ANALYSES

Les Etats-Unis et le réchauffement climatique dans le prisme de Copenhague

Tribune
13 novembre 2009
Par Sarah Lacarrière, chargée de recherche à l'IRIS
La nouvelle administration a soulevé des espoirs mais sa marge de manœuvre est réduite par des blocages internes

La lutte contre le réchauffement climatique faisait partie du package qui a valu à Obama de s’attirer la sympathie des opinions publiques internationales au moment de sa campagne puis de son élection. Son attitude sur le sujet, en rupture totale avec les positions négationnistes de Bush, ont soulevé l’espoir d’un leadership américain, véritable tremplin pour une dynamique internationale volontariste. Arrivé au pouvoir, il a donné des signaux forts, notamment en nommant à des postes importants des personnalités réputées pour leur engagement en faveur d’une concertation ciblée sur le sujet. Fin janvier 2009, il nomme ainsi Steven Chu au poste de secrétaire à l’Energie (1). Ce physicien, surnommé « monsieur réchauffement climatique », prône une réduction des émissions américaines et défend une approche focalisée sur la promotion d’énergies non polluantes (y compris le nucléaire). Obama a également désigné Todd Stern comme émissaire des Etats-Unis sur les questions climatiques et en cela principal négociateur dans les forums internationaux. Cet avocat, proche d’Al Gore et expert en environnement au Center for American Progress , a été conseiller de Bill Clinton et avait joué un rôle important au moment des négociations du protocole de Kyoto. Arrivé en poste, Todd Stern a souligné une situation de « volte-face » et de « renversement » de la politique américaine.

Dans les discours, Obama reconnaît que les problèmes climatiques sont « liés à la dépendance des Etats-Unis au pétrole », ces prises de position laissant présager, si ce n’est un revirement tout au moins une profonde transformation de la politique américaine en matière climatique. Obama s’est engagé à changer les mentalités par l’introduction progressive de normes et de mécanismes d’incitation en faveur d’une économie plus verte. Il a intégré à son plan de relance de l’économie américaine un volet de soutien aux technologies propres et aux énergies vertes, pour un montant d’environ 80 milliards de dollars. Surtout, l’équipe d’Obama a introduit au Congrès au printemps un projet de loi ( Waxman-Markey Bill ) visant à instaurer au niveau fédéral un système d’échanges de quotas d’émissions en régulant les droits à polluer des industriels américains (système cap and trade). Ce grand marché national d’émissions de gaz carbonique viserait notamment à inciter les industriels à investir dans la recherche pour la capture de carbone et dans les énergies non polluantes. Si ce texte est adopté, il permettrait de réduire d’ici à 2020 de 17% les émissions américaines (par rapport au niveau de 2005) et de 83% d’ici à 2050 (2). La législation en cours d’étude au niveau fédéral est incontestablement ambitieuse. Mais le processus est encore ralenti par de fortes oppositions (opinion publique, lobby industriel) et par une conjoncture politique domestique délicate : les difficultés rencontrées par Obama autour de sa réforme sur le système de santé ne lui autorise pas une surexposition des mesures concernant le climat et un passage en force sur le paquet énergétique américain.

Ainsi, les bonnes intentions de la nouvelle administration américaine se heurtent à de fortes résistances internes. Le volontarisme politique au plus haut niveau ne vaut rien si les mentalités demeurent récalcitrantes. Or l’opinion publique américaine apparaît toujours dubitative sur le réchauffement climatique (3), d’autant plus qu’un réel effort des Etats-Unis dans ce domaine implique une profonde remise en cause des modes de vie et de consommation. Cet obstacle de l’opinion est relayé par le manque de consensus de la classe politique sur le sujet, les Républicains étant traditionnellement plus sceptiques quant à la réalité du risque climatique : ils déploient actuellement une campagne de boycott des sessions d’étude du projet de loi Waxman-Markey au Sénat. Du coup, celui-ci n’a aucune chance de passer au Congrès avant la fin de l’année.
Obama misait sur le processus interne fédéral pour arriver à Copenhague avec des engagements forts et chiffrés, et en même temps ces déboires domestiques lui fourniront un prétexte aux yeux du monde pour faire foi de sa bonne volonté.

Aucun accord global sur le climat ne peut produire des résultats tangibles si les Etats-Unis se sont pas fermement engagés

Les Etats-Unis sont une carte maîtresse dans la négociation internationale. En tant que deuxième pollueur mondial et premier consommateur d’énergies fossiles, ils sont incontournables pour aboutir à des résultats concrets de réduction des émissions mondiales. La courbe ne peut s’inverser significativement et durablement si les Etats-Unis ne réduisent pas leurs propres rejets qui pèsent pour plus d’un cinquième dans le total mondial. De plus, si eux ne s’engagent pas fermement à Copenhague, alors les autres n’ont aucune raison de le faire. Les décisions prises dans la négociation internationale sont coûteuses pour les agents économiques qui s’engagent, et la concurrence sur un marché du carbone encore embryonnaire est biaisée ou trop faible dès lors que les principaux pollueurs ne participent pas au mécanisme. On le constate dans le cas du protocole de Kyoto : le retrait des Etats-Unis a déséquilibré l’accord et donc les objectifs de réduction envisagés initialement ne seront pas réalisés. En outre, l’engagement des Etats-Unis est une nécessité absolue pour avoir une vraie discussion avec les pays en développement. Sans cela, ceux-ci rejetteront tout compromis pour élargir les mécanismes initiés par le protocole de Kyoto et se voir intégrés dans le système d’allocation de droits à polluer, ce que les pays industrialisés voudraient prescrire à Copenhague. La Chine n’aurait aucune raison de s’engager si les Etats-Unis n’en font rien, et ce serait au passage une belle occasion de dénoncer l’attitude américaine. Quant à l’Union européenne, véritable pierre d’angle pour convaincre et accompagner les négociateurs de Copenhague (4), elle a d’ores et déjà signalé qu’elle conditionnait l’ampleur de ses engagements à l’effort fourni par les autres. Elle s’est engagée à réduire de 20% ses émissions de CO2 d’ici à 2020 (par rapport au niveau de 1990), et 30% dans l’hypothèse d’un accord global à Copenhague.

Copenhague n’est pas perçu par les Américains comme une échéance historique. Cela ne veut pas dire que la question sera enterrée

Les résistances internes auxquelles la nouvelle administration fait face n’expliquent pas à elles seules les prévisions pessimistes quant à la position américaine à Copenhague. Dans la lignée de la tradition de politique étrangère américaine, le cadre des Nations unies n’est pas appréhendé comme le plus à même de produire des résultats concrets. De plus, les Etats-Unis rejettent tout compromis sur le principe d’une autorité supranationale susceptible de leur infliger des sanctions ou rappels à l’ordre : cela fait partie de ce qui a prévalu à leur retrait du protocole de Kyoto et c’est ce qui laisse penser qu’il n’y aura pas d’accord juridique contraignant à Copenhague. Pour les Américains, la contrainte de l’engagement doit s’exercer au niveau national. Par ailleurs, dans sa stratégie internationale, la nouvelle administration privilégie une approche concertée dans des forums multilatéraux ou des cadres bilatéraux plus étroits qu’ils considèrent plus propices à des engagements fermes et des négociations productives. (5) Et pour cause, la négociation onusienne inclut le bloc des pays en développement peu propices au compromis avec les Américains sur les enjeux du climat. Les cadres plus restreints permettent de négocier plus facilement. Le Forum des économies majeures a été institué par les Américains (6), et regroupe dix-sept des plus grands pays industrialisés, y compris la Chine, qui dans ce cadre est moins tributaire de son statut de porte-drapeaux des pays en développement. Avec la Chine justement, la nouvelle administration a une stratégie de main tendue sur la question climatique. Des rumeurs circulent sur des négociations secrètes entres les deux pays. Todd Stern, qui préconise depuis longtemps une sorte de « G2 sur le climat » qui serait fondé sur une étroite coopération technologique, déclarait récemment : « nous cherchons un partenariat très robuste avec les Chinois sur le changement climatique et sur les énergies propres » (7).

Les Américains n’ont pas désigné le sommet de Copenhague comme un aboutissement, ce n’est qu’une étape de la négociation internationale. Mi-octobre, Todd Stern a averti : « Il est très possible qu’il n’y ait pas d’accord à Copenhague ». La visibilité de ce sommet tient à l’enjeu d’une décision à prendre à l’approche de l’expiration du protocole de Kyoto et aux espoirs soulevés par une conjoncture politique américaine plus favorable après des années Bush qui ont vu stagner le processus de négociation. Mais la nouvelle administration n’a ni intérêt ni l’intention de se précipiter. Et d’ailleurs Barack Obama n’a pas encore annoncé son intention de se rendre à Copenhague. Quoi qu’il en soit, les Américains privilégient une approche pragmatique de régulation domestique et de coopération internationale ciblée. C’est la raison pour laquelle Copenhague ne devrait pas être « le grand soir ».

(1) Steven Chu est lauréat de Prix Nobel de Physique en 1997 pour ses travaux sur « les méthodes de refroidissement et de capture d’atomes par laser ».
(2) Pour plus d’informations : The Waxman-Markey bill at a glance, IDDRI, Septembre 2009)
(3) Selon un récent sondage du Pew Research Center, seuls 57% de la population américaine considère que le réchauffement climatique est avéré et seules 36% estiment qu’il résulte des activités humaines.
(4) L’Union européenne a elle-même mis en place depuis 2005 un système d’échange de quotas carbone qui pourrait le cas échéant servir de modèle à une dynamique élargie. Elle pourrait mettre à profit son expérience pour convaincre plus fermement les autres acteurs, les Etats-Unis en particulier, à s’engager. Toutefois sa position demeure timide, résultat de sa faiblesse politique et de ses divisions internes, et il n’y a pas de signal fort de l’Union européenne à l’adresse des Etats-Unis.
(5) Todd Stern, dans un article publié début 2007, privilégie une approche concertée entre les grandes puissances mondiales et considèrent par ailleurs que les négociations doivent se tenir au niveau des chefs d’Etat plutôt qu’à un niveau technique entre bureaucrates. Il y prône également un partenariat privilégié avec la Chine fondé sur l’échange de technologies vertes.
(6) Les 17 Etats réunis dans le Forum des économies majeures représentant 80 % de la consommation énergétique mondiale et 80 % des émissions de gaz à effet de serre de la planète. Les représentants des chefs d’Etat et de gouvernement se sont retrouvés pour la première fois à Washington en avril 2009 à l’invitation de l’administration Obama.
(7) Entretien au quotidien Le Monde, 25 mai 2009.