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JO : les championnes sont des champions comme les autres

Presse
15 février 2018
A Pyeongchang, huit épreuves sur 102 sont mixtes. Un record. Après le patinage artistique, le biathlon, le curling et la luge, le tir à l’arc et le tennis de table mêleront bientôt hommes et femmes. Quid des boxeuses, quid des nageuses ?

Les Jeux olympiques sont l’un des rares moments de médiatisation du sport féminin. Ils sont aussi l’occasion de poser la question, non seulement de la parité dans chacune des disciplines sportives, mais aussi de la mixité femmes-hommes de certaines épreuves. Ces deux leviers de l’égalité sont de plus en plus mobilisés, olympiade après olympiade, pour estomper une séparation, très prégnante dans les représentations collectives et dans les habitudes de nombreux clubs et fédérations, entre « sports de femmes » et « sports d’hommes », et entre des manières prétendument « féminines » et « masculines » de pratiquer.

Pour les JO d’hiver 2018 de Pyeongchang, en Corée du Sud, le nombre de compétitions faisant concourir, dans une même équipe, des sportifs et des sportives est inédit. On compte en effet huit épreuves mixtes sur 102 : outre le patinage artistique (« couple » et « danse »), c’est le cas du biathlon, du curling, de la luge et du ski alpin.

Les JO sont par ailleurs le seul événement où les compétitions féminines sont presque aussi nombreuses que des compétitions masculines (44 contre 50 à Pyeongchang). Seuls le saut à ski (ouvert aux femmes aux JO depuis seulement quatre ans) et le combiné nordique n’offrent pas, cette année, le même nombre d’épreuves chez les hommes et chez les femmes.

L’évolution est constante et rapide. Les prochains JO d’été, à Tokyo, en 2020, compteront 18 épreuves mixtes, contre 9 en 2016. Seront concernés la natation avec l’un des relais de 4×100 m nage libre, l’athlétisme avec l’ajout d’un relais 4×400 m, une épreuve de judo, de double en tennis de table, trois épreuves en tir, une épreuve en tir à l’arc et un relais en triathlon. La parité devrait également être atteinte en termes de compétitions féminines et masculines.

L’objectif du C.I.O. est à la fois de promouvoir la participation des sportives et la visibilité du sport féminin, et d’offrir un spectacle qui est plébiscité parce qu’original et innovant, loin des clichés sur les sportives dont la préparation nécessite le même engagement physique et psychologique que celui des sportifs.

Une illégitimité de la sportive qui remonte à loin

La participation des femmes à la compétition sportive a été, et demeure à certains égards — notamment sur le plan de l’autonomie financière — un long combat. Le sport moderne a successivement été, en Occident, l’un des lieux de l’éducation aristocratique, puis bourgeoise des jeunes hommes, un moyen de discipliner les masses – militaires, ouvriers, « jeunes de banlieue » – , et une expression du capitalisme triomphant dont il partage les valeurs – vantées comme masculines – d’abnégation et de performance. C’est pourquoi il a été difficile pour les femmes, considérées comme physiquement faibles et émotives ou comme n’ayant pas besoin de voir leur violence « canalisée », de se faire une place.

La plupart des disciplines fédérales leur sont donc longtemps restées fermées. Jusqu’en 1973, les femmes n’avaient pas la possibilité de pratiquer des compétitions de course à pied en dehors des pistes d’athlétisme. Grâce à une photographie devenue célèbre, on connaît l’histoire de Kathrine Switzer qui, en 1967, se voit poussée – mais en vain – vers la sortie par l’organisateur, alors qu’elle courait le marathon de Boston. La lutte gréco-romaine demeure aujourd’hui interdite aux femmes, la fédération s’appuyant sur des considérations physiologiques… Se pose cependant la question du surentraînement des hommes dans certaines disciplines comme le rugby, et des soupçons de traumatismes graves pour la santé à moyen terme : n’est-ce pas, pour le moins, faire fi d’impératifs biologiques ?

Il a fallu attendre les années 1990 pour voir apparaître des tournois de golf féminins, et ce n’est que depuis 1998 que la pratique de la boxe n’est plus réservée aux hommes. Or, la première compétition féminine de boxe aux JO, à Londres, en 2012, a eu un effet direct et mesurable sur les inscriptions en clubs. Il est donc dans l’intérêt objectif des fédérations de promouvoir la pratique des filles.

Sans parler d’interdiction, dans certains sports comme en Formule 1 et la compétition automobile en général, les femmes sont rarissimes. La voiture reste une prérogative masculine et les réticences des écuries comme des sponsors, mais aussi des pilotes masculins peu enclins à prendre le risque d’être battus par une femme, entretiennent un sexisme structurel. Quant à l’argument (encore) du manque de résistance physique, du défaut d’endurance, il ne tient pas puisque tout est question de préparation et que les qualités techniques prévalent. Dans la Formule 1, qui vient à peine de décider de la fin des grid girls – qui, comme les hôtesses du Tour de France, confortent le rôle que Coubertin avait attribué aux femmes et consistant à « couronner les vainqueurs » –, le chemin sera long vers la parité.

En équitation, où les femmes sont très largement majoritaires dès l’enfance, des chercheuses en STAPS comme Fanny Le Mancq ont montré que, plus le niveau de compétition augmente, plus les hommes disposent des meilleurs chevaux.

La peur que les femmes « prennent la place » (et les primes) des hommes perdure. C’est l’un des ressorts des soupçons de déficit de féminité, qui ont conduit dans l’histoire, et jusqu’à aujourd’hui avec l’exemple de Caster Semenya, à des tests médicaux humiliants et ignorants des réalités biologiques, ainsi que l’ont mis au jour les travaux d’Anaïs Bohuon.

La très faible couverture journalistique des sportives s’ajoute aux commentaires médiatiques souvent empreints de sexisme car il sera question d’une skieuse ou d’une athlète « combative mais qui reste féminine », autrement dit « sexy », « jolie », « gracieuse ». Or la technicité du geste sportif comme l’intensité des entraînements ne permettent pas aux compétitrices de faire du contrôle de leur apparence leur priorité. L’exception des disciplines valorisant qualités esthétiques ou attitudes faisant appel aux stéréotypes sexués, comme la natation synchronisée ou la gymnastique rythmique et sportive (au demeurant fermées aux hommes, ce qui, là aussi, pourrait changer), confirme cette règle.

Plus globalement, l’enjeu de la visibilité des sportives de haut niveau renvoie à la place, subalterne, des femmes dans l’espace public, qui se pose en des termes similaires pour les élues, les scientifiques, les intellectuelles ou encore les cheffes d’entreprise. L’expression « femme publique » fait du reste écho à un imaginaire pour le moins différent de celui associé à l’expression « homme public »… Rappelons néanmoins qu’il y a encore dix ans, la perspective d’une diffusion à la télévision d’un match féminin de football ou de handball faisait sourire. Ce n’est plus le cas.

L’égalité se construit dès l’enfance

Pour constituer un vivier de championnes dans un maximum de disciplines, il faut permettre aux filles de bénéficier des mêmes ressources que les garçons dès l’enfance. Au-delà de la performance et de la quête de médailles, c’est aussi un enjeu démocratique car c’est la liberté, pour chacun.e, de choisir son sport et de le pratiquer dans les meilleures conditions qui se joue, alors même que le sport est l’une des sphères de loisirs où les stéréotypes de genre sont les plus ancrés, du fait du rapport au corps et de l’image donnée de soi. C’est pour cela que la médiatisation des sportives est un outil essentiel pour créer des role models pour les jeunes filles, alors que les jeunes garçons n’en manquent pas.

Les fédérations du sport scolaire l’ont bien compris et sont précurseurs dans la promotion de la mixité des pratiques. Celle-là est en effet actée dans 28 disciplines au sein de l’Union Nationale du Sport Scolaire (UNSS). Quant aux Jeux olympiques de la Jeunesse, en multipliant la participation de sportives et de sportifs au sein des mêmes équipes, ils ont eu un rôle qu’on pourrait qualifier « d’incubateur d’innovations » pour le mouvement olympique.

En matière d’égalité femmes-hommes, le sport fédéral doit continuer à mettre en pratique son discours méritocratique et son appel à des valeurs à prétention universelle. De bonnes pratiques existent, qui promeuvent mixité et parité et qui mêlent objectifs éthiques et financiers. C’est l’occasion, pour les femmes autant que pour les hommes, en se mesurant à l’autre sexe, de progresser sur les plans de l’endurance et du défi physique comme du geste technique et de la stratégie. Après Tokyo 2020, Paris 2024 pourra, en proposant encore davantage d’épreuves mixtes par équipe, comme par exemple en boxe ou en lutte, faire de la promotion du sport féminin l’un de ses atouts majeurs.
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