ANALYSES

Une analyse européenne des élections européennes

Tribune
9 juin 2009
Une campagne une nouvelle fois dépolitisée et dés-européanisée

Les élections européennes devraient être le temps fort symbolique, politique et citoyen, de la vie politique et démocratique de l’Union européenne. Au lieu de cela, elles ont été une nouvelle fois l’illustration qu’une telle Europe politique et démocratique n’existe pas. Alors même que le contexte de crise, propice à l’énoncé de propositions politiques fortes, aurait pu favoriser un renouvellement propositionnel et une re-politisation des débats européens, l’effet contraire s’est produit. Les lignes de clivages sur les réponses à apporter à la crise sont autant nationales que partisanes, si bien que certains conservateurs européens sont par exemple plus proches de partis socio-démocrates voisins que de leurs propres futurs partenaires au Parlement européen au sein du PPE-DE[1]. Preuve est ainsi faite une fois de plus qu’il n’existe pas de véritables partis politiques européens capables de déployer un programme et un discours faisant sens dans les 27 Etats membres, et que les questions européennes font parfois autant clivage à l’intérieur des partis nationaux et des groupes politiques européens qu’entre ces partis et groupes. Difficile pour le citoyen, dans ce contexte, de percevoir quels sont les enjeux clivant sur lesquels il doit élaborer son choix, quelle est l’importance politique et institutionnel de son vote, quel est, au final, l’intérêt, la réalité et la pertinence de sa responsabilité démocratique et citoyenne dans ces élections européennes[2].

La composition de la nouvelle assemblée ne devrait pas permettre de surmonter cette dépolitisation des enjeux européens.
Des équilibres politiques et une pratique parlementaire qui devraient être peu modifiés
Les partis de centre-droit sortent vainqueurs de ce scrutin. Avec 263 sièges sur 736, le PPE-DE, qui regroupe des partis comme l’UMP en France ou la CDU en Allemagne, renforce, proportionnellement, sa prédominance préexistante au PE[3]. Le PSE qui englobe le Parti socialiste français connait un recul avec 161 sièges, cependant que le triomphe annoncé des partis populistes et d’extrême droite ne s’est pas réellement produit à l’échelle européenne, malgré quelques percées nationales (Royaume-Uni, Hongrie, Roumanie, Pays-Bas notamment). Libéraux-démocrates et écologistes, avec respectivement 80 et 52 sièges, pourraient jouer le rôle d’arbitres en vue de coalitions sur des votes précis.

Comme dans les précédentes assemblées, aucune majorité claire ne devrait donc émerger de cette législature. Ce qui devrait conduite à une poursuite de la culture et de la pratique du consensus et des coalitions au sein du PE. Fait méconnu en France, PPE-DE et PSE vont une nouvelle fois procéder à d’intenses négociations pour le partage des postes (présidences de commissions parlementaires, postes de commissaires européens, etc.), et la présidence du Parlement. Cette pratique du consensus devrait aussi se retrouver sur un certain nombre de sujet politiques précis dans les mois et les années à venir. Une pratique qui présente l’intérêt de conférer le visage d’une vie parlementaire européenne souvent apaisée et constructive, mais qui a pour effet pervers d’enfermer le Parlement européen et, plus largement, les institutions européennes, dans leur relative dépolitisation. Une dépolitisation des débats européens nourrissant à son tour un manque d’implication des médias et des partis politiques nationaux pour ces débats peu contradictoires et entretenant donc, à terme, une faible mobilisation des citoyens européens[4].

L’Union européenne aurait pourtant grand besoin de la dynamisation politique et démocratique que le Parlement européen et son élection au suffrage universel direct étaient supposés apporter dans le triangle institutionnel Commission-Parlement-Conseil des ministres.
Le Parlement européen est-il encore le gardien de la légitimité et du contrôle démocratique dans l’Union et de l’Union ?

L’abstention très forte ne permet pas cette dynamisation politique et démocratique. Présentée dès le début de la campagne comme la future grande gagnante de ce scrutin, elle n’aura pas déçu, battant de nouveaux records au niveau européen comme dans plusieurs Etats membres. Avec un taux de participation de 42,94% dans les 27[5], ces élections européennes confirment une tendance à la baisse continue de la participation à ce scrutin depuis la première élection du Parlement européen au suffrage universel direct en 1979. Par-delà ce constat global, on notera que les Etats ayant rejoint l’Union ces dernières années affichent des records : 19,64% de participation en Slovaquie, 27,4% en Roumanie, 28,25% en Slovénie, 24,53% en Pologne, 27,84% en République tchèque, 20,91% en Lithuanie. Comme le symbole d’un rendez-vous manqué avec la construction d’une Europe politique et démocratique, les électeurs de ces Etats n’ont même pas eu le temps de penser quelques années durant que leur voix comptait dans l’Union, passant directement de l’adhésion à la désillusion, un chemin réalisé par les opinions d’autres Etats en plusieurs décennies.

Il est malheureusement peu probable que ces taux d’abstention ne provoquent une quelconque prise de conscience des partis politiques et des médias sur leur incapacité partagée à produire du débat public sur l’Europe, et sur leur propension à incarner eux-mêmes la caricature qu’ils se font du rapport du citoyen à l’Union (méconnaissance, manque d’intérêt, incompréhension d’enjeux trop complexes, etc.). Il est probable en revanche que dès les prochains mois, certains des élus de ce dimanche n’iront pas ou très peu à Strasbourg ou Bruxelles ; que seuls quelques médias téméraires sans souci d’audimat continueront à traiter des questions européennes ; que le Parlement européen continuera vaillamment de travailler au quotidien dans un relatif désert médiatique et politique. Désert médiatique et politique qui, conjugué à la représentativité de plus en plus faible du PE compte-tenu de taux de cette participation parfois très faible (re-)pose la question plus large de la légitimité démocratique de l’Union et de ses institutions.
Car à l’échelle de l’Union, l’équilibre institutionnel est peut-être encore plus fragilisé. Avec des taux de participation aussi bas, l’argument universellement employé par analystes comme responsables européens selon lequel le Parlement européen est le garant de la légitimité et du contrôle démocratique de l’Union devrait au moins être réétudié.

Osons ici quelques questions iconoclastes :

– Des députés européens élus avec un aussi faible pourcentage des inscrits sont-ils plus, ou moins légitimes que des représentants de gouvernements émanant de majorités élues avec des taux de participation parfois au moins deux fois supérieurs ?

– Les députés nationaux, assez largement exclus jusqu’à présent du système décisionnel européen, ne méritent-ils pas une meilleure place dans le système décisionnel européen ?

– Comment légitimer démocratiquement et politiquement une Commission européenne qui en a grand besoin avec un Parlement européen aussi peu légitimé par les urnes ?

Ces questions reflètent une réalité douloureuse pour qui souhaite l’émergence d’une Europe politique et démocratique : la contradiction fondamentale entre une aspiration légitime des partisans de l’intégration européenne de tous bords à renforcer les pouvoirs de la seule institution européenne directement désignée par les citoyens, et le refus de ces mêmes citoyens de doter le Parlement d’une telle légitimité en ne se mobilisant pas pour le désigner. Une contradiction que seule l’émergence d’une vie démocratique et politique européenne, source autant que fruit de véritables débats publics européens au quotidien pourrait permettre de surmonter. Au regard du déroulement de ces élections européennes, le chemin à parcourir reste encore long…

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[1] Parti populaire européen – Démocrates européens, regroupant les partis de centre droit comme l’UMP en France ou la CDU en Allemagne.

[2] En diffusant l’idée selon laquelle José Manuel Barroso serait reconduit comme président de la Commission, certains dirigeants européens ont par ailleurs largement contribué à renforcer l’idée diffuse selon laquelle voter pour les élections européennes ne sert pas à grand-chose puisque le vote n’a pas de conséquences précises sur les personnalités en place à Bruxelles…

[3] Cela d’autant plus que les conservateurs britanniques, traditionnellement intégrés dans ce groupe, ont annoncé leur volonté d’en faire scission, et ne sont donc pas comptabilisés comme « PPE-DE » ici.

[4]Le référendum sur le Traité constitutionnel européen fait à ce titre figure d’exception, pour la France du moins, dans la mesure où d’intenses débats publics ont eu lieu, où les citoyens ont cherché à s’informer, se sont mobilisés, aidés il est vrai par la nature binaire très clivante du referendum, et l’impression que le vote pouvait avoir des conséquences directes claires : l’adoption ou le rejet du projet de Traité.

[5] Chiffre donné par le parlement européen le 8 juin (http://www.europarl.europa.eu), susceptibles de légers ajustements postérieurs à la rédaction de cette contribution. Les chiffres donnés dans la suite de cet article proviennent de la même source.