à l’égard du plan économique gouvernemental et en dénonçant la perversité du système berlusconien. Celui-ci est tout sauf infaillible : pour preuve, ce lundi, Aldo Brancher, un proche de Berlusconi et ministre en charge de la question du fédéralisme a remis sa démission, après avoir tenté de bénéficier de l’immunité ministérielle afin de surseoir aux poursuites judiciaires dont il fait l’objet pour détournement de fonds. L’idée d’une telle ‘possibilité judiciaire’ était du Cavaliere lui-même qui l’avait fait voter, il y a peu, enfouissant au passage de nombreuses affaires en cours d’instruction.

*giorgiacastagnoli@gmail.com