ANALYSES

Changement climatique et conflits : attention aux raccourcis simplistes

Presse
5 juillet 2017
Co-écrit avec Lucile Maertens

« Le réchauffement [climatique] annonce des conflits comme la nuée porte l’orage. » C’est avec ces propos que François Hollande avait ouvert la COP21 en décembre 2015. À sa suite, d’autres chefs d’État ont décrit le changement climatique comme « une menace », « un danger » ou « un problème urgent » contribuant à l’amplification de certaines crises actuelles et susceptible de déclencher de nouveaux conflits. Déjà, lors du sommet de Copenhague en 2009, les négociations climatiques s’étaient ouvertes sur un ton alarmiste : « Please help the world », implorait la jeune fille mise en scène dans un monde apocalyptique pour le film d’ouverture.

La question de savoir si les changements climatiques sont vecteurs de déstabilisation des États et des sociétés fait l’objet de débats depuis plusieurs années déjà. Néanmoins, davantage qu’une cause directe de conflits, le réchauffement planétaire est surtout un facteur parmi d’autres, tels que la pauvreté, les inégalités sociales ou l’action défaillante des États.

Dans un contexte mondialisé marqué par l’accélération des dégradations environnementales, l’instabilité politique, la crise migratoire et la montée du terrorisme, on observe cependant un nombre croissant de déclarations politiques établissant des relations étroites, et souvent simplistes, entre changement climatique et conflits. La crise au Darfour opposant des peuples nomades et sédentaires, les conflits interethniques au Nigeria, partiellement liés à l’assèchement du lac Tchad, et à présent la guerre civile syrienne, survenue après une sécheresse sans précédent entre 2007 et 2011, sont ainsi analysés à travers un prisme climatique. Tout en reconnaissant la part des facteurs environnementaux et climatiques dans la compréhension de certaines crises géopolitiques, on peut néanmoins s’interroger sur les dangers de tels rapprochements.

Tirant la sonnette d’alarme et renforçant le sentiment d’urgence, la rhétorique catastrophiste vise souvent à attirer l’attention sur la nécessité de lutter contre le changement climatique. « État d’urgence climatique », pouvait-on ainsi lire, lors des mobilisations qui ont précédé la COP21 visant à encourager les gouvernements à trouver un accord. Plus récemment, de hauts responsables états-uniens de la défense ont réaffirmé la « menace sécuritaire » posée par les changements climatiques pour contrer les déclarations climatosceptiques de Donald Trump.

Le discours alarmiste risque de dépolitiser les causes de conflit


Cet usage stratégique du discours alarmiste n’est toutefois pas sans danger : simplifiant des liens de causalité complexes, il porte le risque de dépolitiser les causes de conflit, de déresponsabiliser les acteurs politiques et de stigmatiser les pays les plus vulnérables. Surévaluer l’importance des facteurs environnementaux dans le déclenchement d’un conflit, c’est faire l’impasse sur la myriade d’autres facteurs historiques, politiques, sociaux et économiques concernés qui engagent directement la responsabilité des gouvernements.
Alors que les déclarations de Bachar el-Assad tentent de dédouaner le régime syrien en présentant la sécheresse qui a frappé la Syrie comme une manifestation directe du changement climatique, celle-ci est d’abord le résultat de décennies de gestion calamiteuse des ressources hydriques et d’irrigation intensive. En outre, la suppression des subventions publiques en 2008-2009 dans le secteur agricole a encore davantage paupérisé les paysans, alors contraints à quitter leurs terres pour rejoindre les villes du pays, déjà saturées par l’arrivée massive de réfugiés irakiens. Plus que le changement climatique lui-même, c’est bien l’incapacité du régime syrien à répondre à la crise en cours depuis plus de dix ans qui participe au déclenchement du mécontentement populaire, également motivé par de multiples facteurs historiques et politiques.

En 2011, le représentant du Soudan avait également employé cette technique dans l’enceinte du Conseil de sécurité des Nations unies : « Le conflit principal au Darfour est le résultat de la sécheresse et de la désertification », elles-mêmes « résultat du changement climatique ». La chaîne de causalité est facile à communiquer : face à la réduction des terres arables et à la croissance démographique, des tensions opposeraient les éleveurs nomades et les paysans sédentaires. Mais en expliquant le conflit au Darfour par des facteurs exclusivement environnementaux, les rapports de pouvoir issus de l’histoire coloniale, la politique prédatrice du gouvernement soudanais et l’emploi de miliciens Janjawid sont passés sous silence.

Sans nier la réalité tangible des menaces climatiques, il ne faut pas tomber dans les travers de discours apocalyptiques simplistes. Alors que les conséquences sécuritaires du réchauffement planétaire restent sont toujours mal connues, il importe d’approfondir la réflexion afin de définir des politiques publiques aptes à prendre en compte la complexité des chaînes de causalité et l’interdépendance profonde des enjeux sociaux, environnementaux, économiques et sécuritaires.
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