ANALYSES

Venezuela : « La composante la plus radicale de l’opposition l’a emporté »

Presse
31 juillet 2017
Interview de Christophe Ventura - L'Obs
Qu’est-ce que « l’opposition » au Venezuela ?

Derrière ce mot chapeau se cachent beaucoup de réalités. L’opposition vénézuélienne est plurielle. D’abord, il y a une opposition présente depuis 1998 et la victoire d’Hugo Chavez. C’est elle qui est à la manœuvre jusqu’à présent. Il existe aussi une autre partie qui n’a rien à voir : une opposition « de gauche » composée de certains partis traditionnellement d’extrême gauche, qui ont toujours été assez critiques du chavisme, ou en tout cas réservés. Ils ne représentent pas forcément grand-chose dans la société civile, mais ils sont actifs politiquement. A cette opposition « de gauche » s’articulent des personnalités du chavisme, qui n’ont pas d’organisation politique mais qui sont des personnalités avec une certaine légitimité, de par leur parcours, comme la procureure générale Luisa Ortega.
L’opposition qui impose un véritable rapport de force au gouvernement, c’est la première, l’opposition historique. Elle est composée des forces défaites par Chavez, notamment des deux partis COPEI et AD (Action démocratique).
En fait, Chavez a été élu sur les cendres d’un système politique bipartite, qui dirigeait le Venezuela depuis des décennies dans une alternance entre socio-démocrates et conservateurs.
Au fil des ans, avec la polarisation déclenchée par le chavisme, d’autres organisations ont rejoint cette opposition « libérale ». Aujourd’hui, de nombreuses mouvances sont réunies dans la Mesa de la unidad democrática (MUD) : une droite dure, des formes d’extrême droite aussi, jusqu’à des forces de centre gauche. Leur point de ralliement est la destitution du gouvernement en place. C’est sans doute leur seul objectif commun, puisqu’il n’existe pas vraiment d’unité programmatique.

Qui prédomine au sein de cette opposition « historique » ?

Les deux mouvements principaux sont représentés par deux figures de l’opposition. D’une part, Henrique Capriles et son parti Primero Justicia, classé au centre droit. C’est lui qui avait perdu en 2012 contre Chavez et en 2013 contre Nicolas Maduro. D’autre part, le second pôle vient d’une droite plus dure, autour de Leopoldo Lopez et de son parti, Voluntad Popular. L’une des figures montantes de l’opposition, Freddy Guevara, vice-président de l’Assemblée nationale, est dans son sillage. Cette seconde mouvance représente la fraction dure de l’opposition, celle qui a toujours défendu l’insurrection.
La situation actuelle de l’opposition – et par extension, celle du Venezuela – a un point de départ l’élection présidentielle de 2013, après la mort d’Hugo Chavez. L’opposition n’a en fait jamais reconnu les résultats et la victoire de Maduro, alors que dans les faits, sa victoire électorale était tout de même prouvée. A partir de ce moment, il y a eu un débat stratégique au sein de l’opposition quant à la tactique à suivre.
La première solution était de contester le pouvoir en continuant de respecter la Constitution de 1999. La deuxième, celle de Voluntad Popular, était d’aller vers un changement de régime à tout prix, dans une forme de stratégie insurrectionnelle qui encourageait à la mobilisation de rue, aux rébellions…
C’est cette ligne-là qui a gagné, et qui nous a amené à la crise d’aujourd’hui. Pour le gouvernement, c’est ce qui a justifié l’incarcération de Leopoldo Lopez, qui avait plusieurs fois fait appel à l’insurrection et à la résistance parfois violente. C’est d’ailleurs Luisa Ortega, désormais devenue critique du gouvernement de Maduro, qui l’avait mis en prison dans un premier temps [il a ensuite été placé en résidence surveillée du fait de sa santé physique, NDLR].

C’est donc l’opposition la plus dure qui l’a emporté ?

Exactement. Au sein de l’opposition, c’est la composante la plus radicale qui a gagné le leadership. C’est comme ça que Leopoldo Lopez est devenu une sorte de martyr et qu’il a remporté l’hégémonie dans l’opposition. Cela explique que l’on se retrouve dans la situation explosive d’aujourd’hui entre le gouvernement et l’opposition, aucun n’étant prêt à reculer.
Cependant, quelques jours avant l’élection de dimanche, il semble que des réunions informelles entre défecteurs de l’opposition et délégations du gouvernement aient eu lieu, sous l’égide de José Zapatero, l’ancien président du gouvernement espagnol. La situation est tellement explosive qu’au sein du gouvernement comme au sein de l’opposition, on a peut-être envie de tester des canaux de communication, parce que les lignes dures sont en train de l’emporter partout.

Cette opposition « historique » bénéficie-t-elle d’un réel appui populaire ?

Les chiffres de l’élection de la Constituante de dimanche ont été donnés par le gouvernement, il faut donc les prendre avec précaution. Mais ceux du référendum organisé il y a deux semaines par l’opposition étaient tout aussi informels. On peut malgré tout estimer à 8 millions d’électeurs le nombre de personnes ayant participé à l’élection du 30 juillet, et à un peu plus de 7 millions ceux du référendum de l’opposition. On s’aperçoit alors qu’on retrouve des chiffres similaires à ceux des dernières élections de Chavez : quand le chavisme et l’opposition sont mobilisés, on retombe sur 8 millions (le score de Chavez en 2012) contre 7. Il semble donc y avoir une vraie continuité, une cohérence dans la société vénézuélienne.
Mais ces deux chiffres recoupent des réalités diverses. L’opposition peut se targuer d’avoir le soutien d’une partie de la population, mais il ne s’agit sûrement pas du peuple « populaire ». Principalement, ce sont des classes moyennes, aisées, jusqu’à l’oligarchie locale, tandis que le chavisme s’appuie sur des classes plus populaires, voire pauvres. En fait, le conflit politique qui se joue aujourd’hui cache une sorte de lutte de classe.
L’opposition a donc un appui populaire en termes de population ; mais pas dans les classes populaires. C’est d’ailleurs un de ses échecs de toujours : ne pas avoir réussi à fédérer les classes les plus défavorisées autour de son projet.

Quel est désormais l’avenir de l’opposition, alors que le gouvernement crie victoire depuis les résultats de dimanche ? Fallait-il s’y attendre, l’opposition ayant appelé au boycott de cette élection ?

Le fait que l’opposition ait appelé au boycott constituait un choix stratégique, mais aussi un risque. Elle a en effet laissé les mains libres au gouvernement, et la forte participation à l’élection a affaibli le discours des opposants. Alors qu’elle n’a eu de cesse de dire que le chavisme ne représentait plus rien dans ce pays, ces résultats viennent la contredire. Si nous ne disposons pas de chiffres précis sur la participation, tous les observateurs s’accordent à dire qu’elle était importante. C’est une victoire pour Maduro, qui n’en était pas assuré.
Finalement, du côté de l’opposition comme de celui du gouvernement, le choix du boycott et la manière de maintenir cette constituante correspondent à une même logique de renforcement de leur propre légitimité. Ces stratégies ne risquent pas de régler la crise à brève échéance. Au contraire, il y a un vrai risque de se diriger vers l’instauration d’un système à double légitimité, chacun s’enfermant dans son propre mouvement. L’opposition, en nommant un gouvernement d’union nationale, mais également des juges pour faire contrepoids à la Cour suprême, participe de cette logique en constituant des institutions parallèles.
Désormais, soit on en reste là, et la vie politique reprend son cours, soit le « gouvernement d’union nationale » songe à prendre unilatéralement des pouvoirs législatifs et exécutifs. L’étape suivante serait alors la recherche d’une reconnaissance internationale, à chercher du côté des Etats qui n’ont pas reconnu les résultats de dimanche, aux premiers rangs desquels les Etats-Unis, l’Argentine et le Pérou. Cette stratégie est possible. C’est une hypothèse, mais le cas échéant, elle serait lourde de conséquences pour la cohésion de la société vénézuélienne.

Propos recueillis par Martin Lavielle
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