ANALYSES

Quelle politique asiatique pour le futur président français ?

Presse
18 avril 2017
Quelles que soient ses intentions en matière de politique étrangère, le futur président de la République française devra faire face à un agenda international très chargé. Avec en ligne de mire dès son arrivée aux affaires les enjeux sécuritaires liés aux radicalismes islamistes, la situation en Syrie, Irak et Libye, la relation avec la Russie, les conséquences de l’élection de Donald Trump, ou encore le sort de l’OTAN, sans même mentionner les effets du Brexit. A ces défis s’en ajoute un qui est potentiellement encore plus important et marquera les cinq prochaines années : la politique asiatique de la France. C’est en effet au cours de la prochaine mandature que l’Asie va s’imposer comme le pivot des relations internationales, tandis que les incertitudes sécuritaires et politiques y restent particulièrement sensibles. La formulation d’une politique française dans cet espace désormais incontournable est essentielle, après deux mandatures marquées par un alignement atlantiste qui n’a fait que détourner la France de ses véritables enjeux et potentialités.

Selon le FMI, l’Asie orientale représentera en 2020 plus de 30 % du PIB mondial, dont plus de la moitié pour la Chine. Cette croissance se poursuivra, justifiant une attention grandissante pour une région où cohabitent des puissances économiques de premier plan, mais également des géants démographiques et des acteurs militaires majeurs. La montée en puissance chinoise, qui dépasse désormais les sphères économiques et commerciales, sera également l’un des principaux défis des prochaines années. Enfin, si l’Asie est en passe de devenir le pivot de l’économie mondiale, l’absence d’une réelle intégration régionale est porteuse d’incertitudes à la fois face aux défis économiques et sociaux et face aux risques de conflit. Les différends maritimes en mer de Chine méridionale, la rivalité Chine-Japon, les tensions Chine-Taïwan, et bien entendu le dossier sécuritaire nord-coréen sont ainsi au centre de toutes les attentions.

De nombreux défis se posent par ailleurs à court terme à la présence française en Asie-Pacifique, à la fois territoriaux (notamment le référendum sur l’autonomie de la Nouvelle-Calédonie), économiques, politiques et stratégiques, sans oublier la présence grandissante d’expatriés français dans la zone. L’affirmation des puissances en place et émergentes dans la région, de même que les nouveaux mécanismes régionaux, économiques et commerciaux en particulier, imposent la formulation d’une politique française qui s’appuie à la fois sur un positionnement stratégique, la défense des intérêts économiques et une présence politico-culturelle réaffirmée. C’est à toutes ces questions que le nouvel occupant de l’Élysée devra apporter des éléments de réponse s’il souhaite relancer la politique étrangère de la France.
La France, une puissance en Asie-Pacifique ?

La France est très fortement impliquée en Asie Pacifique historiquement, géographiquement – avec de vastes territoires d’outre-mer et une immense zone économique exclusive (ZEE) –, culturellement et dans ses aspects politico-stratégiques – en sa qualité de membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU et de puissance nucléaire reconnue par le Traité de Non-Prolifération (TNP). Sa présence militaire est par ailleurs assurée par ses territoires qui servent de bases. Si elle doit faire face à de multiples compétitions sur les échanges économiques et commerciaux, sa renommée dans l’industrie du luxe lui offre aussi une place à part dans des économies émergentes.

Sur les questions stratégiques, la France s’implique en insistant sur les instances multilatérales et la coopération avec un nombre grandissant de partenaires, au point qu’il est de plus en plus permis de parler d’une stratégie de « pivot vers l’Asie », à la manière de ce que l’administration Obama a mis en place à partir de 2009. Mais ce pivot se veut plus multiforme que l’engagement des États-Unis : il s’appuie notamment sur les caractéristiques culturelles françaises et sa langue, et est fortement guidé par les impératifs économiques. La France est enfin confrontée au paradoxe de l’Union européenne, qui lui sert de levier dans ses implications en Asie-Pacifique, mais n’empêche pas dans le même temps la compétition avec les autres États-membres. Enfin, les puissances asiatiques attendent beaucoup de la France, dans un contexte marqué par une baisse d’influence des démocraties anglophones (États-Unis et Royaume-Uni) et de recherche d’une gestion multilatérale des dossiers, en phase avec la vision française des relations internationales, héritage gaullo-mitterrandien. Il est dès lors urgent de signifier à nos partenaires asiatiques la volonté de la France de marquer sa présence, et de profiter des immenses opportunités qui s’offrent à la diplomatie française.
Un pivot français vers l’Asie ?

Déjà formulée en 2013, l’idée d’un pivot vers l’Asie est bien sûr étroitement liée au réengagement des États-Unis en Asie-Pacifique sous la présidence de Barack Obama. Mais la diplomatie française s’est rapidement efforcée de trouver une voie qui permette d’éviter toute forme de compétition avec Washington. Comme l’expliquait Laurent Fabius dans un discours au siège de l’ASEAN à Jakarta le 2 août 2013, « ce « pivot » français n’est pas principalement militaire, comme pouvait l’être le pivot américain, même si la France est présente dans la région. Nous avons des forces stationnées dans nos territoires du Pacifique, dont la contribution active à la stabilité régionale est reconnue par tous. Nous participons à l’effort international en Afghanistan et nous avons engagé des coopérations importantes avec les grands pays de la zone, notamment nos partenaires de l’ASEAN. » Mais au-delà de la réaffirmation de cet engagement politico-stratégique, ce sont les aspects diplomatiques, économiques et commerciaux qui sont mis en avant. A cet égard, c’est tout particulièrement l’Asie du Sud-Est qui a les faveurs de Paris.

Il serait cependant réducteur de limiter ce pivot à un intérêt accru en direction de l’ASEAN. Les liens avec la Chine, la longue amitié avec le Japon, les intérêts croisés avec la Corée ou encore les enjeux liés à l’initiative « One Belt, One Road » (nom officiel du projet de « nouvelle route de la Soie ») de Pékin et ses développements en Asie centrale et en Asie du Sud, doivent inviter les dirigeants français à élargir le champ de notre présence en Asie. Par ailleurs, les modifications de la politique asiatique de Washington depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump laissent un vide que la diplomatie française serait bien inspirée d’occuper. A condition toutefois de marquer notre volonté d’accroître les relations avec les pays de la région.

Stratégie d’influence : le soft power français en question

En marge de ses implications stratégiques grandissantes, la France mise sur ses capacités de soft power. L’enseignement du français a connu une progression importante au cours des dernières années sur le continent asiatique. Dans de nombreux pays, il est enseigné comme deuxième langue, avec le soutien du ministère des Affaires étrangères. L’Inde, avec un million d’étudiants qui apprennent cette langue, la Chine, qui en compte 100 000 et l’Indonésie, avec 60 000 apprenants, comptent ainsi le plus grand nombre d’élèves, d’étudiants et de professionnels se formant au français. S’y ajoutent des pays comme le Cambodge, le Laos ou la Thaïlande, où la francophonie a résisté aux années de troubles, et où des filières bilingues sont proposées aux élèves les plus talentueux. Ces pays constituent aujourd’hui des cibles privilégiées dans la stratégie du pivot vers l’Asie, et c’est avec eux que le partenariat s’est accru, à la fois en matière d’enseignement du français sur place et dans les programmes d’échanges étudiants.

Le soft power français en Asie-Pacifique s’appuie aussi, dans sa dimension commerciale, sur la qualité de ses produits, en particulier l’industrie du luxe qui y connait un essor considérable. Il se décline également sous la forme de l’affirmation d’un mode de vie et du développement des échanges culturels. Sur ce point, la francophonie pèse encore de tout son poids, en assurant des relais de diffusion de la production culturelle française. En comparaison avec les autres pays européens, la France dispose d’un avantage conséquent dans ce domaine, mais le soutien de Bruxelles pourrait s’avérer décisif dans la capacité de Paris à accroître son influence dans la région. Sur ces différents points, on note que si la stratégie française a une dimension régionale, elle voit tout particulièrement dans la Chine une cible privilégiée.

L’arrivée au pouvoir d’un nouveau président de la République française coïncide avec une multitude de défis, mais aussi d’attentes, en matière de politique étrangère. En Asie-Pacifique, ces tendances sont amplifiées par l’importance croissante de cet ensemble régional. Plus que jamais, il convient de définir une politique asiatique de la France, en phase avec les intérêts de notre pays et conforme aux enjeux considérables et dans tous les domaines que l’Asie impose. Le chantier doit être ouvert sans tarder, les perspectives étant infinies.
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