ANALYSES

Adieu à la guerre globale au terrorisme

Tribune
16 avril 2009
Il n’a connu qu’un seul vrai concurrent : la ‘quatrième guerre mondiale’, une guerre totale censée venir après la fin de la Guerre froide, considérée par les néo-conservateurs américains (Eliot Cohen, James Woolsey, etc.) comme la Troisième Guerre mondiale.

Ce vocable terrifiant que nous avons critiqué dans un livre portant ce titre correspondait bien à la vision chère aux néocons : l’Amérique champion de l’Universel intervenant au cours de l’Histoire pour affronter au nom de tous les autres les quatre grands dangers menaçant l’humanité : le nationalisme (guerre de 14-18), le fascisme brun (39-45), le fascisme rouge (Guerre Froide) et maintenant le fascisme vert, alias islamo-fascisme.

Mais cette vision millénariste, un peu difficile à faire passer même auprès d’un public très républicain, s’est moins imposée que l’idée bizarre qu’il fallait lutter contre un sentiment (la Terreur) ou contre la méthode qui la provoque (le Terrorisme). D’où la critique classique : « On faisait la guerre à Hitler, pas à la Blitzkrieg, on peut remporter une victoire militaire sur un État ou sur des gens, pas contre des méthodes ou des stratégies. »

Pour l’anecdote, l’idée de renoncer à cette formulation ‘GWOT’ n’est pas neuve.
Un article->http://www.slate.com/id/2123412/] du New York Times du 26 Juillet 2005 annonçait déjà qu’après avis des conseillers pour la sécurité nationale, l’administration républicaine envisageait de renoncer à parler de « Guerre au terrorisme » pour adopter une nouvelle phraséologie : ‘ guerre globale à l’extrémisme violent ‘. Peu après, alors que le think tank républicain [Heritage
s’interrogeait gravement sur l’opportunité de parler de ce Struggle Against Global Extremism , D. Rumsfeld lui-même employait l’expression Struggle against ennemies of freedom and civilization .
Extrémisme global ou violent, voire ennemis de la liberté et de la civilisation ? Le vocable n’était pas encore bien fixé, mais l’idée générale restait claire : ne dire ni guerre ni terrorisme.

Les arguments :
– le mot « guerre » évoque des armées. Or, d’une part les U.S.A ne combattent pas des hommes en uniforme (ou du moins pas comme cibles principales puisque l’objectif est Al-Qaïda et sa mouvance). D’autre part, l’effort américain n’est pas seulement militaire et inclut aussi la politique de sécurité nationale, la diplomatie, la communication…
– Parler de guerre, c’était négliger l’aspect idéologique du combat. Tony Blair, lui, depuis les attentats de Londres, ne parlait plus que de « combat contre le fanatisme » ou « contre l’idéologie du mal » : il fallait donc insister sur le fait que les ennemis sont d’abord ceux des valeurs démocratiques. Ce serait d’ailleurs faire un ‘honneur’ paradoxal aux terroristes que de leur accorder le statut de belligérants.
– La nouvelle terminologie répondait à une critique récurrente de la GWOT : le terrorisme est une tactique, pas un être ou une organisation.
Struggle ou combat, a quelque chose de plus général que « guerre » et n’évoque pas nécessairement l’idée d’un traité ou d’une paix. Employer ce terme aurait habitué les Américains à l’idée que le combat risquait de durer longtemps.

Mais ces critiques ne font qu’effleurer la question de fond.
Selon la tradition, la guerre est définie comme la pratique durable et organisée de la violence armée collective à des fins politiques. Elle s’achève et fait ainsi place à la paix en cas de victoire, c’est-à-dire suite à l’élimination de l’adversaire, à sa reddition ou en vertu d’un compromis scellé par un Traité.

La nouvelle forme de guerre bousculait quelque peu cette définition.
1- Les armes utilisées, tout d’abord, la Global War on Terror n’utilisait pas uniquement des armes classiques.
Certes, l’emploi de ces dernières demeure essentiel : d’une part, le recours à la puissance armée semblait désormais devenir systématique ; d’autre part, le simple fait d’en priver ses propres adversaires (faire la chasse aux Armes de Destruction Massives) était devenu un enjeu important.
Mais, la « GWOT» était également une Guerre de symboles. Elle visait à prouver quelque chose et met donc en jeu les 5 « i » :
– L’idée (Pourquoi nous combattons ?)
– L’inimitié (Contre qui ?)
– L’idéologie en tant que vision motivante de la réalité en vue de la changer (donc la guerre comme affrontement de ‘visions du monde’)
– L’intelligence, au sens anglo-saxon du terme, c’est-à-dire en tant que ‘renseignement et analyse’, méthodes d’appréhension de cette même réalité.
– Les images, autrement dit la manière dont on a choisi de montrer cette réalité.
– L’influence (ou soft power ), l’attractivité et le prestige des USA, leur capacité de trouver des alliés.

2. Les acteurs, ensuite, la guerre n’était plus le théâtre d’une lutte entre des acteurs traditionnels (États, factions, partisans, etc.) mais choisissait comme ennemi principal le ‘terrorisme’. Ce qui pose un problème majeur d’identification.
On peut, globalement, définir le terrorisme comme la pratique sporadique de la violence armée par des groupes clandestins visant des fins politiques par des voies et des cibles symboliques. Il utilise notamment un ravage (l’attentat) en guise de message pour faire ravage, en affaiblissant l’adversaire.

Le terrorisme peut «préparer» la guerre (menant à la guerre de partisans ou à la guérilla; comme stade dans la montée de la violence), la compléter voir s’y substituer.

Al-Qaïda, création médiatique, recouvre elle-même moins une organisation structurée que de multiples petits réseaux. Mener la « guerre au terrorisme » impliquait donc; de recourir à une violence armée pour supprimer la possibilité matérielle (États voyous abritant des terroristes, prolifération des ADM) et « spirituelle » du terrorisme. Notamment par la « guerre pour les cœurs et les esprits » de la propagande destinée à convertir les masses arabes aux valeurs américaines.

3. Le but politique, enfin, cette guerre prétendait éradiquer la possibilité même de toute guerre ultérieure et recherchait une paix d’un type nouveau. Elle supposerait une victoire à la fois matérielle (destruction de toutes les bases arrière du terrorisme, de toutes les ADM, etc.) et politique (occidentalisation du monde).

En résumé, il s’agissait ni plus ni moins que de supprimer l’ennemi, les armes, la guerre et le péril, voire le sentiment même d’hostilité envers les USA !

Cette guerre était globale :
Dans son but : la globalisation d’une idée.
Dans son espace : elle se déroulait sur toute la planète et n’envisage donc aucune zone neutre.
Du fait des différents acteurs amenés à y intervenir : il n’y avait plus de différence entre civils et militaires, entre belligérants et neutres et, in fine , entre guerre et paix.

Exit donc la ‘GWOT’ et sur ce point, il est difficile de donner tort à la Secrétaire d’État. Mais supprimer le nom n’abolit pas la chose. Et la question d’un conflit planétaire mené comme une opération de police globale, mais suivant les procédés de la guerre (y compris l’invasion d’un État), reste cruciale.