ANALYSES

À Gaza, «on passe peu à peu d’une prison à ciel ouvert à un charnier à ciel ouvert»

Presse
29 octobre 2023

Avez-vous des nouvelles de vos équipes à Gaza ?


On a à nouveau eu des contacts dimanche 29 octobre au matin avec nos équipes, une vingtaine de personnes. Ils sont en vie. Ils sont toujours dans des conditions extrêmement difficiles, au même titre que les civils. Un des soignants qui travaille dans un hôpital dans le nord de Gaza nous a redit la difficulté qu’il a à pratiquer de la médecine de guerre sans traitements. Il nous décrit des situations d’amputations, d’opérations chirurgicales sans anesthésiants. On est sous des flots de blessés, mais aussi de malades classiques pour lesquels des soins basiques sont difficiles à prodiguer. On est dans une situation où les mortalités sont importantes, et tout cela dans la douleur, puisqu’il n’y a plus ou peu d’antalgiques.


Qu’en est-il des nouveaux appels à évacuer le nord de Gaza lancés par les autorités israéliennes ?


On est soumis à pas mal de pression pour qu’il y ait une évacuation de deux hôpitaux de la ville de Gaza, ceux d’Al-Shifa et d’Al-Quds. Dans ce dernier établissement, ce sont 14 000 personnes qui sont présentes, des malades, des blessés, et beaucoup de familles qui les accompagnent et sont là dans l’espoir d’avoir un minimum de sanctuarisation face aux frappes. La problématique, c’est que les bombardements continuent, que déplacer des blessés et des malades sans préparation, sans capacités logistiques de convois sanitaires, c’est ultra compliqué. Ce n’est pas réaliste aujourd’hui – ça ne l’était d’ailleurs pas plus il y a dix jours – de demander à 500 000 personnes d’aller dans le sud de la bande de Gaza, où l’aide n’est pas présente. Le Croissant-Rouge de Gaza a reçu dimanche une dizaine de camions, ce qui n’est rien par rapport à l’ampleur des besoins. L’idée que des dizaines de milliers de personnes, dont des blessés et des malades, puissent évacuer du nord vers le sud est juste irréaliste.


D’autant que le sud de l’enclave n’est pas épargné par les bombardements.


Les bombardements dans le sud sont moins intenses, mais ils continuent. Certains membres de notre équipe, comme d’autres Gazaouis, qui étaient partis dans le Sud les premiers jours, nous ont dit face à la situation «Tant qu’à mourir, autant mourir chez nous», et ils sont remontés dans le Nord. En fait, aujourd’hui, l’aide humanitaire est présente en masse côté égyptien, ce qui pose, soit dit en passant, d’énormes problèmes de gestion pour les Egyptiens. Le matériel humanitaire est là, prêt à rentrer, mais il ne rentre qu’au compte-gouttes. Donc il est clair que demander, comme le font les autorités militaires israéliennes, à des milliers de personnes d’aller dans un endroit où l’aide n’est pas présente, où il y a déjà massées des milliers de personnes qui sont dans le besoin, sans eau, sans nourriture, au fond, c’est instrumentaliser la notion d’aide humanitaire à des fins de déplacement massif de populations. Or, instrumentaliser l’aide humanitaire à des fins militaires, ce n’est pas légal dans le droit humanitaire international.


La situation est donc dramatique ?





La plupart de nos équipes ne sont plus opérationnelles, comme c’est le cas pour la plupart des autres ONG. Les Nations unies ont vu une soixantaine de leurs membres tués, et ces gens-là n’ont rien à voir avec des terroristes. Des dizaines de personnels locaux du Croissant-Rouge sont aussi mortes, la situation continue de se détériorer. On passe peu à peu d’une prison à ciel ouvert à un charnier à ciel ouvert. Et on est toujours hyper inquiets pour la vie de nos équipes, et bien sûr pour celle des civils en général.



Propos recueillis par Sonia Delesalle-Stolper pour Libération.

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