ANALYSES

La sécurité alimentaire, une solidarité concrète à construire entre Nord et Sud

Presse
22 mars 2017
« Bien que les sociétés se soient urbanisées et que l’économie se soit tertiarisée » on a « toujours besoin de se nourrir pour vivre »… C’est sur la base de ce constant d’évidence que les auteurs considèrent l’importance stratégique du renforcement de la sécurité alimentaire et plaident pour que l’Europe « tende la perche agricole au sud de la Méditerranée ».

L’année 2017 s’annonce complexe sur les fronts politiques et sociaux en Europe. Face aux inégalités économiques et territoriales qui s’accentuent, les mécontentements se développent et se structurent aux quatre coins du continent. L’emploi se fait rare et la précarité progresse, surtout pour cette jeunesse qui semble avancer vers l’avenir à reculons. Face à la mondialisation économique qui provoque des fractures, la résistance locale du politique se confirme. Des revendications nationalistes ou populistes surfent sur cette vague d’indignations.

Plusieurs pays iront aux urnes dans ce contexte, notamment la France et l’Allemagne, tandis que le Brexit pose la question des futurs possibles de l’Union européenne. Soixante ans nous séparent des traités de Rome, ayant ouvert la voie à l’intégration et à la solidarité entre des pays mobilisés dans une démarche de communauté stratégique. Mais la méfiance l’emporte sur la confiance depuis quelques années. Faute de modèles alternatifs audibles et de projets fédérateurs, la vision du très court terme s’est progressivement imposée au détriment de l’approche prospective. Le risque n’est plus faible de voir l’Europe se paralyser à force de tâtonner, alors que les défis du présent la somment de développer une réponse géopolitique. Celle-ci devrait être capable de mobiliser les États du continent autour d’atouts et de secteurs privilégiés tout en proposant des solutions face aux turbulences qui secouent le bassin méditerranéen. L’agriculture permet de combiner ces objectifs.

« Toujours besoin de se nourrir pour vivre »

Que l’Union européenne décide d’avancer en cercles concentriques, donc à plusieurs vitesses, ou qu’elle fasse le choix de canaliser son action sur une série limitée de questions, donc prioritaires, l’agriculture doit demeurer au cœur de sa stratégie et être annoncée comme telle. Bien que les sociétés se soient urbanisées et que l’économie se soit tertiarisée, les 500 millions d’Européens, comme n’importe quel individu dans le monde, ont toujours besoin de se nourrir pour vivre.

Cette consommation alimentaire, outre les volumes qu’elle requiert, est devenue plus exigeante en qualité. Les agriculteurs, eux-mêmes consommateurs et citoyens, sont nombreux à se soucier de la santé de leurs semblables et à agir pour la protection de la planète. Ils le font d’ailleurs fort bien, sans doute davantage que d’autres secteurs d’activité, pourtant moins exposés à la volatilité des prix, aux chocs du climat ou au mépris. Au final, c’est l’ensemble des opérateurs de la chaîne agroalimentaire qui sont engagés dans une évolution de leurs modèles de production, de transport, de transformation et de distribution.

La Politique agricole commune (PAC) n’est pas neutre dans cette dialectique. Les dernières réformes de la PAC, dont il faut rappeler le caractère central dans la construction européenne depuis plus d’un demi-siècle, ont permis d’introduire davantage de mesures et de pratiques en faveur de la durabilité des systèmes. Rares sont les secteurs qui peuvent s’enorgueillir d’apporter à la fois des produits qui déterminent la vie des populations, de créer de la valeur ajoutée dans les zones rurales, de générer de la croissance à tous les échelons géographiques et d’entretenir des paysages ou de fournir des aliments qui nourrissent l’attractivité touristique d’une Europe riche de sa diversité « agriculturelle ».

Les mondes agricoles, souvent perçus comme revendicatifs, sont avant tout porteurs de solutions. Dans une Europe qui se cherche des sentiers d’avenir, il serait assurément hasardeux de ne pas garder les pieds à terre et de ne pas parier sur l’agriculture. Elle demeure une valeur sûre pour faire exister les pays dans la mondialisation, pour maintenir les campagnes et les zones marginalisées dans le développement et pour préserver la sécurité alimentaire sur un continent aux dotations naturelles favorables.

Redonner sa place stratégique au secteur agricole

Toutefois, pour ce faire, il convient de redonner sa place stratégique au secteur agricole en insistant sur la temporalité longue de sa mission. Produire pour nourrir plus et mieux signifie oser et innover pour progresser, entreprendre et former pour employer, investir pour construire et capitaliser pour répartir. Le souci de son prochain irrigue la pensée agricole. Pour passer aux actes, l’agriculteur réclame donc, non sans raison, un cadre de gouvernance stable, le respect et la reconnaissance pour ce métier qui génère la paix sociale.

Sur le plan agricole, le bassin méditerranéen n’est pas le miroir du continent européen. L’Afrique du Nord et le Proche-Orient forment plutôt l’arc illustratif des tensions alimentaires du monde. Rareté de l’eau et de la terre, désordres météorologiques récurrents, poursuite de la croissance démographique, instabilités politiques et territoriales chroniques, déficience logistique, risques amplifiés sur la santé animale et végétale… Nous sommes là dans l’une des régions du globe les plus exposées aux insécurités rurales et agricoles. La plupart des pays y sont coupés en deux, entre des villes devenues mégapoles qui nécessitent une planification urbaine soutenable, et des espaces intérieurs bénéficiant trop peu des retombées positives de la croissance.

Une balance agricole partout déficitaire au sud-Méditerranée

Tous les pays de l’Afrique du nord et du Proche-Orient sont en outre dépendants des marchés internationaux pour couvrir leurs besoins alimentaires. Malgré d’indéniables efforts pour augmenter leurs productions agricoles, leur balance est déficitaire sur la majorité des produits de base, à commencer par les céréales que les habitants de la zone consomment plus que partout ailleurs sur la planète. Chaque surchauffe de prix sur ces commodités vitales se traduit par de l’agitation populaire. Parallèlement, les changements climatiques s’accélèrent et les convoitises sur les ressources naturelles s’aiguisent. Dans ce contexte, il convient de miser sur ses atouts et d’essayer de transformer ses faiblesses en force.

Les pays de la Méditerranée peuvent compter sur l’énergie d’une population jeune, qu’il faudra davantage attirer vers les métiers de l’agriculture ou de la pêche. Mais réenchanter les campagnes et les villes de l’intérieur ne peut se faire sans un investissement conséquent dans le capital social et humain et sans mettre l’agriculture en tête des priorités politiques. Valoriser le capital social des territoires ruraux consiste à planter les germes d’une diversification économique aujourd’hui nécessaire dans cette région du monde. Ce capital social et humain a besoin que l’on investisse, à la hauteur des enjeux, dans les infrastructures qui permettront un partage plus équitable des dividendes de la croissance et de la modernité.

Loin d’être des options, l’amélioration de la sécurité alimentaire (disponibilité, accès, régularité, utilisation) et une meilleure gestion collective des crises pouvant affecter le secteur agricole sont une obligation, dans un secteur qui pèse encore en moyenne pour 20 % à 30 % du PIB et de l’emploi des pays de cette région. L’agriculture apporte beaucoup de solutions. Tout en contribuant à l’économie, elle est source d’innovations sociales, et environnementales. Elle est également synonyme de décloisonnement, d’ouverture sur la société et sur le monde. Autant de dynamiques à favoriser dans cet espace méditerranéen, où par ailleurs, il convient de lutter contre toutes les formes de gaspillages (eau, sols, aliments, savoirs, etc.). Face à de tels défis, sur lesquels se greffent les problématiques complexes de la migration de détresse, comment pourrions-nous écarter l’agriculture du tableau stratégique identifiant les priorités d’action pour les politiques nationales et de coopération d ans ce bassin méditerranéen ?

La question alimentaire mérite de figurer plus haut dans l’agenda de la Méditerranée. Pour l’Europe, ce serait l’occasion de retrouver une dimension géopolitique dans l’éventail de raisons qui milite pour le maintien de la PAC au cœur de sa mission. Il en va de la responsabilité européenne. En contribuant à la fois aux équilibres alimentaires et au développement agricole de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, l’Europe peut agir concrètement dans ce voisinage qui l’inquiète et dans lequel elle demeure attendue sur certains secteurs. L’agriculture représente un puissant vecteur pour réduire les risques et pour coaliser différents acteurs, publics ou privés, autour d’une volonté commune de travailler ensemble.

À force de ne pas tendre la perche agricole au sud de la Méditerranée, l’Europe non seulement se discrédite dans sa coopération avec cette région du monde mais perd aussi une formidable opportunité de gagner des points de croissance, sachant que le commerce et le développement peuvent intelligemment se conjuguer dans le cas de l’agriculture. Beaucoup d’inconnues attendent l’année 2017. Il faut toutefois préparer l’avenir et réfléchir à l’enjeu de la sécurité alimentaire parmi les solidarités concrètes les plus importantes à construire entre l’Europe, la Méditerranée et l’Afrique.

Co-écrit avec Cosimo Lacirignola
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