ANALYSES

Trump, président des « angry white men »

Presse
17 août 2017
En revenant, le 15 août, sur sa déclaration de la veille condamnant les violences racistes de Charlottesville et les mouvements suprémacistes blancs, Trump s’assume comme le défenseur de l’identité blanche de l’Amérique et légitime le racisme.

Cette fois, cela se passe chez lui, à la Trump Tower. Pas à la Maison blanche. C’est une déclaration personnelle, et non pas lue sur un prompteur. Ce 15 août, Donald Trump vient de rendre caduc son communiqué prononcé la veille à Washington – sans nul doute sur l’insistance de plusieurs conseillers – qui condamnait les suprémacistes blancs et qualifiait le racisme de « mal » (« evil »), et de revenir à ses premiers commentaires, du 12 août, sur Charlottesville. « La violence est condamnable des deux côtés », dit-il aux journalistes le 15 août – il avait, trois jours plus tôt, répété l’expression « from many sides ».

Dans une série de questions-réponses punchy avec la presse, il affirme donc, pour la deuxième fois, que néo-nazis et Ku Klux Klan, d’une part, et militant anti-racistes, d’autre part, sont équivalents. Selon lui, il y a « des gens bien » des deux côtés. Reprenant la rhétorique de l’extrême droite, Trump parle aussi d’une « alt-left » « très, très violente », comme il existe une « alt-right » (« alternative right »), sauf que la première n’existe pas, au contraire de la seconde. Trump, jamais enclin à l’auto-critique, explique qu’il ne regrette pas ses propos du 12 août, arguant qu’il a « besoin de connaître les faits avant d’émettre un jugement ». Les faits sont néanmoins clairs: la mort d’une militante des droits civiques de 32 ans, tuée par une voiture qui a foncé délibérément dans la foule, vraisemblablement conduite par un néo-nazi de 20 ans qui a été inculpé de meurtre. Ce ne sont pas des fake news.

Mais Trump explique par ailleurs que manifester contre l’enlèvement de la statue de Robert E. Lee et des symboles de la confédération n’est pas en soi condamnable, ajoutant un nouvel et surprenant argument: « Est-ce que ce sera George Washington la semaine prochaine? et Thomas Jefferson, la semaine suivante? (…) George Washington possédait des esclaves ». Ceux qui veulent déboulonner les statues de sympathisants esclavagistes et ségrégationnistes seraient-ils, pour le Président, les plus condamnables, et les manifestants du KKK, les plus légitimes?

Malaise des Républicains, isolement de Trump

Le 13 août, un communiqué de la Maison blanche, précisait que Trump « condamne toutes les formes de violences dont bien sûr les suprémacistes blancs, le KKK [Ku Klux Klan], les néo-nazis et tous les groupes extrémistes ». Outre que le propos ne distinguait que timidement l’extrême droite raciste – « toutes les formes de violences, dont… », ce n’est pas Trump qui s’exprimait, lui qui n’hésite pas à utiliser Twitter pour donner son opinion. Ce communiqué était sans doute le résultat d’un compromis entre les « clans » concurrents à la Maison blanche, entre notamment l’aile dure (Bannon, Miller, Gorka), les modérés du parti républicain et Ivanka Trump, qui avait elle-même tweeté pour dénoncer le suprémacisme.

Plusieurs leaders républicains, dont Ted Cruz, avaient eu des mots très durs pour les militants racistes et qualifié les violences de terrorisme. Mike Pence aussi s’était exprimé. Le parti craint l’amalgame avec le Ku Klux Klan. Le ministre de la Justice, Jeff Sessions, pris entre le marteau (ses opinions extrémistes et son soutien à Trump) et l’enclume (l’ouverture de plusieurs enquêtes, dont une du FBI), n’a eu d’autre choix que de condamner la violence raciste, qualifiant les faits de « terrorisme intérieur ».

Le 14 août, le Président Trump, après avoir consulté le chef du FBI et le ministre de la Justice, se résolvait à faire une déclaration : « le racisme, c’est le mal », « ceux qui occasionnent de la violence en son nom sont des criminels et des voyous, et cela inclut le KKK, les néo-nazis, les suprémacistes blancs et d’autres groupes haineux »). Le Président, acculé, isolé, pressé de toutes parts de s’exprimer, s’y était résolu de mauvaise grâce.

Une déclaration insincère, le 14 août

Mais cette déclaration était apparue très insincère. En effet, une heure avant, Trump avait publié un tweet contre Kenneth Frasier, le PDG africain-américain du laboratoire pharmaceutique Merck. Celui-ci annonçait dans un communiqué démissionner d’un conseil économique de la Maison blanche pour protester contre les hésitations de Trump sur Charlottesville. D’autres ont depuis imité Frasier et ont aussi été critiqués par le Président, qui a fini par dissoudre deux de ses conseils économiques. De plus, peu de temps après s’être exprimé, le 14 août, Trump rédigeait un tweet pour se plaindre que les « fake news medias » critiquaient sa déclaration. Il a également relayé le tweet du complotiste d’extrême droite Jack Posobiec, reprochant à la presse de ne pas assez relayer les violences urbaines à Chicago (sous-entendu : par rapport à Charlottesville).

Toujours le 14 août, on apprenait également que Trump envisageait de gracier l’ancien shérif Joe Arpaio, condamné il y quelques semaines pour délit de faciès dans la lutte contre l’immigration clandestine en Arizona. Personnage très controversé, surnommé le « shérif de la peur » ou le « shérif le plus dur d’Amérique », Arpaio est encensé par les suprémacistes sur Internet. Cette annonce de Trump et le timing dans lequel elle s’inscrit ne doivent rien au hasard.

Soyons clairs: depuis sa campagne, Trump n’a cessé de donner des gages à l’extrême droite suprémaciste. David Duke, un ancien chef du Ku Klux Klan qui le soutient depuis 2015, s’est réjoui des mots prononcés par Trump le 15 août. Présent à Charlottesville, Duke s’était adressé publiquement au Président pour lui rappeler qu’il devait sa victoire aux suprémacistes. Cette affirmation, très exagéré, étant donné le faible poids électoral de ces militants, renvoie cependant aux nombreux sympathisants de la défense d’une identité blanche et chrétienne (et patriarcale) de l’Amérique. Ces « angry white men » (hommes blancs en colère), décrits par le sociologue Michael Kimmel dans son ouvrage éponyme, éprouvent un ressentiment profond vis-à-vis des minorités raciales, des femmes, des gays, du « politiquement correct », de l’anti-racisme. Ils se voient comme les « oubliés » de l’Amérique et c’est à eux que Trump continue de s’adresser dans ses tweets et ses meetings, parce qu’ils ont fait basculer l’élection en sa faveur dans plusieurs swing states et qu’ils le soutiennent encore contre vents et marées.

En campagne comme à la Maison blanche, Trump a fait le choix du clivage social, « racial », genré. Les anciens présidents Bush, Paul Ryan, le speaker de la Chambre et de nombreux autres responsables du parti expriment, depuis, leur rejet du racisme. Mais le Président vient de manquer une opportunité d’unifier le pays derrière ses valeurs de tolérance et d’ouverture. Ses dernières déclarations sont un message d’encouragement envoyé aux groupuscules racistes. C’est aussi, sans doute, un tournant dans sa présidence.
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