ANALYSES

Persécution des ​Rohingyas en Birmanie : que fait Aung San Suu Kyi ?

Presse
29 août 2017
Interview de Olivier Guillard - Marianne
Comment comprendre les silences d’Aung San Suu Kyi au vu des exactions rapportées contre les Rohingyas ?

Il faut comprendre que le gouvernement civil qu’elle dirige n’a pas la main sur les questions militaires. La Constitution de 2008 confère une place importante à l’armée. Elle stipule qu’un quart des sièges du Parlement sont réservés à l’armée en dehors de tout scrutin, ce qui lui donne de fait une minorité de blocage. En plus, les trois ministres les plus importants sont nommés par le chef d’état-major des armées : la Défense, les Affaires intérieures et les Questions frontalières. Tout ce qui a trait à la défense du pays et aux sujets sécuritaires n’est donc pas entre les mains d’Aung San Suu Kyi, en dépit du fait que la population l’ait portée au pouvoir.
Or le pays connaît toujours une guerre civile avec plusieurs milices. Certains groupes armés ont signé un accord de cessez-le-feu en 2015. Mais encore une douzaine d’entre eux combattent actuellement contre les forces armées régulières. Sur ces questions, l’armée gère tout, sans rendre de comptes au gouvernement civil ni à Aung San Suu Kyi. C’est ce qu’il se passe dans l’Arakan depuis l’attaque d’octobre, puisque cela relève de la lutte contre-insurrectionnelle.

Son pouvoir est donc si faible ?

Il faut aussi comprendre que son gouvernement ne répond pas exactement au cadre strict de la Constitution, qui avait été écrite pour l’empêcher de prendre de pouvoir. La loi fondamentale birmane ne permet ainsi pas à quelqu’un de marié à un étranger ou ayant des enfants étrangers d’être président. Or c’est le cas d’Aung San Suu Kyi, puisqu’elle est veuve d’un Britannique et que ses enfants sont également britanniques.
Pour exercer le pouvoir, elle a donc nommé un président fantoche et s’est créé un poste sur mesure, de « Conseillère spéciale de l’État et porte-parole de la Présidence ». Si elle venait à faire ingérence sur ce dossier-là et à déplaire à l’armée, la question de son maintien au pouvoir pourrait se poser. Elle est pieds et poings liés. Le gouvernement est juste là pour prendre les coups de la communauté internationale. Elle n’a qu’une petite partie du pouvoir et il est évident qu’elle ne fait pas ce qu’elle voudrait.

N’a-t-elle vraiment rien fait ?

Elle a tout de même nommé une commission dirigée par l’ancien secrétaire général de l’ONU Kofi Annan qui s’inquiète des violences. Aung San Suu Kyi avait dit, avant même que la première ligne du rapport soit écrite, qu’elle appliquerait la totalité de ses recommandations. Celles-ci invitent notamment les autorités à faire usage de moins de violence, à prêcher l’harmonie entre les communautés et à travailler au développement de cette région dont le potentiel économique est largement sous-estimé.

Alors, pourquoi Aung San Suu Kyi a-t-elle nié le terme de « nettoyage ethnique » employé par le Haut-commissariat aux réfugiés ?

Si elle considère que le terme est impropre à la situation et exagéré, c’est soit une question de conviction personnelle, soit de nécessité vis-à-vis de sa faible marge politique. Les militaires ne veulent surtout pas entendre parler de ce concept. Pour preuve, le gouvernement se montre extrêmement méprisant envers les victimes. Début août, une commission d’enquête gouvernementale, composée en grande partie d’anciens ou d’actuels responsables militaires, a conclu qu’il n’y avait pas d’exactions. Tout juste cette commission a-t-elle admis qu’un soldat a un jour volé une mobylette et qu’un autre a agressé un Rohingyas, une fois. Ce seraient les seuls faits à rapporter !

Quelle est la position de l’opinion publique birmane sur ce drame ?

L’opinion birmane se moque complètement de la situation des Rohingyas, ce qui donne encore plus les coudées franches à l’armée. Aung San Suu Kyi évolue dans un espace politique restreint, avec des élections à venir en 2020. Elle ne veut pas s’aliéner, par un soutien trop hardi sur cette question, son électorat et renforcer celui de l’opposition. Finalement, le processus de paix n’a pas avancé d’un millimètre depuis qu’elle est au pouvoir.

La communauté internationale ne fait-elle rien non plus ?

Elle se fait peu entendre. La communauté internationale est consciente qu’il se passe des choses graves, des exactions violentes et nombreuses de la part de l’armée birmane. Mais elle n’est pas présente sur place. Elle se fie donc à ce que des ONG rapportent, mais avec très peu d’éléments pour attester les faits. Par exemple, on ne dispose pas d’assez d’informations fiables venues du terrain pour employer avec certitude des termes comme « génocide ».
Depuis octobre dernier, seule l’ONU agit en envoyant des récriminations à la Birmanie. La conséquence, c’est que les autorités militaires et civiles birmanes ont tendance à s’éloigner des nations occidentales pour se tourner vers la Chine, qui s’est abstenue de toutes critiques. Il faut savoir que pendant vingt ans, la Chine était le seul interlocuteur de la junte militaire birmane. Depuis la transition démocratique, ce lien diplomatique privilégié s’est distendu avec l’arrivée des nations occidentales. Là, la Chine revient en grâce. C’est pour cela que des critiques trop virulentes seraient probablement contre-productives.
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