ANALYSES

Ce monde électrique qui vient

Presse
2 mars 2017
Interview de Nicolas Mazzucchi - La Tribune
Les sociétés avancées ont de plus en plus recours à l’électricité. Un mouvement à marche forcée. Avec quelles conséquences ? Par Nicolas Mazzucchi – Docteur en géographie économique, chercheur-associé à l’Iris, spécialiste des questions énergétiques.

L’histoire économique contemporaine est, au fond, assez simple vue au travers du prisme de l’énergie. Les deux révolutions industrielles du XIXe et du XXe siècle ont été avant tout énergétiques. La première, au début du XIXe, initiée en Angleterre, a consisté à substituer la force de la vapeur issue du charbon à la traction animale, la seconde, au tournant de la Première Guerre mondiale, voit le modèle dominant passer du charbon au pétrole et à ses dérivés. Depuis, peu d’évolution majeure. Notre monde – qu’on le veuille ou non – demeure fondé sur le pétrole et l’or noir continue d’être l’étalon économique de la planète. La mono-cotation du pétrole en dollars américains explique grandement la puissance des États-Unis.

Électrisation à marche forcée

Toutefois un changement profond s’annonce, sans forcément qu’il doive pour le moment être identifié à une nouvelle révolution industrielle : l’électrisation à marche forcée des sociétés les plus avancées. La prise en compte de la réalité des effets du changement climatique à partir de la fin des années 1980, se combinant aux avancées technologiques issues du secteur de l’IT, induisent des transformations profondes des pays les plus économiquement dynamiques.

Deux cas de figure se posent. D’un côté les pays les plus avancés technologiquement voient leur consommation énergétique stagner ou même diminuer. La prise de conscience écologique et le modèle économique des puissances matures – européennes notamment – les pousse naturellement vers des modèles de consommation plus vertueux où la part des fossiles est sans cesse rognée au profit des sources d’énergie pas ou peu carbonées. D’un autre côté, les grands émergents comme la Chine se trouvent face au défi d’une double transformation économique et sociologique, les obligeant à combiner croissance, aspiration des populations à la consommation individuelle et respect de l’environnement.

Solutions électrique, en substitution du thermique

Dans les deux cas, on assiste à un développement des solutions électriques en substitution des modèles thermiques pour un grand nombre d’applications. Le transport en particulier, avec l’irruption des véhicules personnels et collectifs hybrides et maintenant purement électriques, est l’un des secteurs les plus touchés par ce changement.

De la même manière, ce désir de maîtrise de la consommation énergétique individuelle passe par la généralisation de la domotique avec de plus en plus d’objets connectés, régulant au mieux notre consommation. Si le développement du cyberespace et des solutions connectés permet ce changement majeur, il n’en demeure pas moins qu’il induit également un effet inattendu : celui de l’explosion de la demande électrique. En effet en substituant le thermique à l’électrique d’une part et en augmentant les appareils consommateurs d’électricité d’autre part, la demande électrique mondiale ne cesse de se développer. En 15 ans la consommation mondiale d’électricité est passée de 13.200 TWh à 20.500 TWh, soit une hausse de 55%.

Alimenter les data centers

Dans ce panorama, les pays émergents représentent au niveau géographique la principale augmentation, avec le développement des nouvelles puissances et l’appétit électrique tant des individus que des entreprises. Au niveau sectoriel, les technologies de l’information et de la communication se positionnent comme les nouveaux énergivores de la planète. L’explosion du cyberespace a entraîné une hausse spectaculaire de la demande électrique des grands prestataires de la donnée, les GAFA(M) (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft). Les data centers nécessaires au maintien du cloud computing et à l’hébergement de données dont la croissance n’est pas linéaire, mais exponentielle, représentent à eux seuls 1 à 2% de la demande électrique mondiale. Il n’est ainsi pas étonnant de voir que ces entreprises se positionnent non seulement sur le segment de la domotique et des villes connectées (smart cities), mais aussi des énergies renouvelables, rachetant des entreprises spécialisées et développant leurs propres infrastructures.

Équilibrer les mix nationaux

Dans ce contexte global, un savoir-faire crucial se détache, celui de l’équilibrage des mix électriques nationaux. En effet, aucune énergie n’est LA solution universelle. Chaque pays, chaque situation locale nécessite une adaptation tant de la production que du transport et de la distribution électrique. Les solutions renouvelables ainsi que celles d’efficacité énergétique se développent certes, mais elles nécessitent d’être intégrées dans des réseaux complexes avec une base qui peut varier du nucléaire au gaz ou à l’hydraulique selon la géographie concernée. Ce savoir-faire qui est la marque des grands électriciens internationaux est l’une des clés de cet avenir et de la voie vers le monde électrique.
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