ANALYSES

Visite d’Anthony Blinken à Pékin : une volonté d’apaisement ?

Interview
20 juin 2023
Le point de vue de Barthélémy Courmont
 


Le secrétaire d’État américain Anthony Blinken a effectué une visite officielle de deux jours en Chine au cours de laquelle il s’est entretenu avec le président chinois Xi Jinping le 19 juin 2023, une première depuis la visite de Mike Pompeo il y a cinq ans. Alors que les tensions se cristallisent entre les deux pays, Pékin et Washington semblent vouloir renouer le dialogue. Quels étaient les enjeux de cette rencontre bilatérale ? Comment la relation sino-américaine est-elle susceptible d’évoluer, notamment à l’aune des élections présidentielles américaines ? Le point avec Barthélémy Courmont, directeur de recherche à l’IRIS, en charge du Programme Asie-Pacifique.

Le secrétaire d’État américain Anthony Blinken s’est rendu à Pékin pour une visite officielle de deux jours au cours de laquelle il s’est entretenu avec son homologue chinois, Qin Gang, et le président Xi Jinping. Dans quel contexte s’inscrit cette rencontre bilatérale ? Quels en étaient les enjeux ?

Le premier enjeu, qui peut paraitre simple, mais s’avère crucial, concerne la reprise du dialogue. Depuis l’arrivée au pouvoir de Joe Biden et, plus encore, la rencontre très tendue entre Anthony Blinken et son homologue de l’époque Wang Yi à Anchorage début 2021, la relation sino-américaine s’est non seulement dégradée, mais elle s’est surtout accompagnée de critiques très vigoureuses exprimées réciproquement et à distance par les deux pays. C’est également la première visite officielle d’un secrétaire d’État américain en Chine depuis celle de Mike Pompeo en octobre 2018, il y a près de cinq ans, avant la pandémie. L’actuel locataire de Foggy Bottom devait se rendre à Pékin en début d’année, mais son déplacement fut reporté sine die en raison de la crise provoquée par l’affaire des ballons « espions » survolant le territoire américain. Pendant cette période de tensions, en particulier au cours des dernières semaines, la Chine a relancé sa diplomatie, multipliant les déplacements et les accueils d’officiels. Il était donc important pour les États-Unis de reprendre le dialogue, et de matérialiser cette visite officielle attendue.

Anthony Blinken et Xi Jinping ont déclaré avoir trouvé des « terrains d’entente ». Le gouvernement chinois a notamment assuré qu’il ne fournirait pas d’armes à la Russie dans le cadre de la guerre en Ukraine, selon les propos rapportés par le secrétaire d’État américain. Néanmoins, de nombreux dossiers, tels que la question taiwanaise ou la rivalité commerciale, continuent de cristalliser les tensions entre les deux puissances. Quelle voie semble emprunter la relation sino-américaine à l’issue de cette rencontre ?

Sur certains sujets, le dialogue est dans l’impasse. C’est notamment le cas de Taiwan ou des droits de l’homme en Chine. En « faisant la leçon » à Pékin lors de la rencontre d’Anchorage, Anthony Blinken avait adopté la stratégie du parler-vrai, voire du rentre-dedans, mais sans aucun espoir de succès. Cette stratégie rompait avec celle de son prédécesseur, soucieux de négocier les relations commerciales, sans évoquer les autres points de divergence. C’est cependant, précisément, sur les questions commerciales que les négociations sont possibles, et le déficit commercial américain très important en 2022, supérieur à 380 milliards de dollars, ne peut laisser insensible la Maison-Blanche. Cela ne veut pas dire que les autres points de divergence sont négligés, mais on entre dans une nouvelle séquence entre les deux pays, notamment quand on voit que Qin Gang, homologue d’Anthony Blinken depuis le début de l’année, a accepté une visite officielle à Washington, à une date qui reste à déterminer. Comme quoi la diplomatie commence, le plus simplement du monde, par la volonté de se parler. Il y a, dans cette visite d’Anthony Blinken, quelque chose de rassurant à l’heure où les apôtres de l’apocalypse sont omniprésents.

Dans quelle mesure les élections présidentielles américaines de 2024 pourraient-elles remettre en cause cette volonté de stabilisation des relations entre Pékin et Washington ?

L’inquiétude américaine liée à l’affirmation de puissance de la Chine est l’un des rares points de convergence entre Démocrates et Républicains, qui partagent depuis maintenant plus d’une décennie une sorte d’obsession chinoise. La méthode dans l’engagement vis-à-vis de Pékin peut cependant différer, comme on a pu l’observer au cours des trois dernières administrations. En d’autres termes, la nature de la rivalité sino-américaine, qui s’inscrit dans la durée, ne changera pas, quel que soit le locataire de la Maison-Blanche. En revanche, un retour des Républicains pourrait se traduire par l’amplification de l’accent mis sur l’intérêt national, et donc les relations commerciales.
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