ANALYSES

Obama Président : la méprise ?

Tribune
4 février 2009
Pascal Boniface : Comme développé dans votre livre « Obama Président : la méprise », pourquoi ne vous attendez-vous pas un changement radical de la part de la politique étrangère américaine ?

Guy Spitaels : Oui, c’est le cœur du propos : la méprise ne se porte pas sur la personnalité d’Obama. Je suis en effet, comme chacun, séduit par ses qualités, son charisme, la maîtrise dont il a fait preuve pendant toute la campagne, la sagesse qui décevra peut-être d’aucuns mais qui est réelle dans la composition de son équipe. Le problème n’est pas là, la méprise est double au fond. Certains voudraient voir en Obama le porteur de leurs inspirations pour le Tiers-Monde, pour l’environnement, pour une nouvelle reconstruction des Nations-Unies. Ce sont des objectifs extrêmement louables, mais il faut davantage s’attendre au principe d’« America first ».
La première méprise dont pourraient être victimes les Européens, c’est donc de ne pas voir, comme avec tous les Présidents américains, qu’il agira légitimement – évidemment – pour défendre les intérêts de ces concitoyens. La seconde méprise réside dans ses conceptions pour ce faire, celles qu’il entretient de son pays. Et là il me semble qu’il n’y a pas de doute. Dans son livre, maintenant traduit, “Change We Can Believe in”, il disait déjà que les Etats-Unis devaient être un shérif, mais le problème était que le shérif au pouvoir était un mauvais shérif. Il a repris ce thème d’une certaine manière dans son article remarqué de Foreign Affairs , au début de sa campagne, où il disait qu’il essaierait certes de dialoguer avec les puissances ennemies et d’autres, mais que si cela était nécessaire, il agirait unilatéralement. C’est ainsi, me semble-t-il, qu’il voit les choses. Son discours inaugural n’a fait que confirmer ce propos : « We are ready to lead once more ». Mais je ne sais pas si ce leadership est la fonction qu’un certain nombre d’habitants de la planète attendent des Etats-Unis. Qu’en pense-t-on en Chine, dans le monde musulman, en Russie ?
De la même manière, peu en on fait des commentaires, mais il a dans son discours rendu hommage aux victimes de Khe-Sanh (Vietnam). Par cet hommage, le Président Obama semble oublier les manifestations énormes des années 60 et substantes, et par là-même la victoire des Américains dans l’offensive du Têt devient une page de gloire. Aussi, je crois qu’il ne nous a pas trompé dans ses écrits, il a dit et répété que les Etats-Unis devaient guider le monde, et c’est je crois, dans son entourage, une conception généralement partagée ; Madame Albright parle même de « nation exemplaire ».
Voilà pourquoi je pense il y a, à mon avis, une certaine méprise dans l’opinion, surtout progressiste européenne, qui s’attend à ce qu’il ne peut pas et ne veut pas faire ; le voudrait-il d’ailleurs ? J’ai la conviction qu’un homme est peu de choses, et que les forces qui sous-tendent la société américaine ne vont pas dans ce sens ; les entreprises, les syndicats qu’il a courtisé pendant la campagne électorale, s’attendent à de nouvelles mesures protectionnistes. S’il subventionne très largement les exploitations agricoles qui fabriquent au départ, il est vrai, du maïs et non de la canne à sucre, le même produit éthanol que le Brésil, il introduit également de la concurrence. Il veut aussi protéger les industries automobiles contre celles de l’Est de l’Asie qui sont désormais plus compétitives. S’il veut remettre en question l’ALENA ou l’accord avec la Colombie, je ne crois pas que, comme Le Monde l’a écrit un jour, Obama soit nécessairement le candidat du Tiers-Monde.
Il y a donc ces forces évoquées, mais aussi celle de la plus grande et forte administration, le Pentagone, avec ce qu’il représente en budget et en présence dans le monde. On a toujours prêté à Galbraith, l’expression de « complexe militaro-industriel », mais il faut aussi se souvenir que le président Eisenhower faisait la même analyse. Et donc par delà la personne, dont je répète qu’elle a donné la couleur assez honnêtement, il y a une vue, au-delà de ce candidat assurément charismatique, de ce qu’est la société des forces qu’elles soient économiques, sociales ou militaires, qui sous-tendent, qui encadrent, qui encerclent la décision du numéro 1 des Etats-Unis.


Pascal Boniface : Voyez-vous un changement de ligne possible en ce qui concerne le Proche-Orient et la question israélo-palestinienne?

Guy Spitaels : Mon jugement est que, comme le Président Bush à Madrid à la fin de son second mandat, ou le Président Clinton à Camp David à la fin de son second mandat, Barack Obama, probablement, connaissant le poids des choses et singulièrement de l’AIPAC, nommant l’excellente Hillary Clinton comme Secrétaire d’Etats aux affaires étrangères, incite, me semble-t-il, à une « chrono politique » prudente. Mais les événements qui ont eu lieu dans l’entre-jeu des deux présidents, ne lui permettront pas de prendre le temps, d’user d’un délai assez long. Donc nous allons bien voir. Il fut très prudent, très silencieux, sur ce dossier pendant la campagne et pendant les trois semaines de l’attaque « Plomb durci ».
Il faut aussi voir que le Président Bush avait été assez net au moment où les colonies continuaient, il avait indiqué qu’à ce moment-là les Etats-Unis ne continueraient pas à appuyer Israël ; quand Sharon a mené l’invasion du Liban, Reagan lui a intimé de se retirer de Beyrouth. Est-ce que le Président Obama, assez rapidement maintenant, puisque l’on se trouve toujours devant un blocus – hors humanitaire – de la bande de Gaza et une situation qui demeure potentiellement dangereuse, va prendre rapidement une initiative, montrer sa force comme ses devanciers que d’aucuns qualifieraient de conservateurs ? Ou bien sera-t-il prudent ? Je n’en sais rien, j’attends la suite avec beaucoup d’intérêt.