ANALYSES

Amérique latine : terre promise d’Israël ?

Presse
21 septembre 2017
Le chef du gouvernement israélien, Benjamin Netanyahou, a effectué du 11 au 14 septembre 2017 une visite inédite en Argentine, en Colombie et au Mexique. Certes ces trois pays ont des relations diplomatiques avec les autorités de Tel-Aviv. Ce voyage officiel a pourtant un côté insolite. C’est en effet la première fois qu’un président israélien se déplace en Amérique latine. Quelles sont les raisons à l’origine des visites de septembre 2017 ?

Pourquoi donc n’y a-t-il pas eu de rencontre de ce type jusqu’ici ? Et a contrario quelles sont les raisons à l’origine des visites de septembre 2017 ? Argentine, Colombie et Mexique, comme d’ailleurs tous les pays latino-américains, ont des relations diplomatiques lointaines avec Israël. Les échanges économiques sont normaux. Israël est par ailleurs un fournisseur d’armements ancien et bien installé dans le paysage militaire latino-américain. Les relations ne sont jamais sorties de ces couloirs, ceux d’une normalité sans relief. Au tournant de la décennie 2010 ces rapports avaient perdu densité et pertinence. La quasi-totalité des Sud-américains avait en effet reconnu en 2011 la Palestine comme État. Mahmoud Abbas avait réalisé une tournée dans la région, matérialisant ce rééquilibrage. Parallèlement Argentine, Bolivie, Brésil et Venezuela avaient développé une relation diversifiée avec l’Iran.

Une diplomatie différente des gouvernements progressistes

Une inflexion avait été prise à l’initiative de gouvernements progressistes issus d’élections gagnées de 1998, au Venezuela, à 2006 en Équateur. Les nouvelles majorités avaient mis en chantier une diplomatie différente de celle pratiquée par leurs prédécesseurs. Moins occidentale, elle visait à fabriquer des complémentarités entre pays du sud. Israël dans cette configuration relevait de l’espace occidental. Le président Lula avait visité Israël, mais dans un paquet régionalisé incluant la Palestine et le Liban. Il avait, en 2010, pris une initiative, critiquée en Israël, avec la Turquie sur le dossier nucléaire iranien. Le président Chávez du Venezuela avait sermonné publiquement Israël pour ses interventions à Gaza. L’un et l’autre, avaient été taclés par Israël. Le Brésil avait été qualifié de « nain » diplomatique en février 2016 pour avoir refusé comme ambassadeur un des animateurs de la colonisation de la Cisjordanie. Le Venezuela ayant expulsé l’ambassadeur d’Israël en 2009 avait été qualifié au cours de la polémique de pays antisémite.

L’Amérique latine a changé de couleur politique

La première explication permettant de comprendre la démarche latino-américaine de Benjamin Netanyahou, est donc celle-là. Les forces conservatrices et libérales aujourd’hui sont aux commandes, à Buenos Aires, Brasilia et Lima. Elles renforcent celles qui, à Bogota et Mexico, avaient résisté à la vague progressiste. Ces partis et leurs gouvernants, à la différence de leurs prédécesseurs, ont des sympathies occidentales. Il y avait donc là un créneau permettant de partir à la reconquête du terrain cédé au début de ce millénaire, à l’international et aux Nations Unies. Opportunité saisie par le premier ministre israélien.

Au passage il a rappelé le lien fondateur unissant Israël aux communautés juives, en particulier au Mexique et surtout en Argentine, où ils seraient près de 300 000. Ont été associés à ces approches, les évangélistes pentecôtistes, proches des dirigeants latino-américains occidentalistes et libéraux, alliance matérialisée en novembre 2016 par la visite à Jérusalem du président guatémaltèque, Jimmy Morales. Le Premier ministre israélien a signalé des parentés sécuritaires porteuses de coopérations. L’Argentine a été la cible d’attentats visant des établissements juifs en 1992 et 1994 ; la Colombie peine à sortir de décennies de conflits internes dramatiques, et le Mexique connaît lui aussi un moment de grandes violences. Plusieurs accords, économiques, commerciaux et touristiques, de recherche et développement, ont été par ailleurs paraphés avec les responsables des pays visités. Le commerce bilatéral Israël – Amérique latine est en effet marginal. Il ne représente que 4 % des échanges globaux d’Israël. Il en va de même pour les trois pays latino-américains qui n’effectuent qu’un commerce minimal avec l’État hébreu. En ces temps de grisaille conjoncturelle dynamiser les échanges ne fait pas de mal. Il n’y avait pas là pourtant matière à mobiliser les sommets de l’État.

La proximité idéologique ?

Le choix des pays ciblés n’est pourtant pas ici encore déterminant. Le Brésil, dirigé par un agrégat d’intérêts néo-libéraux n’était pas dans l’agenda, alors qu’il est de loin le premier partenaire économique dans la région. Benjamin Netanyahou a bien prévu de rencontrer le président brésilien, mais à New York lors de l’ouverture des travaux de l’Assemblée générale de l’ONU. L’Argentine a effectivement connu une alternance en 2015. Une Argentine qui avait cherché à s’accorder avec l’Iran sous Cristina Fernández de Kirchner. Mais Colombie et Mexique sont gouvernés depuis plusieurs années par des présidents libéraux amis des États-Unis et de l’Europe. Pourquoi donc ne pas les avoir visités plutôt ?

Le facteur Trump

La variable déterminante est de toute évidence autre. Une variable qui a imposé la convergence de facteurs porteurs -diplomatiques, économiques et commerciaux, idéologiques-, restés en sommeil jusque-là. Une variable ayant émergé récemment avec une force et des retombées déstabilisatrices pour Israël comme pour l’Argentine, la Colombie et le Mexique : l’accession aux responsabilités d’un président nord-américain, Donald Trump, aux décisions et opinions imprévisibles, génératrices d’incertitudes. Israël, Argentine, Colombie, Mexique sont dirigés par des responsables en sympathie naturelle avec les États-Unis et leurs valeurs traditionnelles, fondées sur la solidarité occidentale et la promotion des libertés commerciales. Donald Trump a déçu Israël en ne dénonçant pas le traité signé par le groupe 5+1 avec l’Iran. D’Argentine, Benjamin Netanyahou a envoyé des signaux anti-iraniens aux dirigeants des États-Unis qui doivent en débattre au Congrès le 15 octobre 2017. La Colombie, engagée dans un processus de paix intérieure exemplaire est menacée de sanctions par le Département d’État pour son laxisme à l’égard du narcotrafic. Le Mexique a été publiquement dénoncé par Donald Trump comme bouc émissaire des difficultés commerciales des États-Unis, d’autre part vecteur de maladies, de clandestins, et de trafics de toutes sortes. Contraints par les circonstances, les uns et les autres ont donc décidé, en attendant une éventuelle alternance à Washington, de mutualiser positivement l’impasse diplomatique et commerciale dans laquelle les a placés Donald Trump.
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