ANALYSES

Crise du Golfe : pourquoi les sanctions contre le Qatar ne sont dans l’intérêt de personne

Presse
21 septembre 2017
Dans sa mise à jour des perspectives de l’économie mondiale le 24 juillet, le Fonds Monétaire International (FMI) a estimé que la croissance économique au Moyen-Orient et en Afrique du Nord allait connaître un ralentissement significatif en 2017. Alors que les pays du Golfe devraient accentuer leurs efforts afin de faire face ensemble à la chute des cours du pétrole, les sanctions imposées au Qatar par quatre autres pays arabes ne font qu’empirer la situation.

Depuis le 5 juin dernier, le « quartet » réuni autour de l’Arabie saoudite (Émirats Arabes Unis, Bahreïn, Egypte) impose des sanctions économiques et politiques au Qatar, dont l’interdiction pour les avions de ligne qataris d’accéder à leur espace aérien et la fermeture de son unique frontière terrestre avec l’Arabie saoudite. Ce dernier élément fait en réalité que le Qatar se retrouve quasiment sous blocus. Si Doha est accusé de financer le terrorisme, l’objectif inavoué de la coalition est que le Qatar rentre dans le giron du Conseil de Coopération du Golfe (CCG), sous l’égide de l’Arabie saoudite. Le petit émirat gazier est en effet souvent tancé par Riyad et Abou Dhabi pour ses velléités d’indépendance diplomatique qui se caractérisent notamment par d’assez bonnes relations avec l’Iran avec qui le Qatar partage un énorme gisement gazier en mer, le North Field (Qatar)/South Pars (Iran). Le soutien de l’émirat à la mouvance des Frères musulmans est la seconde pomme de discorde entre Doha et le « quartet ».

Effets contre-productifs des blocus

L’histoire nous enseigne cependant que les sanctions économiques, sous forme de blocus ou d’embargo, produisent rarement les résultats espérés. De plus, le Qatar peut toujours exporter vers le reste du monde son pétrole, ses condensats et son gaz naturel, notamment son gaz naturel liquéfié (GNL), le joyau de la couronne de l’émirat, et ainsi continuer d’engranger des devises. La situation est plus difficile lorsqu’il s’agit d’importer certains produits, notamment en ce qui concerne les denrées alimentaires importées à 90% même si le Qatar a jusqu’ici fait preuve de beaucoup de créativité, allant même jusqu’à faire venir des troupeaux de vaches par la voie aérienne…

Mais, surtout, les sanctions de ses voisins ont généré l’inverse de l’objectif du quartet : le Qatar n’a pas cédé aux pressions de ses voisins et il a été rapidement soutenu par deux autres puissances régionales, la Turquie et l’Iran. L’émirat gazier a habilement su faire jouer ses liens diplomatiques avec ses partenaires du Moyen-Orient ainsi qu’avec les grandes puissances mondiales, y compris les Etats-Unis, évitant ainsi l’isolement dans lequel il aurait pu se trouver.

Le Qatar a bien conscience de son poids dans la géopolitique du gaz : il est le premier exportateur mondial de GNL. De plus, le pays accueille une base militaire américaine clé à Al Udeid très importante pour le Commandement central du Pentagone (U.S. Central Command), qui couvre la région du grand Moyen-Orient. Des atouts qui lui servent de polices d’assurance puisqu’il sait que les grandes puissances et les compagnies pétrolières ne peuvent permettre que cette crise dégénère. Le Moyen-Orient représente un peu moins de 50% des réserves prouvées mondiales de pétrole et un peu plus de 40% des réserves de gaz naturel, selon les estimations de BP. Les flux pétroliers et gaziers dans le détroit d’Ormuz sont scrutés chaque jour par les analystes américains, européens et asiatiques.

La Turquie et l’Iran seuls gagnants?

Les tensions dans le Golfe desservent finalement l’ensemble des pays de la région. Il est certes encore trop tôt pour réellement apprécier l’impact de cette crise en termes économiques et financiers. Mais les investisseurs et les institutions financières y voient évidemment un signal négatif fort, pouvant les conduire à ralentir, voire à stopper, certains projets de financement sur fond de risques politiques exacerbés. A terme, il n’y aura que des perdants parmi les pays arabes de la région. Les seuls gagnants pourraient être la Turquie et l’Iran, un comble pour une coalition arabe obsédée par la montée en puissance de Téhéran.

A l’heure où l’Arabie saoudite tente de faire son aggiornamento économique avec le plan « Vision 2030 », ces sanctions gâchent l’effort fait en termes d’image et de communication par Riyad pour promouvoir son pays comme terre d’avenir d’une économie diversifiée et moderne. Les sous-entendus par certains représentants du quartet sur des rétorsions possibles contre les partenaires commerciaux du Qatar ne sont évidemment pas de nature à rassurer sur le climat des affaires dans la région.

Donner la priorité à la négociation

Quant au Qatar, il va de soi que la situation actuelle n’est pas tenable à terme, même si ses réserves financières et gazières sont colossales. Exigu et isolé, tout en étant mondialisé, l’émirat ne peut se permettre de rester indéfiniment un pestiféré régional alors qu’il est devenu un hub international de premier plan avec sa place financière, son aéroport et sa compagnie aérienne. La prospérité qatarie repose sur son ouverture économique. La perspective du Mondial 2022 n’est pas compatible avec sa mise sur le banc de touche.

Les sanctions sont donc vouées à l’échec et il est temps de donner la priorité à la négociation et à un peu plus de pragmatisme. Dans un Moyen-Orient secoué par les crises (Syrie, Irak, Yémen et tensions avec l’Iran), mettre encore plus d’huile sur le feu constitue une erreur majeure. Les sanctions économiques actuelles ne sont dans l’intérêt de personne, que ce soit le Qatar ou les membres du « quartet ».
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