ANALYSES

Il y a 70 ans, l’Inde et le Pakistan se séparaient : « Un sentiment de gâchis »

Presse
15 août 2017
L’Inde et le Pakistan ont acquis leur indépendance en 1947 dans le sang. 70 ans plus tard, la situation semble toujours aussi critique, notamment dans la région du Cachemire.

Quel héritage peut-on aujourd’hui observer après la partition de 1947 ?

Trois générations d’hommes après les faits, 70 ans après la création de ces deux Etats indépendants, issus de l’Empire britannique, un sentiment de temps perdu et de gâchis prédomine. Les relations entre ces deux mastodontes d’Asie du Sud sont aujourd’hui pratiquement aussi crispées qu’elles l’étaient au moment de la partition.
Le bilan des dernières décennies est donc évidemment très insuffisant. Ce gâchis est d’autant plus scandaleux qu’on est dans une région qui demeure en plein développement. L’Inde est la septième économie mondiale, mais il y a tout de même 400 millions d’individus, soit un individu sur trois, qui vivent en dessous du seuil de pauvreté. Ce ratio d’une personne sur trois doit être à peu près le même chez les voisins pakistanais. Cela donne une idée des enjeux auxquels sont confrontés ces pays. Pourtant, ils restent obsédés, surtout du côté pakistanais, par leurs relations tendues.

C’est notamment sur le plan religieux que cette séparation semble encore laisser des traces.

Au moment de la séparation, certains étaient en faveur d’une grande fédération d’Inde unie. Mais ce n’est pas le scénario qui l’a emporté, puisque deux Etats distincts sont nés. Ce n’était pas nécessairement le vœu des populations de la région, ni des gouvernements extérieurs. Mais c’est ce qui a été privilégié par la Couronne britannique et les responsables hindous, indiens, et musulmans pro-Pakistan.
On est donc toujours dans une situation où la religion a une importance particulière dans les rapports complexes entre ces deux voisins. On le vérifie dans certains contentieux qui sont à la fois territoriaux et politiques, comme la question du Cachemire. Mais aussi sur d’autres plans. Le Pakistan pointe du doigt cette République qui se dit laïque mais qui a toujours élu un premier ministre hindou ou sikh, et jamais un musulman.
Le Pakistan suppose qu’un gouvernement nationaliste hindou, comme celui en place depuis 2014, peut être perçu comme menaçant pour la minorité musulmane de l’Inde, qui représente à peu près 13% de la population. Ces craintes des musulmans peuvent être à tort ou à raison. Mais 13% de la population indienne [1.324 milliard], cela fait tout de même 170 millions de personnes. Ce qui fait de l’Inde, derrière l’Indonésie, le Pakistan et le Bangladesh, la quatrième nation musulmane au monde. La question de la religiosité joue donc encore un rôle-clé en 2017.

La question de la frontière indo-pakistanaise se cristallise notamment autour du Cachemire, cette région indienne à majorité musulmane. Il semble que sa population veuille obtenir son indépendance, plutôt que de rejoindre un des deux protagonistes.

Les Cachemiris sont coincés depuis 1947 entre la partie occupée par les Pakistanais et celle occupée par les Indiens (en laissant de côté la partie peu peuplée occupée par la Chine, souvent oubliée). Depuis cette date, on peut estimer qu’au sens quantitatif du terme, ces Cachemiris sont avant tout pro-Cachemire plutôt que pro-Inde ou pro-Pakistan. Ils aimeraient, dans l’idéal, avoir le droit de former un Etat du Cachemire indépendant, ou en tout cas dépendant ni de l’Inde ni du Pakistan.
Mais ni l’Inde, ni le Pakistan, ni à une époque les Britanniques ne voulaient en entendre parler. Il y a eu plusieurs guerres indo-pakistanaises à ce sujet : notamment celles de 1948 et 1965, qui ont largement parasité l’histoire du Cachemire. Depuis 1999, cette région est embourbée dans un climat insurrectionnel avec des phases plus ou moins violentes. On a sacrifié plusieurs générations et un territoire riche naturellement et culturellement à une rivalité entre le Pakistan et l’Inde.
Aujourd’hui, les Cachemiris sont lassés d’une part de l’irrédentisme de l’Inde, du mauvais comportement de ses troupes et de sa police, et d’autre part des agissements du Pakistan (qui s’est infiltré à plusieurs reprises derrière la ligne de contrôle qui sépare les deux parties du Cachemire) et de certains militants pakistanais qui entretiennent ces tensions.
En 2017, on se retrouve dans une impasse totale. L’Inde comme le Pakistan refusent d’ouvrir des discussions sur le sujet, et encore plus fermement d’associer les Cachemiris aux débats. On a d’un côté une Inde qui ne cédera pas un pouce de cette région acquise historiquement et de l’autre le Pakistan qui considère que l’Inde a volé tout le Cachemire qui aurait dû lui revenir. Et entre les deux, une population prise en étau, victime de l’instrumentalisation de leur région par les deux pays qui l’entourent. Le Cachemire n’a pas avancé depuis 70 ans, au contraire, il a même reculé de plusieurs pas au rythme des crises successives.

Cette question de la frontière est-elle devenue le prisme de la politique étrangère du Pakistan ?

Si on peut reprocher un certain nombre de choses aux dirigeants indiens, on peut davantage encore en reprocher aux dirigeants pakistanais. D’abord, à la différence de l’Inde, ils n’ont pas laissé sa chance à la démocratie. Là où l’Inde a organisé 15 élections générales successives, les militaires pakistanais ont repris le pouvoir des mains de la population civile à plusieurs reprises : il y a au moins 30 ou 35 ans d’occupation militaire directe de ce pays.
Les militaires sont très influents au Pakistan, coincé entre l’Afghanistan et l’Iran à l’Ouest et l’Inde à l’Est. Et ils attribuent tous les maux qui accablent les 200 millions d’habitants de cette nation à l’Inde. Leur voisin aurait, à les entendre, non seulement volé tout le Cachemire mais aussi facilité en 1971 la séparation du Pakistan oriental, qui est devenu – avec l’assistance de l’Inde, il est vrai – le Bangladesh.
Pour cette frange des Pakistanais, tout est donc indo-centré. Tout ce que fait l’Inde a une résonance anti-pakistanaise. Les Pakistanais se remettent mal de cette partition qu’ils ont pourtant voulue, et rejettent toute insatisfaction en direction de l’Inde. Tant que le gouvernement pakistanais sera affublé à la fois d’une mauvaise gouvernance et d’une lecture strictement partiale des choses, le Pakistan restera dans l’état de déshérence dans lequel il est aujourd’hui et constatera avec jalousie que son voisin indien progresse davantage dans tous les autres domaines. Aujourd’hui, l’Inde est ainsi la septième économie mondiale et un acteur international reconnu et recherché, alors que le Pakistan est considéré comme une nation difficilement fréquentable.

Quelles sont les perspectives d’avenir pour ces tensions vieilles de 70 ans ?

Je crains qu’à court terme, l’horizon ne soit bouché. D’un côté, le Premier ministre au Pakistan a été démis de ses fonctions, probablement à cause de tensions avec l’armée. Et la puissante hiérarchie pakistanaise n’est clairement pas en faveur d’une décrispation des relations avec l’Inde. De l’autre, en Inde, le gouvernement nationaliste hindou ne compte pas s’en laisser conter par les Pakistanais. Aucune évolution n’est donc à anticiper pour l’instant, même si elle serait souhaitable des deux côtés.
Sur le long terme, Pakistanais et Indiens considèrent que tant que la question du Cachemire n’aura pas été réglée d’une manière satisfaisante et officielle, il y aura toujours un contentieux historique qui perturbera leurs relations.
En tout cas, il est invraisemblable que 70 ans après leur indépendance, on soit encore dans une situation où il n’existe pas de vols directs entre les deux capitales, par exemple. Ces deux pays partagent 3.190 kilomètres de frontière commune, et il n’y a qu’un seul poste de passage terrestre qui est ouvert… Cela résume bien l’irrédentisme des deux camps, et surtout le coût d’une telle confrontation. On hypothèque une proximité qui pourrait être un énorme avantage à un passif historique que les gens ont du mal à oublier.
On se demande bien comment ces perspectives pourraient s’améliorer, même s’il faut l’espérer. Les deux pays auraient beaucoup à gagner d’une décrispation (sans même parler de quelque chose de plus fort) des relations, que ce soit sur le plan économique ou sur le plan de la stabilité de la région. Mais ces discours ne semblent pas peser plus à Islamabad qu’à New Delhi.

Propos recueillis par Martin Lavielle
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